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Faut-il ‘dépaulitiser’ le militantisme ?
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Faut-il ‘dépaulitiser’ le militantisme ?
Ils ont pris quelques rides, ont peut-être moins de cheveux sur la tête, marchent avec une canne ou d’un pas moins allègre, ont rangé leurs pattes d’eph’, mais ont conservé leur barbichette des années 70-80 et leur appétit pour le discours public. Hier, à la mairie de Port-Louis, pendant près de trois heures, trois militants des années de braise étaient les têtes d’affiche d’une réflexion citoyenne nécessaire : Militantisme, quel avenir ?
À la place des jeunes, il y avait surtout des nostalgiques de cette époque révolue du MMM, c’est-à-dire quand le débat d’idées existait encore.
Hier, sans le faire de manière frontale, Jack Bizlall, Jean-Claude de l’Estrac, Jayen Cuttaree, Steve Obegadoo – ils ont pris leurs distances de Paul Bérenger dans cet ordre chronologique – ont réglé leurs vieux comptes avec le leader du MMM, en partageant leurs expériences et perspectives de «militant».
D’emblée Bizlall, le révolutionnaire devenu philosophe, a récusé le terme ‘ancien militant’ dont Pradeep Jeeha l’a gentiment affublé. «On demeure militant même si on n’est plus au parti.» Steve Obeegadoo a, lui, répété, comme s’il avait toujours devant lui cet homme moustachu, physiquement absent hier, mais paradoxalement si présent dans les discours et les esprits. Steve a asséné : «On peut être militant sans être au MMM. Et on peut être au MMM sans être militant !»
Jayen Cuttaree, qui faisait son comeback public, et son vieil ami Jean-Claude ont surtout insisté sur ce besoin de redéfinir le terme militantisme à la lumière des réalités de 2018. En bref : de quel militantisme parle-t-on? Parlons-nous le même langage pour commencer… Et cette définition des jeunes d’hier est-elle partagée par ceux d’aujourd’hui ?
L’ancien rival de Bérenger au no 19, qui est connu pour ses désaccords avec le lider maximo – ce qui devait provoquer la scission de 1994 – a joué à l’historien, en précisant qu’il a été un acteur de l’époque : «Les 50 ans d’histoire du MMM ont été marqués par des phases successives, contradictoires, et incohérentes. S’il est vrai qu’il est possible d’identifier un corpus d’idées, une cohésion doctrinale et des principes communs à ces différentes étapes, il faut d’abord bien différencier les périodes.»
De L’Estrac et ses amis ont souligné les traits d’au moins quatre périodes :
1) La tentation révolutionnaire, qui passe par la transition du Club des étudiants en Club des étudiants militants en 1969 – ce qui marque l’introduction du terme ‘militant’ dans le vocabulaire politique mauricien.
2) La deuxième période «insurrectionnelle» couvre les années post-1970, après la victoire de Dev Virahsawmy à PamplemoussesTriolet, la violence politique, la clandestinité et la prison…
3) La troisième période, au sortir de la prison, axée sur la conquête du pouvoir, qui devient l’objectif central, au détriment des valeurs du militantisme (anti-communalisme, anti-capitaliste, anti-compromis, etc). Selon de L’Estrac, c’est «le temps de l’apprivoisement», soit l’apprentissage et la pratique de la realpolitik mauricienne. Bérenger deviendra vite un expert de l’Ethnic Politics et va créer un laboratoire…
4) La quatrième période commence en juin 1982, soit «le temps des renoncements». C’est le décalage à l’extrême du discours «non à la lutte des races, oui à la lutte des classes» et les stratégies pouvoiristes sur le terrain…
«Avec la conquête du pouvoir, par la force des réalités objectives, nationales et internationales, les rêves révolutionnaires se fracassent sur les murs insensibles du FMI et de la Banque mondiale. C’est la désaffection du mouvement syndical, longtemps la force vitale du MMM», relève De l’Estrac, sous le regard amusé d’un Bizlall qui était de ceux qui pensaient que De l’Estrac embourgeoisait le MMM à l’époque… La vérité c’est ce que chacun militait dans un milieu social différent.
On ne sait pas si le tandem ObeegadooJeeha va profiter du forum d’hier, mais, malgré la faible assistance, il aura été utile car il a permis de questionner et de redéfinir les engagements de ces militants qui occupent la place depuis notre indépendance et qui sont toujours plus ou moins présents dans l’espace public.
S’ils reconnaissent qu’il faut passer la main aux jeunes, ils pensent légitimement qu’ils doivent faire partie de cette transition entre générations. Seul point faible : face aux discoureurs, il n’y avait qu’une femme sur l’estrade hier. Françoise Labelle qui a évoqué pourquoi il importe de militer pour les plus vulnérables de la société.
À la clôture des débats, la première main levée pour poser une question était celle de Jocelyne Minerve. C’est à ce moment qu’on a pris congé des papys locaux du militantisme…
* * *
Militer. L’étymologie renvoie à «soldat». Hier, c’était l’embrigadement dans des branches, comités centraux, bureaux politiques, assemblées générales. On militait en groupes. Aujourd’hui, on occupe les murs autrement. La colle à base de farine pour coller les affiches a été remplacée par des hashtags.
Quoi qu’en disent les anciens camarades, qui ne comprennent pas l’absence des jeunes, le militantisme n’est pas mort. Il revêt tout simplement d’autres formes. La jeunesse milite à sa façon. Cela ne veut pas dire qu’elle est moins engagée.
Nos journalistes qui interrogent la jeunesse mauricienne sur une base quasi quotidienne réalisent qu’il n’y a pas lieu de réveiller la flamme de l’engagement car ce désir est déjà partagé par notre jeunesse – il n’y a qu’à voir les nombreuses pétitions qui circulent en ligne et les vidéos qui se fichent des ministres comme Gayan – qui avait dit qu’on a exagéré les dégâts liés aux drogues synthétiques – et Koonjoo – qui traîne un boulet aussi lourd qu’une baleine.
Mai 1968, les drapeaux de la jeunesse étaient multiples. Le collectif était la norme . On adhérait à des partis pour la vie. Mais 50 ans plus tard, à Maurice comme ailleurs, les partis politiques traditionnels n’ont plus la cote d’antan. Nous nageons en pleine crise de la défiance. Les électeurs boudent les urnes. La démocratie en sort affaiblie, de plus en plus.
Nous ne sommes pas en mai 1975, c’est derrière un écran qu’on milite. Au milieu de cette ébullition cybermilitante, les nouvelles causes du militantisme, avec leur mot-dièse, enflamment les réseaux sociaux et les portables de la jeunesse. Ces actions spontanées relèvent, selon les experts en sciences sociales, de l’«hashtivisme». Et il est important de décoder cet engagement sur la Toile afin de pouvoir le relier avec le militantisme post-1968, afin précisément de ne pas tourner le dos au passé, ni à nos jeunes militants qui donnent faussement l’impression de prôner la politique de la chaise vide.
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