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Projet de société: Pour une transformation sociétale (Partie I)

3 mai 2019, 07:46

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Des travailleurs étrangers ont assisté au dévoilement de la stèle syndicale, au Plaza, en ce 1er Mai. Le défi en 2019 consiste à œuvrer pour un modèle où le travail a sa dignité, dit l’auteur.

Maurice a célébré mercredi la fête du travail, avec ses meetings, ses rassemblements syndicaux et autres manifestations. Ce 1er Mai politique a été un temps fort de la guerre psychologique des foules qui oppose les deux principaux protagonistes pour le maintien au pouvoir ou la conquête du pouvoir. Toutefois, le 1er Mai reste la fête du travail. Depuis la première fête du travail dans le monde en 1884 et à Maurice (1922 et 1938), même si la place et le statut du travail n’a cessé de changer, elle reste encore au cœur du système socio-économique et politique avec de sérieux menaces, risques et dangers. L’actualité nationale abonde de cas de précarité, de perte de statut et d’atteinte à la dignité. Et ne banalisons le sort des travailleurs étrangers.

La mondialisation en mutation

Intégrons comme il se doit les dynamiques et les déclinaisons de la mondialisation avec sa révolution numérique qui impacte et impactera sur le travail. Notre société est travaillée par la mondialisation, autant maitriser l’écosystème dans lequel elle évolue. La mondialisation connaitrait actuellement une mutation-transition avec la fin d’un cycle libéral et les débuts d’un cycle protectionniste nourri par le nationalisme-populisme.

Le modèle néolibéral est en crise. Même Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), jette un regard critique sur le modèle, questionne son efficacité et soulève la problématique des inégalités qui bloquent le développement. Elle s’en prend aussi élites impuissantes car déconnectées. Pendant ce temps, Donald Trump poursuit sa politique de repli économique, avec ses conséquences sur l’économie mondiale.

Avec le Brexit, l’Europe est sous la menace de forces de repli ; les élections européennes vont permettre de voir plus clair dans l’Europe qui se dessine. La Chine, quant à elle, ne cache pas ses ambitions de «conquérir» le monde avec sa route de la soie. L’Inde veut sa place dans l’océan Indien. C’est dire que la mondialisation en mutation, c’est aussi les contours de la géopolitique et de la géoéconomie qui se redessinent. Maurice doit jouer finement sa diplomatie.

Pour revenir sur le plan national, une des exigences de l’heure porte sur l’importance de la réflexion et de l’analyse des problématiques qui sont autant de défis actuels et à venir que notre pays doit relever. L’année 2019 s’annonce une année cruciale sur l’orientation sociétale de notre République. Au-delà du Budget et des échéances électorales – partielle et générale – avec ses manifestes et programmes gouvernementaux, l’enjeu fondamental demeure de savoir de quelle société mauricienne nous voulons dans les 10, 20, voire 30 ans à venir. Les bases doivent être jetées rapidement pour ensuite fixer les orientations fondamentales. Pour l’instant, c’est le temps du Budget actuellement en préparation.

Le Budget est un moment fort de la vie nationale. Ce n’est pas qu’un exercice comptable. Il est sensé poser ou consolider les bases pour le développement à venir.

Les dix priorités énoncées du Budget sont :

1. L’extension et la modernisation de nos infrastructures ;

2. Relever les défis auxquels sont confrontés les secteurs sucre et industrie manufacturière, y compris le secteur textile ;

3. Investir dans les nouveaux piliers de la croissance, en particulier les technologies de l’Intelligence artificielle ;

4. Encourager une nouvelle culture de l’esprit d’entreprise ;

5. Poursuivre l’ouverture et l’intégration de notre économie avec le reste du monde ;

6. Investir dans l’éducation, la formation et les autres compétences dont nos jeunes ont besoin, afin qu’ils soient mieux préparés pour l’avenir ;

7. Faire face à l’impact de l’évolution démographique ;

8. Promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes – «Think equal, build smart and innovate for change» ;

9. Promouvoir une société plus inclusive et équitable et s’attaquer davantage au problème de la pauvreté ;

10. Renforcer la résilience aux effets du changement climatique.

Maurice souffre de nombreux déficits – de cœur, d’intelligence, de raison, de bon sens.

Manquements

On comprend ceux qui pensent que cette liste est «à côté de la plaque». En situation, cela renverrait à plusieurs choses : une absence de vision et de leadership économique ; la non-compréhension des enjeux ; un secteur privé endetté ne voulant et/ou ne pouvant investir ; une machine administrative marquée par de graves dysfonctionnements opérationnels ; et, last but not least, la surdétermination du politique dans le fonctionnement des institutions. Cette liste des priorités concoctée à la va-vite est un mix couvrant de sérieux problèmes conjoncturels d’une part, et les orientations sur des problématiques importantes. La problématique fondamentale et vitale de l’écodéveloppement est réduite à la «résilience aux effets climatiques», ce qui veut tout dire et rien dire.

Cette liste comporte de sérieux manquements, à commencer par la précarité, à ne pas confondre avec la pauvreté et l’extrême pauvreté. Si on veut conjuguer le développement avec l’humain, il faut s’attaquer à la fabrique de la précarité. La précarité ou la vulnérabilité sociale n’est plus seulement liée à l’expérience du chômage mais également à son éventualité. Les mots ont un sens surtout quand on vit une crise de sens. On pourrait aussi relever l’absence des «industries culturelles» et ajouter la drogue, l’insécurité, la compétitivité qui passe par une culture de l’innovation. Mais il ne s’agit pas que d’une liste, il faut assurer la cohérence, la transparence et l’accountability. Notre société est traversée par un télescopage de problématiques et thématiques. C’est l’art de gouverner pour avancer dans intérêt général qui est à l’épreuve.

La tentation démagogique

On s’attend à un Budget 2019-2020 électoraliste, comme l’a fait comprendre à sa façon le Premier ministre lui-même. D’autres ont tiré la sonnette d’alarme sur la tentation démagogique et populaire qui serait irresponsable vu l’état de l’économie mauricienne.

L’économie fait débat avec le gouvernement s’appuyant sur la dernière notation de Moody’s pour dire que l’économie se porte bien et un taux de croissance autour de 4 % alors que Marday Venkatasamy de la Mauritius Chamber of Commerce and Industry avance qu’il faut au moins 6 % pour assurer une qualité de vie. Ce dernier pense que «We are at an unprecedented moment of uncertainty in the development of the economy».

Personne ne peut nier qu’il y a de sérieux problèmes tant conjoncturels que structurels. Le textile vit un moment tournant avec la délocalisation qui s’accélère, mettant des milliers d’emplois en jeu. Le sucre est à l’agonie, et une politique agricole se cherche encore. Le tourisme s’essouffle pendant qu’on tire la sonnette d’alarme d’une trop grande dépendance du pays sur ce secteur. L’offshore, qui repose sur des protocoles et pèse de son poids dans l'économie nationale, est fragile.

Les actifs du Global Business représentent un montant 50 supérieur au montant du produit intérieur brut (PIB). Ce secteur contribue pour 5,7 % au PIB et a une croissance annuelle de 4 %. L’endettement public (Rs 300 milliards, 75 % du PIB) mais aussi du secteur privé et des ménages sont inquiétants. Le chômage des jeunes et des femmes reste problématique.

Au-delà du modèle économique, c’est du modèle sociétal qu’il s’agit. Le devenir sociétal n’est pas dans une version améliorée du modèle qui ne veut mourir. L’avenir ne s’inscrit pas dans la mondialisation financière avec son économie spéculative touchant le foncier et immobilier au détriment de l’économie réel. C’est sur une toile de fond de profonde crise sociétale à laquelle il faut trouver une voie de sortie qu’a lieu le prochain exercice budgétaire. La tentation de tout parti politique au pouvoir, c’est de jouer le tout pour le tout, car la fin justifierait les moyens.

C’est ce temps fort du cycle électoral qui va polluer l’exercice budgétaire 2019-2020 avec des promesses et des effets d’annonce se disputant l’attention avec la démagogie, le populisme dangereux et irresponsable des protagonistes. Prions que le Budget ne vienne accentuer des déséquilibres qui hypothèqueront l’avenir du pays en franchissant un point de non-retour. Présenter un budget – électoraliste de surcroît – est facile. Un manifeste/programme électoral comme on en a l’habitude est vite rédigé. Or, ce dont le pays a besoin est un plan-programme de transformation sociétale.

Pour la dignité humaine

La résilience de l’économie mauricienne à la crise financière de 2008-9 a conduit à poursuivre avec le modèle néolibéral selon un mode business as usual. Prakash Neerohoo résume bien, sur Facebook, ce qui s’est passé durant les 15 dernières années : «Ce modèle néo-libéral a affaibli l’appareil de production, privant le pays de la sécurité alimentaire et de la sécurité énergétique, entravé la mise en œuvre du développement durable, permis la braderie de pans entiers du patrimoine national, accéléré le développement immobilier sur un territoire qui se rétrécit comme une peau de chagrin, et mis en péril les écosystèmes naturels qui sont en proie aujourd’hui aux effets du changement climatique. L’analyse quantitative des variables macro-économiques pour des besoins de comparaison ne cache pas les réalités du développement inégal et les faiblesses structurelles du modèle économique

Et dans ce modèle, le secteur offshore joue un rôle clef. Un autre observateur attentif de la socio-économie mauricienne et des dynamiques qui l’animent a attiré notre attention sur le fait que «depuis 2016, une restructuration en profondeur de nos modes de calculs comptables et statistiques permet une représentation de notre balance des paiements qui ne correspond pas à la réalité de nos capacités de productions. D’un côté, notre pays affiche une balance des paiements favorable lui permettant de financer de grands emprunts (que ce soit des emprunts contractés auprès du FMI ou des emprunts domestiques – par le biais de ‘bonds’ de la Banque de Maurice) grâce à l’intégration des transits de flux de capitaux venus de l’offshore dans les comptes publics ; mais de l’autre, nous laissons sombrer la production locale, chose qui a ouvert le potentiel pour un effondrement massif dans des secteurs qui auraient dû être porteurs d’un nombre important d’emplois (les secteurs manufacturier et agricole en sont des exemples concrets et visibles). La problématique est, au fond, extrêmement complexe, car elle implique une réforme d’envergure qui permettrait de remettre nos capacités de production en ordre – notamment grâce à une augmentation de la productivité (augmentation produite par la main d’œuvre tout autant que par l’automatisation du travail).»

Nous ne devons pas nous laisser enfoncer dans un modèle qui est une fabrique de la précarité, qui broie le travail au lieu d‘en faire une activitécréative et épanouissante soutenue par innovation. Les fonds provenant de l’endettement sont-ils ou vont-ils être utilisés pour soutenir les victimes de la précarité pour en faire des «assistés» ? On doit aussi se demander où est la dignité du travail ? Quel est son statut ? Le défi en 2019 consiste à œuvrer pour un modèle où le travail a sa dignité avec un système de rémunérations décentes et justes. En ce 1er Mai 2019, c’est cela l’enjeu du travail à Maurice.

Un plan-programme de transformation sociétale

Maurice a de nombreux atouts. La richesse de son capital naturel qui peut encore être sauvée moyennant qu'on arrête de s'enfoncer dans la bêtise ; ses richesses humaines demandent à s’épanouir à travers la formation et une éducation avant-gardiste ; sa jeunesse est talentueuse et ambitieuse ; la créativité qu’elle recèle peut porter l'innovation, gage de compétitivité ; sa richesse culturelle n’est pas à démontrer.

La sortie de la crise sociétale pour donner un sens à la vie en société passe par une révolution tranquille avec au cœur une révolution culturelle. Nous ne cessons de l’affirmer : Maurice souffre de nombreux déficits – de cœur, d’intelligence, de raison, de bon sens. Y aura-t-il chez nos principaux acteurs de développement la reconnaissance d’une part de responsabilité – avec la remise en question que cela implique – dans ces déficits pour alimenter le nécessaire sursaut national ? Il est à craindre que ce ne sera pas le cas. Or, le pays a besoin d’apaisement pour réunir les conditions afin de mettre en œuvre un plan-programme de transformation sociétale. Ce sera l’objet de la seconde partie de cet article.