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Et si tout foutait le camp derrière des façades ?

25 novembre 2018, 07:43

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Nous aimons beaucoup les classements de pays qui nous sont favorables. C’est bon pour nos ego. Cela peut aider à ravaler la façade. Cela nous flatte et nos dirigeants s’y accrochent comme des huîtres à leur petite roche, avec fierté, voire vanité. Comme des huîtres, cependant, on peut rester muet. Notamment sur d’autres vérités fondamentales. Notre pays a fait de grands progrès sur de nombreux plans, y compris sur l’index de la Banque mondiale (BM) du «Ease of Doing Business» où nous sommes désormais dans le peloton de tête des 20 meilleurs pays de la planète. Vous vous rendez compte ! Ça paraît extra ! Là n’est pas le problème, évidemment. Notre vrai problème, ce sont plutôt nos reculades et nos occasions ratées qui ne sont pas nécessairement notées par ces index…

Prenez le «Ease of Doing Business Index» justement. Tout en le célébrant, ne faut-il pas savoir ce qu’il souligne, ce qu’il mesure effectivement ?

La BM précise bien que c’est un benchmark des règlements qui est rassemblé grâce aux contributions et avis de 12,500 «experts» (avocats, comptables etc…) éparpillés dans 190 pays. Qui sont nos «experts», à nous, l’on ne sait pas ! Ce serait pourtant utile de le savoir, puisque tant de choix sont faits sur des bases partisanes dans ce pays… Cependant, ce qu’ils font avant tout c’est de noter la réglementation et les lois qui quadrillent l’activité économique du pays, selon les desiderata de la BM. Des estimations de coûts et de temps y sont ajoutées. Sont concernés dix aspects tels l’accès à l’électricité, les permis de construction, le crédit, la justesse et la simplicité de la fiscalité, la simplicité des procédures pour le commerce, l’ouverture et la fermeture d’une compagnie, la loi des contrats, la protection des investisseurs, l’enregistrement d’un achat immobilier… Toutefois, ces indices ne mesurent pas la non-indépendance des institutions supposées être indépendantes, l’iniquité apparente dans le recrutement, les nominations, les contrats, les décisions aberrantes, comme la dénonciation du contrat de Betamax en dépit du bon sens, par exemple, ou la non-reconnaissance de l’équivalence d’un certificat éducatif pourtant déjà reconnu par une centaine d’autres pays. Parmi les autres composantes d’une économie qui tourne (ou pas !), incluez les bouchons sur la route, les queues d’attente à l’hôpital ou à l’état civil, les difficultés pour une connexion d’eau ou les robinets qui ne coulent pas, les situations enivrantes de Bal Kouler, l’impossibilité de faire asphalter des routes – même en milieu industriel, les invitations faites (pour meubler ?) à 48 heures de préavis, celles faites invitant à participer dans des appels d’offres de terrain ou de licence ou vous n’aurez cependant «aucune chance», vu que votre attitude ne correspond pas à celle souhaitée par le pouvoir… Et quand on reçoit Sobrinho les bras ballants et la bouche ouverte, on facilite les affaires de qui ? Est-ce alors dans l'index ? Autrement dit, l’index donne un score aux mesures d’ensemble officielles, même si l’état d’esprit et la bonne foi qui devraient aller avec pour maximiser la portée des règlements n’y sont pas et que ce qui est hors du faisceau des 10 sous-indices choisis par la BM demeure farfelu ou négatif. Un bon score (et il ne faut pas cracher dessus) est ainsi assez mécanique et devrait nous inviter à un peu de modestie et de retenue, doublé, surtout, d’une volonté plus générale de s’attaquer aussi aux autres incohérences, injustices et dysfonctionnements de la nation.

* * *

Ce qui nous mène inévitablement a ce qui se passe aux États-Unis avec Mr Trump qui, remettant en question les fondamentaux mêmes d’une démocratie pourtant affinée sur plus de deux siècles, donne le ton à ceux qui sont tentés de réduire le champ démocratique et de favoriser une approche plus autocratique et moins contrainte par le libre arbitre des contre-pouvoirs possibles !

C’est ainsi que Trump croit que le département de la justice devrait le défendre, lui Donald Trump, personnellement, plutôt que de pourchasser la vérité et c’est ainsi qu’il licencie Jeff Sessions, son «Attorney General» qui ne souhaite pas déroger aux principes établis. Il croit aussi pouvoir, comme un tyran toutpuissant, ordonner des mises en examen de ceux qui lui déplaisent (Hillary Clinton, James Comey) alors que ce sont des décisions qui doivent être prises indépendamment et être basées sur des dossiers. Il semble clair aussi que l’assassinat de Khashoggi, journaliste américain du Washington Post ne l’émeut pas outre mesure, et certainement moins que l’impertinence des questions de Jim Acosta, journaliste de «CNN». D’autant que le prix du baril a baissé grâce, dit-il, à ses «bons amis», qu’il encourage a encore mieux…

Cette semaine, quand un juge du 9e circuit rejette les mesures préconisées par la Maison-Blanche contre certains aspirants immigrants, Trump plonge tout de suite sur son compte Twitter, accusant ce juge d’être un «Obama Judge». Le chef juge de la Cour suprême, John Roberts, juge pourtant établi conservateur et nommé par George W. Bush, dut alors prendre l’initiative sans précédent, de rappeler au président Trump, que dans le système américain, il n’y a pas de «Obama Judges» ou de «Trump Judges», de «Clinton Judges» ou de «Bush Judges», mais juste des juges indépendants, opérant au mieux et librement des branches de l’exécutif et du législatif, comme requis par la Constitution ! Trump semble croire que les jugements, nombreux, contre sa politique d’immigration, relèvent d’une conspiration politique et de partisannerie, plutôt que de points de droit et d’obligations constitutionnelles. On a bien compris : tout tourne autour de lui et de son seul point de vue ! C’est parmi les symptômes connus du narcissisme, évidemment. Le système américain réagit bien, fort heureusement, avec les «midterms», quelques sénateurs républicains, les médias indépendants, y compris Fox et maintenant la Cour suprême.

Et chez nous ? Pourquoi c’est important pour nous ? Mais parce que les États-Unis, première économie mondiale, sont toujours, malgré leurs défauts, le gendarme et la conscience du monde et qu’elle donne souvent le ton. Déjà, Trump a généré quelques clones de par le monde, dont Bolsonaro et Orban et se sent plus à l’aise avec les dictateurs toutpuissants, à la manière de Putin ou de Ben Salman qu’avec des démocrates du genre Trudeau, Merkel ou Macron. Ce n’est pas sans conséquence, car si Trump n’a que faire de démocratie et d’institutions indépendantes, pourquoi nos dirigeants en feraient, eux, une affaire ? Déjà, l’armée du Nigeria, ayant tiré à balles vives sur une marche de protestation de musulmans shiites non armés, a cité les propos de Trump pour se justifier ! Si ce repère majeur de normes de décence, ce véritable verrou qu’est Washington est aujourd’hui enlevé, il pourrait alors ne rester que la société civile pour défendre l’existence même des principes démocratiques dans ce pays. Chacun d’entre nous aura alors à assumer sa responsabilité ou à laisser faire. Car comme le dit, fort justement, un proverbe africain que vous connaissez peut être déjà : «Pour que les méchants gagnent, il suffit que les bons ne fassent…rien !»

Et si, maintenant, vous dites «bof !», ils nous ramasseront définitivement, par petites cuillères !