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Les visières et les limites de la croissance
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Les visières et les limites de la croissance
Je me revois, dans les années 70 sirotant le livre The Limits to Growth du fameux Club de Rome. Rien ne paraissait plus certain que la logique et la solidité de leurs simulations : la consommation des populations humaines progresse exponentiellement alors que les ressources de la planète ont indéniablement une limite. Prédisant que l’apport des technologies ne serait jamais à la cadence de nos insatiables appétits, ce rapport de 17 chercheurs mené par les professeurs Meadows, sur un modèle prédictif de Jay Forrester du MIT, arrivait à la conclusion que la croissance ne pourrait être éternelle et prédisait même que ces limites seraient plus qu’évidentes avant 2072 quand une soudaine réduction de population et de capacité industrielle deviendrait alors «incontrôlable».
La réaction contre ce rapport fut vive, de Robert Solow à l’Université de Sussex, au point où au début des années 2000, il avait été complètement ridiculisé et démonétisé. Quatre types principaux de critiques avaient aidé à atteindre cet objectif : ceux qui voyaient ce rapport comme une menace à leur intérêt économique ou à celui de leur industrie, ceux qui ressentaient l’initiative Meadows comme une attaque inacceptable contre les vues de l’establishment des économistes en place, l’Église catholique qui se rebiffait fortement contre la suggestion que la croissance de population était un problème majeur de l’humanité et la gauche en général qui y voyait une conspiration des élites pour tenter d’expliquer combien le paradis du prolétariat était… Irréalisable.
Quoi qu’il en soit, il fallait bien, quelques années plus tard reconnaître que ce qui s’était effectivement passé, pourtant, sur la planète depuis 1972 épousait étonnamment bien les prédictions faites par le Club de Rome (voir notamment The Guardian du 2 septembre 2014 sous la signature de Graham Turner et Cathy Alexander). On avait tout simplement gaspillé trois décennies d’actions de redressement possible, jusqu’au moment où l’équation écologique s’en soit mêlée et rejoigne les mêmes conclusions, ce qui menait aux «résolutions» de la COP21 de Paris.
Une fois encore, il y a des sceptiques qui ralentissent la réaction nécessaire. L’embêtant vraiment c’est que l’humain qui a des intérêts trop importants en jeu, y compris ceux de l’inertie, peut refuser de voir clair puisque les dégâts sont, globalement, dans l’avenir alors que les ébats plus jouissifs sont, eux, de nature immédiate ! George Marshall, initiateur de Climate Outreach, a même publié un livre sur la question (Don’t even think about it!) pour expliquer comment les cervelles humaines sont malheureusement conditionnées pour se rassurer et ne pas trop s’inquiéter des difficultés à l’horizon… surtout si cet horizon est plutôt lointain.
Mais à ceux qui veulent bien réfléchir, les faits paraissent incontournables. Le modèle d’économie libérale a de gros attributs positifs et a créé beaucoup de richesse, mais il peut aussi déraper vers les excès et l’absurde, comme lors de la grande dépression de 1929-33 ou lors de la crise de 2008-09 tout en en creusant des inégalités criardes et insoutenables. Le Credit Suisse, l’OECD, Oxfam, Stiglitz ou Piketty s’accordent ainsi pour souligner que les 50 % les plus pauvres de la planète ont accès à seulement 7 % des revenus planétaires alors que les 1 % les plus riches jouissent de 20 % des revenus globaux et possèdent 50 % de la richesse totale et que ces inégalités, créées d’abord par l’exploitation coloniale puis par un consumérisme à tout va, empirent chaque jour. Si le taux de croissance moyen de l’économie mondiale de 3,65 % est maintenu, l’économie globale de la fin du siècle présent sera 200 fois plus importante que celle de 1950 et 20 fois plus imposante que l’économie mondiale actuelle. Si la planète entière aspire à rejoindre les niveaux de vie de l’OECD, il nous faudra, en 2100, une économie mondiale qui soit 326 fois plus importante qu’en 1950 et 30 fois plus massive qu’actuellement. Ce n’est pas soutenable ! Selon l’IPCC, les émissions cumulatives de gaz carbonique depuis 1870 sont déjà de l’ordre de 2 000 milliards de tonnes. À 2 350 milliards de tonnes, nous serons au-delà du scénario de réchauffement de la planète par 2 degrés centigrades de plus. Or, la quantité de carbone «non brûlé» qui se trouve pour le moment prisonnière dans les réserves d’hydrocarbures est de 1 000 milliards de tonnes(1). Et on hésite toujours face au renouvelable, Trump souhaitant même réactiver ses mines de charbon et annuler les normes écologiques imposées par Obama, alors que les gilets jaunes s’opposent aux taxes sur le carburant qui assureront la transition énergétique ?
La seule suite logique est de sortir du modèle qui favorise la croissance à tout prix. Il faut à la fois remettre en question la croissance de la population et celle de la création de richesse, surtout dans les pays riches, mais pas que… Mieux, il faudra reconnaître que la prospérité ne tiendra plus aux seuls biens matériels, mais qu’il faudra freiner les inégalités et privilégier la qualité de vie, la santé, le bonheur, la confiance mutuelle et l’entraide. Cependant l’Homme est ainsi fait qu’il ne se pliera pas facilement à cette nouvelle manière d’être et de faire et qu’il persistera longuement encore avec le modèle actuel en espérant que la technologie,… ou le ciel, résoudra les conséquences de ses actes irresponsables.
Bonne chance donc aux générations à venir ! Il reste Greta Thunberg(2) et ses amis ….
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L’express est, depuis sa création, fondé sur le débat d’idées contradictoires, ce qui permet de remettre en question le statu quo et les idées enracinées, à la recherche de voies nouvelles et de vies potentiellement meilleures. Face à cette approche, il y a toujours eu et il y aura toujours des analyses plus étriquées d’intérêts établis et de paroisses ancrées dans le confort de la routine.
Un exemple. Au lendemain de l’Indépendance, ce journal s’attaquait à la mentalité du «King Sugar» qui avait d’ailleurs tellement obnubilé sir Seewoosagur Ramgoolam qu’il avait fameusement promis, comme programme économique d’avenir, «une tonne de sucre par tête d’habitant» ! Vous imaginez ? À cette époque, il était facile de se moquer de ceux qui pensaient possible un avenir industriel pour ce pays. Comme le proclamait feu Rico du Mée au rédacteur en chef de l’express de l’époque : «Mon cher docteur, avec quoi allez-vous rouler vos usines ? Avec de l’eau ?» Puis les esprits se sont affranchis et ceux qui étaient contre sont devenus eux-mêmes des praticiens ! Fort heureusement !
La même étroitesse restreint ceux qui voient en toute initiative de ce journal, (c’est peut-être dans leur ADN ? – pas le nôtre !), une attaque nécessairement motivée par l’ethnique, le religieux ou le pécuniaire. Ainsi l’express devenait-il anti-musulman quand il dénonçait Soodhun et la présidente de la République dans les mêmes semaines. Ainsi l’express était-il devenu anti-hindou quand il s’attaquait aux relations indéfendables entre certains lobbies sectaires et politiques. Ainsi l’express serait-il anti-créole ou à la recherche de ventes quand elle se réfère à «cité nisa». Ainsi l’express serait-il en pleine conspiration pro-tamoule parce qu’elle accepte de publier Dev Virahsawmy, Rama Sithanen ou Kris Valaydon. Ainsi l’express qui prône de réfléchir sur le cannabis prend-il le risque d’être catalogué «Jah» alors que tout ce qu’il cherche est une alternative moins dévastatrice que la drogue synthétique et peut être une option d’exportation.
Pour le débat contradictoire ce sera avec plaisir, mais nous refuserons toujours d’être prisonnier dans les geôles de ceux qui portent des visières.
1) Prosperity without Growth. Tim Jackson, 2017
2) https://www.ted.com/talks/greta_thunberg_the_disarming_case_to_act_right_now_on_climate?language=en
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