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La leçon des gilets jaunes
Il y a, en fait, plus qu’une leçon ici !
D’abord, celle de la force d’électeurscitoyens puissamment motivés. Sans leadership évident, sans structuration aucune (les syndicats et les partis d’opposition doivent certainement en baver !), mobilisés par un symbole commun – les gilets jaunes, avec un haut-le-coeur commun aussi – pour le pouvoir d’achat et des réseaux sociaux comme relais d’invitation à la protestation; voilà 360 000 citoyens dans la rue en ce premier samedi ! Cela va maintenant faire quatre semaines que ça dure ! Ils ne sont plus que 40 000, mais ils se sont radicalisés et sont désormais noyautés.
Il est vrai que cela se passe dans un pays qui a sans doute quelques records du monde en ce qui concerne les grèves ou les marches de protestation. L’esprit 1789 y est toujours présent, apparemment. Citons seulement Cohn Bendit et Mai’ 68, et beaucoup plus près de nous, une quinzaine d’universités bloquées pour diverses raisons et se greffant sur la grève, pas réussie celle-là, des cheminots en avril 2018. Selon le très sérieux institut de recherche économique IW, basé à Cologne, la France est déjà en tête du hitparade des pays de l’OCDE avec 123 jours ouvrables perdus par milliers de travailleurs, suivie du Danemark (118) et le Canada (87). Par contre, à l’autre bout de la chaîne, 0 jours ouvrables de perdus pour le Japon, 1 pour la Suisse, 2 pour l’Autriche, 7 et 8 pour l’Allemagne et la Hollande… Ce n’est sûrement pas sans conséquence. Mettez-vous à la place d’un investisseur qui cherche un pays d’implantation dans l’Union européenne, par exemple !
Cette capacité de mobilisation citoyenne et d’expression démocratique forte est certes admirable, mais il y a aussi un coût qu’il s’agit de ne pas oublier, en effet, car ces mobilisations dégénèrent malheureusement fréquemment. Il y a d’abord des casseurs à la clé, dont le but est soit d’utiliser délibérément la force et le feu pour mobiliser l’attention et un maximum de concessions de la part des dirigeants du pays, soit encore de régler ses comptes avec la «société» dans laquelle on ne se retrouve pas et avec laquelle on a peu ou rien à perdre. Je crois que c’est Nietzsche qui remarquait que le corpus total des lois s’est mis en place pour protéger ceux qui ont quelque chose à défendre, mais que pour les autres, ce sont juste des contraintes peu respectables ? C’est exactement la toile de fond de Kaya. Ce sera la toile de fond de la prochaine éruption chez nous…
Ce qui est inquiétant, à écouter les commentateurs ces jours-ci, c’est que, d’une manifestation à une autre, on est en train graduellement de passer le message qu’on n’obtient de résultats probants qu’avec la force, la violence et le choc. Ce sont les dernières images de ce qui se passait le samedi sous l’Arc de Triomphe ou dans les quartiers chics à côté des Champs-Elysées qui ont retenu l’attention et fait reculer un gouvernement qui prétendait pourtant ne jamais vouloir faire de compromis sur sa taxe carbone, pourtant logique, «de transition vers le renouvelable» ! Il est vrai que ces perturbations ont aussi des implications graves sur le plan économique, mais si comme l’admettait le Premier ministre Édouard Philippe en cette fin de semaine, qu’«aucune taxe ne mérite de mettre en danger la paix civile», c’est bien reconnaître que c’est la violence qui a fait reculer . Ce qui est extrêmement dangereux comme précédent pour le pays ! Il faut aussi souligner qu’au-delà de la cause défendue par les gilets jaunes – essentiellement le pouvoir d’achat – il y avait aussi un remarquable soutien de l’opinion publique, soit à plus de 75 %. L’opinion publique est rarement aussi positive et l’est ici, sans doute, parce qu’elle pense à sa poche aussi, mais il faut quand même s’interroger sur la place de la violence dans un système a priori non répressif, comme une démocratie.
Car, si on peut faire reculer un gouvernement avec du feu et des pierres, des tags et de la rapine, que n’invite-t-on pas la prochaine fois pour des causes possibles aussi disparates que l’opposition totale à l’immigration, la réforme des pensions de vieillesse ou la protection de la nature (tiens !). Et c’est là où les aspirations peuvent se contredire : comment, en effet, à la fois, ne pas accepter de taxe sur l’essence et exiger du gouvernement du zéro pollution et de l’air pur, avec, en même temps, un budget national équilibré et pas de dette additionnelle, bien entendu ?
La question est fondamentale : au lieu de l’arbitrage des élus, peut-on se laisser gouverner par la rue ?
On peut prendre l’exemple de notre île soeur, la Réunion. Au 3 décembre, les 2 657 entreprises sondées par la CCI Réunion évaluaient à 11 les jours de travail sans aucune activité depuis le 26 novembre. Ce constat se traduisait par 111 millions d’euros de perte de chiffre d’affaires. Extrapolés à l’ensemble de l’économie, ces chiffres évoquaient alors 600 à 700 millions d’euros de pertes, ce qui représente 25 milliards de roupies. C’est plus de 10 fois la compensation salariale arrêtée dans notre pays ce jeudi ! Ça s’ajoute à la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers, un minimum vieillesse de 900 euros et la prise en charge à 100% des frais de lunettes, de soins dentaires et de prothèses auditives, par la Sécurité sociale. On cherche maintenant l’aide d’un fonds d’urgence, bien entendu, des exonérations de charges fiscales ou sociales, des avances de fonds pour compenser le chômage partiel. Et qu’estce qui va financer tout cela ? Des emprunts ? D’autres taxes ? Des coupes budgétaires ? Ou la poudre de perlimpinpin ?
Autre phénomène à ne pas négliger : quand un mouvement de protestation «marche» et qu’il accroche l’opinion publique ou les médias, il y a un danger réel d’opportunisme par et pour d’autres «causes». Ainsi, si les «casseurs» ou les anarchistes étaient aux premiers rangs pour profiter, on voit maintenant pointer des syndicats, alors que 200 lycées (sur 4 000) sont maintenant partiellement dans la rue revendiquant contre la réforme du bac et le programme de Parcours sup, pour lesquels ils n’arrivaient pourtant pas pas à mobiliser l’an dernier…
Notons aussi que pendant que les gilets jaunes cassent un peu et obtiennent des résultats, le mouvement qui s’opposait aux… violences faites aux femmes ne retenait pas autant d’attention et n’obtiendra probablement pas de résultats.
Le Point de cette semaine titre, que ce sont «les derniers jours du modèle français». On verra bien. Ce qui est sûr c’est que c’est un pays compliqué, pétri de contradictions et constamment coincé entre le désir de changement et le refus d’en payer le prix. Le pays est d’ailleurs parfois catalogué comme «ingouvernable», comme à l’aphorisme de Charles de Gaulle qui demandait très sérieusement : «Comment voulez-vous gouverner un pays qui a 246 variétés de fromage ?»
On a maintenant commencé à scander «Macron, démission !»
Et si la solution n’était pas aussi facile et que la suite était encore pire, on blâmera qui, alors, sinon, enfin… soi-même ?
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