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Gilets jaunes, rage verte

23 novembre 2018, 07:26

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Voitures calcinées, commerces lapidés, scènes de guérilla entre policiers et manifestants. Le pire et le moins pire s’expriment dans ces violences urbaines qui éclatent un peu partout en France et à La Réunion. Dans certains cas, il y a des mobilisations ordonnées comme les opérationsescargots, mais dans pas mal d’autres, la situation échappe à tout contrôle. La colère des gilets jaunes n’est pas passagère ; elle est sourde. Les risques de dérives violentes sont réels. Le mouvement populaire pour protester contre la hausse du prix des carburants et, partant, contre la baisse du pouvoir d’achat, est entré dans une phase de radicalisation – ce qui n’est pas propice au dialogue social.

Didier Robert, le président de Région Réunion, qui a été menacé de mort à St-Denis, préfère s’en remettre à Emmanuel Macron. Son SOS est le suivant : «Monsieur le Président, je lance un appel solennel pour que vous preniez toutes les mesures nécessaires pour la protection des personnes et des biens dans notre île. Je lance également un appel solennel pour que l’État engage les mesures d’urgences incontournables et les mesures de fond indispensables comme garanties d’un développement économique et social mieux partagé et plus solidaire. Il faut, Monsieur le Président de la République, de manière urgente, entreprendre d’établir le dialogue avec les Réunionnais porteurs de revendications légitimes, des revendications que j’entends et que je défends sur la question globale du pouvoir d’achat…» Didier Robert sait bien que les Réunionnais aiment rouspéter et manifester leurs désaccords, mais il a été, cette fois-ci, pris de court par «les mouvements de violences qui terrorisent les familles», y compris la sienne.

Qui portent donc ces gilets jaunes ? Des citoyens aux profils divers, normalement divisés, aux parcours et sensibilités différents, qui se retrouvent rassemblés autour d’une même cause, défendue à l’unisson sur les réseaux sociaux. Le danger du mouvement, c’est qu’il n’y a pas de porteparole ou de leader pour représenter les dizaines de milliers de manifestants. C’est dire que les tentatives de récupération sont grandes. Chaque opposant entend tirer un capital politique de ce mouvement cautionné par au moins 70 % des Français. Il n’y a pas que le Front national, mais les autres partis politiques également font toutes sortes de contorsions pour tenter de porter la voix plurielle des gilets jaunes. Comme la doctrine des gilets jaunes est vague, elle se retrouve partagée par une brochette de politiciens aux agendas dissemblables : Marine Le Pen, Florian Philippot, François Ruffin ou encore Jean-Luc Mélenchon…

La goutte de pétrole qui a fait déborder le vase de la rue, c’est cette volonté d’Emmanuel Macron de taxer les automobilistes afin d’accélérer «la transition écologique». Pour les citoyens, c’est une injustice, un mensonge électoral, d’autant que la République En Marche avait promis de faire table rase des logiques de la droite et de la gauche – renversant le paysage politique traditionnel – et de provoquer une hausse du pouvoir d’achat. «Emmanuel Macron se retrouve aujourd’hui seul face aux Français, analyse le politologue Brice Teinturier. Comme l’opposition est désormais inaudible, les Français ne peuvent imaginer une alternance, ce qui calmerait le jeu. Conséquence : ils se radicalisent et leur exaspération est inflammable.»

Et aujourd’hui, plus d’un réalisent que les conséquences de la colère citoyenne peuvent être bien plus graves que leurs causes. Le mouvement citoyen ne peut qu’enfler sur les réseaux sociaux que Macron voulait à tout prix contrôler – un peu comme Pravind Jugnauth essaie de le faire chez nous. Les dirigeants sont méfiants : aujourd’hui, grâce à Facebook ou Twitter, par exemple, des citoyens peuvent donner rendez-vous à leurs semblables pour faire cause commune contre eux. L’homo economicus rompt avec sa solitude. Et pour rejoindre la lutte contre un pouvoir impopulaire, qui inflige des taxes et des amendements liberticides, il suffit désormais de porter l’étendard de la révolte, de changer sa profile pic. Sur son mur, et dans la rue.

En France comme à Maurice, il importe de revoir le dossier du pouvoir d’achat. Face aux largesses des dirigeants, l’homme de la rue comprend de moins en moins pourquoi il lui faut se serrer la ceinture en quasi-permanence. Il ne comprend pas pourquoi il y a une augmentation des taxes sur les carburants quand le cours mondial grimpe alors que les prix à la pompe ne baissent pas quand le prix du baril redescend. Ce qui le rend furax, c’est l’arrogance de ceux au pouvoir qui ne se privent pas en termes de per diem ou de grosses cylindrées.

Pour dépassionner les discussions, il y a, d’autre part, lieu de lier le dossier énergétique avec le dossier écologique afin qu’on puisse avancer, ensemble, sans avoir peur du hedging comme certains à Air Mauritius, ni des réseaux sociaux comme d’autres au PMO. Car à l’image de la campagne électorale de Macron, celle des gilets jaunes a déjà traversé les frontières et les clivages. L’île soeur, qui a un taux de chômage supérieur à 20 %, n’est pas loin de nous, géographiquement. Les étincelles peuvent être portées par le vent, même si les avions ne décollent pas. Littéralement, il faut éviter que cette brutale contestation gagne nos rives. Pour cela, il ne faudrait pas que certains incendiaires tentent de prendre notre pays et son développement économique en otage, en essayant d’étouffer la parole citoyenne et de boycotter les vrais journalistes.