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Le danger du ‘box ticking’

12 décembre 2018, 08:11

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Premier en Afrique et désormais 20e mondial en matière de facilitation des affaires. De quoi se bomber le torse. Les pouvoirs publics ne s’en privent pas d’ailleurs, après que la Banque mondiale a révélé que Maurice a progressé sur huit des dix indicateurs sous sa loupe.
  
Toutefois, cette détermination à cocher les «bonnes» cases afin de s’approprier le statut d’élève modèle n’est pas sans risque. Surtout pour le décideur politique. Emporté par son élan, il se retrouve souvent à s’éloigner de l’essentiel : la réalité économique ressentie par la population.

Les gilets jaunes qui battent le pavé en France et chez nos voisins réunionnais depuis plusieurs semaines ne sont pas sans nous le rappeler. Idem pour les mouvements de la société civile qui montent en puissance année après année pour intimer la Banque mondiale à revoir ses critères d’évaluation des pays.

Cette année, la pression se fait encore plus forte, après que l’ex-économiste en chef de l’institution de Bretton Woods, Paul Romer, a émis des doutes sur ce classement international. Ce document considéré par nombre de pays en développement comme une véritable «Bible» aurait été sujet à des changements de méthodologie rien que sur la base de considérations politiques. Selon Paul Romer, le Chili a chuté dans le classement en 2017 non pas en raison d’une dégradation de l’environnement des affaires, mais dans le seul but de contraindre la présidente socialiste Michelle Bachelet à «faire des réformes».

Ce que nous mesurons influence ce que nous faisons, et si nous ne mesurons pas ce qu’il convient…

Joseph Stiglitz, un autre Nobel d’économie, qui a également servi à la Banque mondiale entre 1997 et 2000 avant de claquer la porte, anime, depuis avec d’autres confrères, un groupe d’experts sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Il insiste sur un point en particulier : «Ce que nous mesurons influence ce que nous faisons, et si nous ne mesurons pas ce qu’il convient de mesurer, nous ne ferons pas ce qu’il convient de faire».
  
Le rapport intitulé Au-delà du Pib, mesurer ce qui compte pour les performances économiques et sociales rendu public durant la semaine écoulée en Corée du Sud, lors d’un forum de l’Organisation de Coopération et de développement économiques (OCDE), aborde ainsi les outils nécessaires pour mieux appréhender les éléments qui permettent de voir au-delà du Pib.

Si nous payons le prix fort aujourd’hui, c’est justement en raison d’une mauvaise mesure des effets de la crise qui a secoué la planète. Martine Durand, la directrice des statistiques de l’OCDE, en est convaincue. Du coup, la réponse s’est avérée inefficace. D’où la vague de mécontentement populaire face à un système considéré comme étant à l’avantage d’une poignée de «happy few». Et nous n’avons peut-être vu que le sommet de l’iceberg avec le mouvement des Gilets Jaunes.
  
Aussi longtemps que les réponses et les politiques seront inadéquates et inefficaces, le feu continuera de couver sous les cendres. Certes, bien coté dans le Doing business, Maurice gagnerait toutefois à garder un œil sur d’autres indicateurs. D’ailleurs, c’est la Banque mondiale elle-même qui rappelle, dans un rapport en 2015, que la réduction de la pauvreté aurait été deux fois plus importante dans l’île si la croissance était mieux répartie.