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De la plume et de l’épée...et des princes !

21 octobre 2018, 09:14

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La plume est plus puissante que l’épée : voilà une idée qui a fait couler de l’encre... et du sang.

Je me demandais, hier matin, en parcourant les actualités internationales ce qui était le plus révoltant : est-ce la barbarie avec laquelle le journaliste Jamal Khashoggi, en exil aux States, a été assassiné dans un consulat saoudien, ou est-ce le silence complice de tous ceux, y compris l’actuel gouvernement, qui n’osent pas condamner l’Arabie saoudite à cause des pétrodollars?

Derrière l’assassinat de notre confrère saoudien, il y a des mots qui n’ont pas plu au royaume. Il est important de relire ses écrits afin de cerner ce qu’il voulait dénoncer, mais aussi pour comprendre pourquoi certains peuvent dépêcher tout un commando afin d’exterminer un journaliste. Si le corps de Khashoggi a été découpé en petits morceaux avant d’être dissous dans de l’acide, ses articles vont demeurer intacts. Rien ne pourra effacer ses mots.

Dans son dernier article dans le Washington Post, publié le 17 octobre, Khashoggi évoque précisément la fâcheuse manie des dirigeants ou monarques qui tentent d’étouffer la voix des journalistes, pensant pouvoir ainsi tuer la démocratie. En guise d’hommage à sa lutte, que nous menons, ici aussi (toutes proportions gardées), en voici deux extraits (qui doivent par ailleurs résonner dans le contexte mauricien où certains tentent, laborieusement, de nous faire taire) :

“(...) Governments have been given free rein to continue silencing the media at an increasing rate. There was a time when journalists believed the internet would liberate information from the censorship and control associated with print media. But these governments, whose very existence relies on the control of information, have aggressively blocked the Internet. They have also arrested local reporters and pressured advertisers to harm the revenue of specific publications”.

“The Arab world needs a modern version of the old transnational media so citizens can be informed about global events. More important, we need to provide a platform for Arab voices. We suffer from poverty, mismanagement and poor education. Through the creation of an independent international forum, isolated from the influence of nationalist governments spreading hate through propaganda, ordinary people in the Arab world would be able to address the structural problems their societies face”.

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Bien avant ce dernier texte envoyé d’Istanbul, devenu fatalement un texte d’anthologie, Khashoggi a toujours été critique envers le prince héritier Mohammed ben Salmane – qui, un peu comme Pravind Jugnauth, a reçu le pouvoir, par transmission génétique, et sur un plateau d’argent. Les critiques de Khashoggi vis-à-vis du pouvoir lui ont causé beaucoup d’ennuis des autorités saoudiennes et il a dû se réfugier, en 2017, aux Etats-Unis, où il collaborait avec le Post. Ses écrits journalistiques constituaient le lien qu’il entretenait avec ses frères et soeurs saoudiens. Ses collègues du Post d’ailleurs reconnaissent qu’il écrivait par amour pour son pays, «car il a une foi profonde en la liberté et la dignité humaine (...) nous sommes très fiers d’avoir publié ses écrits.»

Dans une opinion, publiée le 18 septembre 2017, Khashoggi soulignait : «L’Arabie saoudite n’a pas toujours été aussi répressive. Mais maintenant c’est insupportable.» C’est le fils héritier qui a rendu l’air invivable pour ceux qui ont choisi de conserver leur esprit critique et qui refusent de se courber face aux derives du prince. «Mohammed ben Salmane nous avait promis une réforme sociale et économique. Il a parlé de rendre notre pays plus ouvert et plus tolérant et a promis qu’il s’attaquerait aux obstacles qui entravent nos progrès, comme l’interdiction de conduire pour les femmes. Mais tout ce que je vois maintenant, c’est la récente vague d’arrestations.»

Khashoggi notait tout et mettait la répression en relief : «Il y a eu de nombreuses personnes arrêtées par les autorités avant l’accession au trône du prince héritier. Certaines des personnes arrêtées sont de bons amis à moi, et cet effort représente l’humiliation publique d’intellectuels et de chefs religieux qui osent exprimer des opinions contraires à celles des dirigeants de mon pays. [...] Nous, les Saoudiens, méritons mieux.»

 

La plume de Khashoggi était vaillante et ne craignait pas l’épée du prince – du moins tant qu’il restait à l’abri aux States. Il n’a pas hésité à comparer le prince héritier à Vladimir Poutine, pour sa tolérance envers la corruption de son pays. «Les officiels et les princes deviennent milliardaires grâce à des contrats qui sont soit gonflés, soit un mirage complet.» En février 2018, Khasshoggi a demandé à ses compatriotes de faire pression sur le royaume afin que celui-ci s’inspire du règne de la reine Elizabeth : «La maison royale britannique a gagné une véritable stature, le respect et le succès en faisant preuve d’humilité. Si Mohammed ben Salmane peut écouter ceux qui le critiquent et reconnaître qu’eux aussi aiment leur pays, il peut renforcer son pouvoir.»

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Mais qui sont les journalistes ? Je me souviens des longues discussions animées que j’avais avec le rédacteur en chef mythique de l’express, le Dr Philippe Forget – oui, on le croyait à la retraite, mais il n’était pas vraiment en retrait, peut-être juste physiquement. Philippe disait que les journalistes n’étaient rien d’autre que des pauvres êtres humains : «Ni meilleurs ni pires que vous et moi.»

De ces échanges sur le métier-sacerdoce qu’on avait en commun, je retiens l’essence même de l’acte d’écrire ou de dire, c’est-à-dire cette conviction profonde que les journalistes ont en pensant détenir une vérité. Un politicien, qui veut se la jouer moderne, pourrait venir dire qu’il n’a rien contre les journalistes, et que ces derniers sont même utiles au fonctionnement de la démocratie. Et qu’il tente seulement, par exemple sur les ondes complaisantes de la MBC ou d’une radio privée, de faire le procès des fausses nouvelles et de ceux qui les colportent. Mais dit-il lui-même la vérité ? Nous faut-il rapporter ses propos comme de l’argent comptant ? Car il est tout juste possible qu’il ne dise pas la vérité et que le journaliste risque de colporter vers ses lecteurs, à plusieurs milliers d’exemplaires, un propos «dénué de tout fondement». Que faut-il alors faire ? Publier «sous toutes réserves» ?

Ah oui ! il faut contrôler l’information ? Mais, dans ce cas-ci, qui, quoi et comment contrôler ?

De par notre expérience de journaliste, on estime qu’il est difficile de faire croire à un citoyen de bon sens qu’un journal, qui ne peut survivre que grâce à sa crédibilité, invente de fausses nouvelles dans le but délibéré de faire du tort à X ou à Y. Ce serait, à l’évidence, une politique suicidaire. Les nouvelles inexactes – et il y en a – ne sortent pas de l’imagination de la presse. Elles ont des sources. Ces sources fournissent des détails qui paraissent plausibles.

Le lecteur sait-il que, le plus souvent, l’animosité, dans le cas d’une nouvelle inexacte, n’est pas le fait de la presse mais de la source du journaliste concerné ? Et que cette source est souvent le fait de la classe politique qui s’entre-déchire à tous coups; les coups bas n’étant pas exclus ? Et que ces sources intéressées se trouvent aussi assez souvent dans l’entourage, et même au sein du pouvoir (je dirais même au coeur du PMO) ? Car la rivalité, la jalousie, la rancune ne sont pas exclues des mentalités des politiciens et des pseudo-journalistes. Pour les avoir subis, le Dr Forget insistait : «Ces rivalités ne sont pas l’apanage des seuls politiciens; dans la bureaucratie du pouvoir, elles pullulent.»

Il faudrait donc que le journaliste ne se fie qu’aux sources fiables. Comment faire alors ? Car ce n’est pas écrit sur son front quand quelqu’un l’informe avec des «ulterior motives». Les difficultés de la presse ne s’arrêtent pas là. Dans tous les secteurs de la vie d’un pays, l’intérêt prime souvent sur la vérité. Entre industriels, commerçants, fournisseurs, conseillers-fossoyeurs, experts, candidats, travailleurs sociaux, avocats véreux, et journalistes/reporters-mercenaires, on ne se gêne aucunement pour se lancer des peaux de bananes.