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Projet de société: la bombe démographique ?

23 novembre 2018, 11:13

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Projet de société: la bombe démographique ?

La problématique démographique pour Maurice n’est pas que le vieillissement de la population. Nous serons aussi confrontés à des problèmes de migration dans toutes ses dimensions, à l’ouverture sur le monde, et à la question de la diaspora. Soulignons ici qu’immigration et émigration ont été une constante de notre histoire démographique, qui a connu le boom de l’après-Seconde Guerre mondiale, la sonnette d’alarme de Richard Titmussi et le travail de la MFPA avec la campagne courageuse pour le contrôle des naissances. Nous avons commencé à récolter les fruits de cette campagne au moment de l’Indépendance en 1968. Cinquante ans après, en 2018, la question démographique se pose de toute autre manière avec le vieillissement de la population comme enjeu sociétal de l’avenir.

Population vieillissante

La tendance de l’évolution de la population mauricienne sur le XXle siècle montre un décroissement et un vieillissement. Selon les projections de Statistics Mauritius, la population de Maurice va commencer à décroître entre 2021 et 2026. Cela s’explique par une baisse du taux de natalité (nombre de naissances par rapport à la population), qui est passé de 31 pour 1 000 en 1968 à 10,4 pour 1 000 en 2016 ; et un allongement de l’espérance de vie. En effet, l’espérance de vie à la naissance est passée de 59 ans en 1960 à 74 ans en 2016 (77 ans pour les femmes et 71 ans pour les hommes).

Le taux d’accroissement de la population a baissé de 3 % en 1960 à 0,3 % en 2015. Le taux de fécondité (nombre de naissances par rapport au nombre de femmes en âge de procréer) a chuté de 6 enfants par femme en 1960 à 1,37 en 2016. Cette baisse est attribuable, en premier lieu à l’adoption du planning familial ; et en deuxième lieu aux mariages qui ont lieu à un âge plus tardif. L’utilisation de contraceptifs, qui était négligeable au début des années 1960, s’élevait à 75 % des femmes en âge de procréer en 1991.

Le taux de mortalité est passé d’environ 9 pour 1 000 en 1968 à 8,1 pour 1 000 en 2016 ; tandis que le taux de mortalité infantile (rapport entre le nombre d’enfants morts avant l’âge d’un an sur le nombre total d’enfants nés vivants) qui se situait autour de 63 pour 1 000 en 1968 a chuté pour atteindre environ 12 pour 1 000 en 2016.

Les Mauriciens se marient plus tard : entre 1990 et 2015, l’âge moyen de mariage est passé de 24,3 ans à 27,3 ans pour les femmes, et de 29 ans à 30,8 ans pour les hommes ; la moyenne de l’âge matrimonial est passée de 19,9 ans en1962 à 23,8 ans en 1990. Le taux de nuptialité (le rapport entre le nombre de mariages civils dans l’année et la population totale moyenne de cette année) a baissé : de 21,1 en 1993, il est passé à 15,4 en 2015. Le taux de divorce indique, quant à lui, une tendance vers la hausse, passant de 1,4 pour 1 000 en 1993 à 3,4 pour 1 000 en 2015.

Émigration–Migration circulaire

Selon les chiffres compilés par Monique Dinanii, qui a étudié le phénomène de l’émigration, quelque 30 000 Mauriciens ont quitté le pays entre 1961 et 1972 et 36 000 autres sont partis entre 1973 et 1982. Il y a donc eu un exode de quelque 66 000 Mauriciens sur les deux décennies qui ont précédé et suivi la période cruciale de l’Indépendance. La décennie 1990 voit un revirement : si le nombre de départs est à la hausse, les retours sont encore plus forts (28 000 retours de plus que le nombre de départs).

Au XXle siècle, la tendance est vers le départ. Selon les estimations de Statistics Mauritius, environ 29 000 Mauriciens ont quitté le pays entre 2000 et 2010, tandis que 9 000 étrangers y sont venus. La question de la diaspora mérite une sérieuse réflexion car elle recèle un réel potentiel pour le développement de Maurice dans les années à venir. Il s’agit de transfert de connaissances et d’expériences acquises dans les quatre coins d’un monde globalisé. Il y a aussi tout le volet de retour au pays qui a fait l’objet de propositions intéressantes : dégager une forte identité commune, fédérant les segments de la diaspora. Le débat, y compris sur Facebook, sur la question qui a suivi l’article de Dev Sunnasyiii récemment dans Le mauricien, est porteur de pistes à explorer concrètement.

La migration circulaire est une nouvelle forme d’émigration qui prend une ampleur grandissante à Maurice. Ce phénomène migratoire est défini par le Forum mondial sur la migration et le développement comme «un mouvement fluide des populations à travers les pays, et qui est lié à des besoins de travail des pays d’origine et d’accueil».

C’est en 2008 que le gouvernement d’alors a adopté une politique de migration circulaire, offrant ainsi la possibilité aux Mauriciens d’acquérir une expérience professionnelle à l’étranger. En ligne avec cette approche, l’État mauricien a signé des accords de migration circulaire avec plusieurs pays, dont le Canada, l’Italie et plus récemment l’Arabie saoudite. Le Canada fait partie des pays qui ont accueilli un grand nombre de Mauriciens par le biais de ce programme. Plusieurs centaines de nos compatriotes y ont pris de l’emploi depuis 2010 comme soudeurs, nettoyeurs, mécaniciens, peintres industriels, conducteurs de poids lourds, charpentiers, entre autres.

Le champ de possibilités d’emploi (hors émigration circulaire) s’est élargi à d’autres pays, dont les États-Unis et l’Arabie saoudite. Ainsi, l’espace économique permettant aux Mauriciens de trouver un emploi à l’étranger est en cours, et possède un réel potentiel dans la région de l’océan Indien, et en Afrique, notamment.

Immigration– Travailleurs étrangers

L’autre fait démographique majeur dans la dynamique globale actuelle et à venir est les travailleurs étrangers. Le nombre de travailleurs étrangers est estimé à plus de 41 000. Ils sont issus majoritairement de quatre pays. Le plus grand nombre, soit près de 22 000, vient du Bangladesh ; environ 8 000 sont de l’Inde, 4 000 sont des Malgaches et 2 500 viennent de Chine. Maurice accueille aussi des travailleurs étrangers en provenance du Sri Lanka, du Népal et de quelques pays d’Afrique. Le manufacturier et la construction sont les secteurs qui emploient la plus grande part de main-d’oeuvre étrangère.

Cette main-d’oeuvre étrangère est souvent composée d’ouvriers qualifiés qui font le choix de venir travailler à Maurice pour pouvoir aspirer à toucher un salaire décent et aider ainsi leurs familles restées au pays. L’apport des travailleurs étrangers à l’économie mauricienne est reconnu, avec le secteur industriel et celui de la construction qui en dépendent. Cependant, leurs conditions de vie sont contraires aux droits humains et tout simplement inacceptables : dortoirs insalubres, contrat de travail non respecté, fausses promesses, comportement abusif… La liste est longue. À l’État d’assumer sa responsabilité en prenant des actions fortes, entre autres pour rendre le processus de recrutement plus transparent et en sanctionnant le non-respect des procédures et les abus. Il y a également toute la question de l’intégration sociale même à considérer.

L’enjeu démo-économique

Le vieillissement de la population pose un problème économique aigu qui demande une attention immédiate. C’est un dossier sensible sur lequel les politiques préfèrent la fuite en avant. Ce qui est tout simplement irresponsable. Il faut engager le débat pour trouver des solutions concrètes car il s’agit aussi d’une nouvelle donne sociétale qui se pose déjà.

Une population vieillissante veut dire que le ratio de dépendance va augmenter ; le ratio de dépendance étant le rapport entre l’effectif des personnes d’âges généralement inactifs (soit les retraités et les jeunes de moins de 15 ans) et l’effectif de la population en âge de travailler (les actifs). Ce taux était de moins de 0,1 pour 100 en 1960 et est passé à 0,2 en 2015 ; la projection montre une hausse rapide de ce taux pour atteindre 0,6 en 2060. Si l’âge de la retraite est de 65 ans au lieu de 60 ans, cette hausse est ralentie et culmine à 0,4 en 2070. Un ratio de dépendance élevé montre une plus grande dépendance des inactifs sur la population active.

Sur la base de projections de référence établies, le National Pensions Fund (NPF) ne sera pas viable en ce XXle siècle, estime un rapport du Fonds monétaire international de 2015. Ce working paper, «Pensions Reforms in Mauritius : Fair and Fast – Balancing Social Protection and Fiscal Sustainability» iv, avance que le NPF va épuiser ses fonds d’ici 2063 (en tenant compte de certaines suppositions). Il présente des propositions pour éviter ce scénario et faire baisser le ratio de dépendance. Parmi elles, des mesures pour faire monter le taux de natalité (subvention au congé parental par exemple) et l’effectif de la population active (encouragement de l’immigration de travailleurs hautement qualifiés, par exemple). L’un des objectifs clés de réformes du NPF, écrit le rapport, est de s’assurer que les seniors puissent disposer de suffisamment de ressources pendant leur retraite, surtout ceux qui n’ont que la pension de base nationale (pension de vieillesse) comme source de revenus. Trois autres propositions concernent l’âge de la retraite en raison de l’allongement de l’espérance de vie, une forme de «targeting », et une augmentation du taux de contribution au fonds de pension.

Le défi sociétal

La vieillesse est difficile à définir tant se recouvrent ou s’opposent une série de termes, tous sources d’enjeux : personnes âgées, vieillards, troisième âge, quatrième âge, aînés, retraités, seniors, etc. Si la catégorie statistique des «personnes âgées» fixe le seuil à 60 ans, bien des sexagénaires refuseraient un tel classement. Aujourd’hui, l’espérance de vie a des conséquences nettement plus complexes au niveau de l’identité sociale, de l’intégration, des comportements sociaux de ces nouvelles catégories de population. Les spécialistes/ chercheurs avancent que l’expression «troisième âge» s’est trouvée définie en opposition à la vieillesse, le «troisième âge» aspirant à être une nouvelle jeunesse.

Les personnes âgées constituent un groupe d’âge hétérogène. Il existe des pratiques spécifiques des personnes âgées tant pour les activités culturelles et sportives que pour les technologies nouvelles et une vie associative visant une meilleure intégration. Ces fameux «clubs du troisième âge» ont rencontré un grand succès, participant à la construction du «troisième âge» comme classe de loisirs.

Il convient dorénavant d’appréhender la vieillesse à travers le processus de vieillissement – diminution du nombre de rôles sociaux joués par l’individu, baisse de ses interactions sociales et un changement dans la nature de ses relations qui sont désormais davantage l’expérience du vieillissement ordonnée autour de deux expériences : devenir vieux, puis être vieux. Trois «moments de transition» informent cette expérience : la retraite, le veuvage et l’entrée en maison de retraite. Le Global Age Watch Index 2015 classe Maurice à la 42e place dans le monde et premier en Afrique. Mais il y a encore du chemin à faire.

La problématique de la vieillesse soulève des questions de la prise en charge, du maintien dans le lieu de vie, de l’hospitalisation et des homes, de l’infrastructure urbaine inadaptée. Sachons que les personnes âgées ne sont pas que vulnérables et dépendantes. Elles font des choix, votent plus que les plus jeunes, sont actives et se déplacent. Il faut aussi travailler sur les services à domicile ou l’intelligence artificielle, déjà mis à contribution pour soutenir l’accompagnement humain.

C’est une autre phase de notre riche et passionnante histoire démographique – qui, en passant, reste à écrire – qui s’ouvre. Comme par le passé, il nous faudra faire preuve de vision et d’intelligence pour négocier les solutions à ces différents enjeux. Quant à la problématique sociétale de la vieillesse, nous disposons d’atouts sociologiques et culturels pour développer un modèle original en nous inspirant de ce qui se fait dans d’autres sociétés du monde.

i Social policies and population growth in Mauritius, Richard M. Titmuss and Brian Abel-Smith, assisted by Tony Lynes, Mauritius Legislative Council, 1960

ii Sommet de la diaspora indienne. Leçons à retenir.

iii DÉVELOPPEMENT DE MAURICE : Quelle est la place de la diaspora mauricienne?

iv Pension Reforms in Mauritius : Fair and Fast—Balancing Social Protection and Fiscal Sustainability