Publicité

La raison du plus fort

30 septembre 2018, 08:09

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

La raison du plus fort

Cette maxime (une affirmation ?) provient d’une délicieuse fable de La Fontaine, que beaucoup parmi nous aurons apprise à l’école, souvent dans une toute première tentative de lancer une carrière de scène… puisqu’il faut, notamment, en la récitant, faire à la fois la voix courroucée et rauque du loup et celle, chevrotante et suppliante de l’agneau.

L’agneau, ayant pourtant dénoncé tous les prétextes mensongers du loup («Si ce n’est pas toi, c’est donc ton frère !») se fera, tout de même, bel et bien… dévorer.

La loi du plus fort remonte à la nuit des temps, bien évidemment, et se trouve solidement ancrée, par ailleurs, dans la nature, principalement au sein du règne animal, mais même dans le monde végétal. Les «mauvaises herbes», plus résistantes, n’ont-elles pas tendance à envahir et remplacer celles que l’on plante pour se nourrir ?

Cette loi du plus fort a dominé toute l’histoire de l’humanité, permis à une espèce d’hominidé d’en éliminer une autre, assuré les conquêtes tribales, établi le règne sans partage de rois et d’empereurs, alimenté les exterminations de peuplades plus timides, le viol de leurs femmes, la subjugation de leurs enfants (mamelouks, janissaires). Quand les religions s’en sont mêlées, cette loi a nourri l’inquisition, le djihadisme, les croisades, les conversions forcées à la pointe de l’épée, les misères plus récentes des Rohingyas ou des Yazidis…

On a pu croire que l’humanité choisissait, à partir du siècle des Lumières, de s’affranchir de la loi de la jungle. Il est vrai qu’à partir de ce tempslà, le savoir, la liberté et le bonheur s’installeront de manière beaucoup plus forte et que la raison prenait le pas sur l’obscurantisme, l’intolérance et les préjugés. Cependant, ce courant ne sut jamais convaincre tout le monde. Si l’union européenne est une tentative de mise en commun pour éviter les velléités de domination des États, que l’esclavage a disparu (ou presque), que les femmes ont le droit de vote, que le colonialisme est officiellement soldé et que le plan Marshall a été mis en place; l’humanité a quand même produit ses Pol Pot et ses Hitler, choisi Trump et le Brexit, et perpétue des systèmes de domination économique, dans la pure logique capitaliste.

On peut ainsi s’interroger sur l’avenir économique de notre pays. Si l’on doit obtempérer face aux conventions commerciales qui livrent nos petites industries productrices à la concurrence directe de productions bénéficiant d’économies d’échelle, comment fait-on ?

Prenez le sucre. Malgré la centralisation, la mécanisation partielle (et l’absence de cyclone !), nous demeurons, forcément, relativement inefficients face aux gros producteurs que sont le Brésil (1er) l’Inde (2e ) ou la Thaïlande (4e ). La fin des quotas menant au marché libre a poussé les gros producteurs, dont l’UE (3e ) et les États-Unis (6e ) à raisonner ainsi : plus ils en produiraient, plus bas seraient leurs coûts de production ! Ils raisonnent, de fait, comme nous, mais ils sont beaucoup plus gros et donc plus forts ! Résultat ? Une surproduction de presque 12 millions de tonnes de sucre et la chute des prix qui conduisent à la nécessité de «mesures de soutien» qui sont d’autant plus importantes dans les petits pays comme le nôtre, alors même que nos moyens nationaux sont plus limités… À ce propos, Reuters signale que les producteurs européens font des pertes alors que le prix moyen européen baissait à 374 euros, en janvier, pour une tonne de sucre blanc. Le prix du marché libre de Londres, le nôtre, était, au même moment de 280 euros, soit 25 % de moins…

Reconnus comme «plus faibles», nous avons longtemps été défendus par un prix garanti et des quotas. Que pouvons-nous faire à part subventionner et attendre que l’offre et la demande s’équilibrent assez rapidement ? On nous propose des accords bilatéraux sur des marchés plus rémunérateurs ? Or, il y a une raison à l’existence de ces marchés chers et c’est souvent parce qu’il faut protéger leur industrie locale… Est-ce donc raisonnable de croire que l’on va nous accueillir ? Un accord avec la Chine pour des sucres spéciaux, c’est gratuit ?

Il ne s’agit pas que du sucre. Les «plus forts que nous» décident des règlements de notre secteur offshore et grincent et punissent de liste «noire» toute incartade qui permet à trop de flux divers de leur passer sous le nez. Les «plus forts que nous» établissent les normes de production de nos industries si ces dernières souhaitent exporter, ce qui réduit, au moins en partie, leurs avantages concurrentiels. Les «plus forts que nous» sont en position d’exploiter les ressources maritimes de notre ZEE dans des accords qui ne nous rapportent pas grand-chose ou, pire, de le faire, gratuitement, dans notre dos. Les «plus forts que nous» pourraient demain, inspirés par Trump et les siens, décider de ramener les emplois de télémarketing, de textile ou de call centre chez eux pour les rendre «Great Again !»

Qu’est ce qui nous reste ? Quel est alors notre avantage comparatif ? Le tourisme ? Et si l’on nous boycottait pour l’outrecuidance avec laquelle on défiait le «droit du plus fort» anglais sur les Chagos ?

Il nous reste à planter du chanvre pour l’exportation ! Exportateur de «nissa», c’est encore permis ?

* * * * *

 La réforme électorale proposée par sir Anerood Jugnauth souffre de la même maladie. Avec son «correcteur» de la dose de proportionnelle qui était censée «corriger» les travers du First Past The Post, le ministre mentor ne cache pas son objectif : rétablir la domination de celui qui aura été le plus fort dans le système actuel du «winner takes all» !

Ce que les grands ont fait et font par-delà des océans, nous faisons pareil dans notre petite mare… Les règlements de comptes, le népotisme et les passe-droits sont en prime !

* * * * *

 À la veille des examens du SC et du HSC, grande montée de fièvre artificielle comme on semble en raffoler à l’île Maurice. Quand il pleut trop, on demande congé. Quand il y a beaucoup de travaux publics, comme ceux du Metro Express, ces jours-ci, on a des vapeurs à cause des embouteillages et on demande de la «flexibilité» de la part des autorités, si les élèves sont en retard pour leurs examens ! «Demander à un élève déjà stressé de quitter sa maison une heure plus tôt, c’est impensable», dit ainsi le président de la Fédération des collèges privés. «Nous contesterons les cas (d’enfants pénalisés)», ajoute le président de l’UPSEE, un syndicat. La présidente de la GSTU abonde dans le même sens.

Foutaise que tout cela ! La débrouillardise, ça ne s’enseigne plus ? Préfère-t-on à la place le misérabilisme de la victimisation ? Sortir de chez soi une heure avant le temps normal, ce n’est vraiment pas la mer à boire ! On peut d’ailleurs parier que ces mêmes jeunes ne sont pas en retard pour une séance de cinéma pendant les heures de classe ou encore une leçon particulière s’ils le souhaitent vraiment ? Quant au stress des examens, puis-je simplement suggérer que dans ces écouteurs qui pendouillent aux oreilles, on remplace Metallica et Iron Maiden par la Symphonie No. 5 de Beethoven ?