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La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas
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La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas
«Le plus grand ennemi des médias n’est pas l’État mais le pouvoir de l’argent et les pouvoirs obscurantistes qui créent des organes de presse pour en faire des instruments de propagande et de pression.» Ces mots auraient pu être les nôtres, c’està-dire nous, journalistes libres. Ils ne le sont pas. Ils sont ceux d’un dirigeant politique, le président sénégalais Macky Sall, qui se targue, à l’international, de n’avoir jamais poursuivi au pénal un seul journaliste. Ils sont complètement à l’opposé de ceux que prononce matin, midi et soir, le Premier ministre de notre pays, qui imitant l’escroc Rahim, utilise une section de la presse contre l’express. Comme d’autres dirigeants avaient fait avant lui. C’est dire que sur le plan démocratique, nous sommes vraiment loin, en 2018, du débat progressiste qui anime les capitales d’ailleurs.
Alors que chez nous, Pravind Jugnauth a fait passer et promeut, ainsi que sa troupe de suiveurs, une loi liberticide, et peut-être même anticonstitutionnelle, qui vise à étouffer la liberté d’expression des citoyens mauriciens, dont celle des journalistes, dessinateurs de presse, éditorialistes, Macky Sall, lui, fait partie des 12 chefs d’État et de gouvernement (le Burkina Faso, le Canada, le Costa Rica, le Danemark, la France, la Lettonie, le Liban, la Lituanie, la Norvège, le Sénégal, la Suisse et la Tunisie) qui ont choisi d’endosser, dimanche à Paris, le projet d’un «pacte sur l’information et la démocratie» initié par Reporters sans frontières afin, précisément, de mieux protéger la liberté de la presse et lutter contre la désinformation, comme celle pratiquée par la MBC et d’autres médias locaux qui vont se reconnaître docilement…
Le droit à l’information est sacré – c’est le socle sur lequel pousse toute démocratie qui aspire à le devenir – oui, la démocratie demeure un processus ; et ce droit, avec ou sans Freedom of Information (FOI), n’est pas seulement l’apanage des pays développés. «En Afrique, il y a également une volonté de plus en plus affirmée d’assurer la protection des journalistes et de créer les conditions d’un exercice libre de cette profession», met en exergue le président sénégalais. «On a une offensive idéologique du djihadisme, de régimes autoritaires, de mouvements extrêmes qui de tous côtés se dévoilent être des ennemis de la liberté (…), cherchent à contrôler, censurer, exporter leur modèle, qui lancent des campagnes massives de désinformation et qui s’attaquent aux journalistes», déplore, pour sa part, Emmanuel Macron, qui pousse pour le multilatéralisme.
Les réseaux sociaux ajoutent, dans ce contexte d’ouverture, un nouvel espace de liberté dans le paysage médiatique. Comme le dit Macron,«ils offrent aussi des opportunités de manipuler les opinions à grande échelle et fragilisent l’économie des médias». Alors, posonsnous la question : pourquoi, chez nous, on veut réduire au silence des Ruhomally, Korimbocus et autres Paul Lismore, qui ont le mérite, qu’on soit d’accord ou pas avec eux, d’apporter au débat national la pensée contradictoire, certes avec sa dose de foutantisme et d’irrévérence ?
* * *
Mais qui sont les journalistes qu’on attaque sans cesse ? Ah bon ! Il faut contrôler l’information ? Et, dans ce casci, qui, quoi et comment contrôler ?
De par notre expérience de journaliste, on estime qu’il est difficile de faire croire à un citoyen de bon sens qu’un journal, qui ne peut survivre que grâce à sa crédibilité, invente des fausses nouvelles dans le but délibéré de faire du tort à X ou à Y. Ce serait, à l’évidence, une politique suicidaire. Les nouvelles inexactes – et il y en a chez nous, comme ailleurs – ne sortent pas de l’imagination de la presse. Elles ont des sources. Ces sources fournissent des détails qui paraissent plausibles.
Le lecteur sait-il que, le plus souvent, l’animosité, dans le cas d’une nouvelle inexacte, n’est pas le fait de la presse mais de la source du journaliste concerné ? Et que cette source est souvent le fait de la classe politique qui s’entre-déchire à tous coups, les coups bas n’étant pas exclus ? Et que ces sources intéressées se trouvent aussi assez souvent dans l’entourage, et même au sein du pouvoir (je dirais même au cœur du PMO) ?
Il faudrait donc que le journaliste ne se fie qu’aux sources fiables. Comment faire alors ? Car ce n’est pas écrit sur son front quand quelqu’un l’informe avec des «ulterior motives». Les difficultés de la presse ne s’arrêtent pas là. Dans tous les secteurs de la vie d’un pays, l’intérêt prime souvent sur la vérité. Entre industriels, commerçants, fournisseurs, conseillers-fossoyeurs, experts, candidats, travailleurs sociaux, avocats véreux et journalistes/reporters-mercenaires, on ne se gêne aucunement pour se lancer des peaux de bananes.
Puis, vient le conseiller juridique, qui a souvent beau rôle de souligner que notre code de déontologie nous déconseille de ne se fier qu’à une seule et unique source ; le journaliste doit, selon le légiste, contrôler l’information qu’il a reçue, il doit confronter les parties concernées et adverses, il doit douter des détails et des perceptions, il doit prévenir tout sujet concerné qu’une information le concerne ; et, pour agir, selon ce code, il faut trouver des gens souvent indisponibles. À noter que cette source, si seule, est invitée à donner des preuves tangibles de ce qu’elle dit (comme dans le cas d’Ameenah Gurib-Fakim ou celui d’Anoop Nilamber).
En somme, entre le briefing matinal et le «deadline» éditorial, il est demandé au journaliste de procéder à une étude, à une enquête en profondeur du genre de celles qui prennent jusqu’à des années aux experts, au judiciaire et aux commissions d’enquête et à la police ! Surtout quand l’on fait tout pour ne pas venir de l’avant avec une loi – et surtout une culture – relative au FOI.
Mais les journalistes ne sont pas le Bon Dieu, pardi ! La justice est bien placée pour savoir que deux parents d’un même enfant ou trois témoins d’un même incident peuvent donner, sous serment, des versions différentes de ce qui s’est réellement passé. Et il n’est pas rare que les témoignages contradictoires soient également de bonne foi. «Les perceptions et les circonstances colorent différemment une même situation.»
Au final, tout journaliste qui a pu, en diverses occasions, vérifier qu’une source est «fiable» n’a aucune garantie qu’elle ne sera pas, un autre jour, malsaine. Il faudrait des volumes pour faire le tour des responsabilités réalistes du journaliste. Il est victime des circonstances, fautif d’être crédule, quelque-fois fautif tout court. Mais s’agissant des relations entre la classe politique et la presse, comme ces attaques de la presse pro-royaume saoudien contre Khashoggi, ou ces tentatives de musellement des gouvernements Ramgoolam ou Lepep contre l’express, il existe un danger encore plus périlleux : c’est la désinformation, les désormais fameuses Fake News.
Alors que la fausse nouvelle délibérée et pernicieuse nous paraît d’ordre exceptionnel, la désinformation délibérée est rampante, aussi fréquente en tous cas que la médisance et la calomnie de bouche à oreille dans toute la population. En somme, on demande à la presse d’être vertueuse, à cheval sur les principes, obéissante à une éthique supérieure, alors qu’elle n’est, souvent, que le reflet de la société, véhicule d’un dialogue nécessaire à la démocratie. Certains, heureusement, s’accrochent à des principes immuables et à un idéal, et se font un point d’honneur d’élever le débat ou… de freiner la chute vers l’enfer !
N’oublions pas que nous avons déjà survécu à la censure sous SSR, la tentative d’asphyxie financière sous SAJ et, plus récemment, sous Navin Ramgoolam, ou la tentative d’enfermement sous Pravind Jugnauth…
La route vers le Sénégal est longue. Mais elle passera par le Privy Council et les prochaines législatives. Forcément.
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