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Les mauvais esprits du roi Leopold II

13 janvier 2019, 07:12

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Comment un pays si grand, si riche, peut-il avoir des habitants si pauvres, des clans en guerre contre eux-mêmes ? Est-ce parce que les dirigeants de ce pays demeurent, en 2019, manipulés par des hommes d’Église, des diplomates, et des puissances économiques et internationales ?

La République démocratique du Congo (RDC) est un peu le Madagascar de l’Afrique centrale à bien des égards. Comme la Grande île, la RDC demeure l’un des pays les moins développés du monde malgré son énorme potentiel minier (cobalt) et ses formidables richesses (diamants).

Dirigée depuis 2001 par Joseph Kabila, fils de l’ancien président assassiné Laurent-Désiré Kabila, la RDC, véritable État-continent, était jadis la propriété privée du roi Leopold II, qui, pourtant, n’y avait jamais mis les pieds – se contentant de diriger le pays de son château belge, et n’hésitant pas à faire massacrer plus de 10 millions de Congolais (par d’autres Congolais, armés ceux-là) afin de faire fructifier le commerce du caoutchouc. Ce commerce, qui faisait jadis pleurer des hommes et des arbres, dont les larmes étaient incontournables pour soutenir l’essor de l’industrie automobile dans les pays dits «civilisés», qui étaient, tous du Nord, à ce moment sombre de notre histoire commune. 

Le 30 juin 1960, après le pillage de ses ressources, le Congo belge accède, enfin, à l’Indépendance. Le pouvoir est alors partagé entre Joseph Kasa-Vubu, président, et Patrice Lumumba, Premier ministre. Mais rapidement, le pays sombre dans le chaos en raison des factions idéologiques rivales. Tenaces, les ténèbres du Congo. Les fantômes de Leopold hantent toujours les lieux, disait-on.

Peu après l’Indépendance, une mutinerie éclate au sein des troupes armées. Une riche province minière du Katanga (sud-est) fait sécession sous la conduite de Moïse Tschombé – avec l’appui de puissances coloniales et des États-Unis. Les Congolais voient débarquer de Casques bleus et apprennent, dans la foulée, l’assassinat de l’Africaniste Lumumba en 1961. Le mystère perdure aujourd’hui encore sur ce qui s’est vraiment passé. 

Le temps passe. Et après un long règne sanglant des Kabila (père et fils), on pensait, le mois dernier, qu’avec la démocratisation (qui est soi-disant en marche sur le continent), la RDC allait, enfin, réussir la première alternance politique de son histoire. Mais bien que l’opposant Félix Tshisekedi, qui par opportunisme s’était rapproché du régime de Kabila (dont le dauphin est, lui, arrivé en troisième position), ait été décrété vainqueur par la commission électorale, la crédibilité des résultats du scrutin a quasi immédiatement été remise en cause. 

Soutenu par la puissante Église catholique congolaise, l’autre opposant, Martin Fayulu, commencera alors à contester avec force sa défaite. Contrairement à nombre d’Africains qui regardent avec effroi et tristesse la situation dégénérer en RDC, car comprenant que toute déclaration pour l’un ou l’autre camp pourrait embraser toute la sous-région, la France, elle, est venue jeter l’huile occidentale sur le feu congolais. Jean-Yves Le Drian, contestant également les résultats proclamés par la commission électorale, se range derrière les évêques de l’Église catholique congolaise. En s’y mêlant de cette façon, et en prenant partie, Le Drian prend l’histoire de la démocratisation africaine à contre-pied. Il faut savoir que de plus en plus, l’ingérence occidentale et les jugements péremptoires sont mal perçus en Afrique, tant les cicatrices du colonialisme et de l’esclavage demeurent vives, comme ces mains et poignets coupés car la récolte du caoutchouc n’était pas suffisante. C’est pourquoi comme à Madagascar, la France est souvent tenue à l’écart du processus électoral.

Dès lors, avec tous ces acteurs aux intérêts divergents, le risque que ces contestations électorales se transforment en violences mortelles est réel en RDC. On compte déjà les morts, d’autres font leurs calculs en milliards. Le chaos est revenu hanter les esprits. 

***

Et quid du clan des Kabila ? Le 28 décembre dernier, le président sortant, Joseph Kabila, confiait au journal Le Monde qu’il était prêt à quitter le pouvoir, à le transmettre à celui qui sera élu. Comme jusqu’ici personne ne peut prédire qui est réellement élu (la communauté internationale ne pouvant s’appuyer que sur les incantations des évêques), alors le clan Kabila conserve, pour l’heure, le pouvoir. Tranquillement. En attendant de céder le fauteuil au fils d’Étienne Tshisekedi, opposant historique au clan Kabila (père et fils), mort en 2017 à Bruxelles. Et tout le monde sait, un peu comme l’a fait Poutine en Russie, que Kabila ne s’éloignera jamais du pouvoir. Il n’exclut pas la possibilité de revenir en 2023.

En acceptant une forme de cohabitation avec Félix Tshisekedi, Kabila ne perd rien, mais si Martin Fayulu arrive à s’imposer, Kabila risque alors de tout perdre. En attendant, on va retrouver tous les symptômes d’une défiance massive envers les institutions, locales et internationales… Le point d’inflexion n’est pas encore atteint.