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Souhaits pour un budget

2 juin 2019, 08:25

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Le Budget national, c’est pour bientôt. C’est un exercice de privilège qui permet à bien peu de personnes d’imprimer leur marque sur le pays, positivement ou négativement d’ailleurs. C’est le privilège du ministre des Finances d’orienter ainsi l’État, alimenté par les idées récoltées, formaté par les technocrates du ministère des Finances, contraint qu’il est par le Premier ministre et ses directives. Tous les Budgets ne laissent pas des souvenirs impérissables dans la mémoire collective du pays et ce qui reste dans la mémoire n’est pas toujours juste, mais on associera longtemps encore le nom de Ringadoo avec les dévaluations, celui de Bérenger avec la TVA/Sales Tax, celui de Luchmeenaraidoo avec la notion du «no tax budget», celui de Bunwaree avec le «tax free debenture», celui de Sithanen avec les grandes réformes fiscales et structurelles.

Que nous laissera donc Pravind Jugnauth ? Lui qui, pour la première fois depuis l’Indépendance, n’est pas contraint par les directives d’un Premier ministre, puisqu’il s’agit de… lui-même ?

Pour l’histoire, son nom est déjà indissociable du salaire minimum/negative income tax, contrairement à la pension de vieillesse, qui a déjà été augmentée avant lui et qui le sera encore sans doute après lui, à moins qu’il n’opte pour une augmentation telle qu’elle rende caduque la possibilité même d’une prochaine hausse, ayant entre-temps ruiné le pays !

Les humains, en général, sont bien connus pour aimer ce qui brille et ce qui fait plaisir, préférablement tout de suite, encore plus depuis l’avènement de la société de consommation. Loin après le modèle du «Puritan ethic» de l’effort préalable, maintenant, si on n’a pas d’argent pour acheter, on prend à crédit. Si le crédit n’est plus disponible ou est déjà rendu ingérable, on fait une «transaction», si on ne «triang» pas ou… pire ! Tout ça pour jouir d’un moment de joie instantanée, peu importe ce qui pourrait suivre. On n’épargne plus, à de rares exceptions près, on vit au-delà de ses moyens… Le capitalisme dévergondé qui crée les trop riches «sans partage» de la planète favorise tout cela et écrème en conséquence. Il y a heureusement du capitalisme éthique aussi !

Mais le ministre des Finances du pays ne peut se permettre ces incartades, cette licence dont raffolent de nombreux citoyens. Il doit agir en bon père de famille, pour tous ses enfants et leur postérité d’ailleurs, sans préférence aucune, être prudent, rationnel, inspirant, imaginatif et prendre les décisions qu’il faut au moment où il faut, plutôt que de repousser systématiquement les décisions difficiles à plus tard, comme s’il n’y avait pas de lendemain et que la gueule de bois, ça n’existait pas !

À ce titre, ce Budget, comme plusieurs de ses prédécesseurs d’ailleurs, devrait s’occuper moins de bonbons et plus d’antibiotique en intraveineuse, même si nous n’aimerons pas cela…

À titre d’exemples et parmi les sujets dont il faut s’occuper rapidement, citons :

  •  Le plan national de pension et son problème associé du vieillissement de la population dont les solutions sont pourtant évidentes : ciblage et retraite pensionnée et payée à 65 ans.
  •  Le prix économique de l’eau, qui ne semble pas intéresser Pravind Jugnauth, ne peut vouloir dire que deux choses : les pertes ainsi que les dépenses capitales de la CWA devront provenir des contribuables et donc du Budget ou alors ce ne sera plus possible à un moment donné, vu l’endettement national, et le rêve du 24/7 devra être définitivement mis au frigo.
  • Les inégalités grandissantes peuvent être vues des deux côtés de la lorgnette. Soit le système actuel est injuste et ceux qui possèdent plus doivent être taxés plus, au risque de les voir se recroqueviller contre l’investissement dans le pays, ou alors l’on conclut qu'il faut systématiquement rehausser le niveau de compétence, de connaissance et de productivité de ceux qui sont au bas de l’échelle afin de créer les emplois à meilleure valeur ajoutée. Outre cela, un «welfare state», ciblé (et amélioré) pour les plus modestes, paraît une évidence

 

  •  La gestion des déchets est un problème crucial. Les centres d’enfouissement débordent, les déchèteries régionales aussi, ce qui aura certainement des conséquences sur la pollution de nos nappes phréatiques (57 % de notre eau potable – Proag – 2006). Pour le moment, on commence à voir les premiers signes de «débordement» sous la forme de pollution de plus en plus fréquente partout dans le pays : terrains vagues, champs de canne, rivières, bords de route, lagon… Et on fait quoi, là ?
  •  Les exportations se portent mal ! Il y a bien une raison à cela et elle ne peut que relever d’une compétitivité insuffisante. Cette situation qui se détériore tout doucement a des conséquences au niveau de la balance des paiements, de l’emploi et de notre dépendance grandissante au capital étranger. Pour pouvoir être meilleur que nos concurrents, il faut une meilleure productivité nationale, des salaires en adéquation, une roupie compétitive, attirer des investissements directs étrangers neufs (notamment grâce à notre régime fiscal attrayant et un pays plus propre, moins dévoyé, plus respectueux des institutions).
  •  Le secteur sucrier saigne sérieusement. Personne n’y trouve son compte et quand tous, du petit planteur au gros sucrier, ne parlent que de subventions ou de réformes majeures pour enlever les handicaps actuels, on sait qu’il faut agir avant qu’il ne soit trop tard et que tout ne s’étiole à force de négligence politique. Et on fera quoi, dans ce cas ? Si rien ne peut être fait, on laisse toujours le Canada et d’autres planter et exporter le cannabis à notre place ?
  • Vieillissement de la population. Les conséquences d’une situation où la population régresse sont évidemment dures. Même quand on est déjà au niveau de développement japonais, c’est dire ! Cependant, ce vieillissement peut se combattre soit en faisant plus d’enfants qu’il faut éduquer, puis soigner ou alors nous acceptons bien plus de migrants de qualité qui, dans un renversement utile du «brain drain» qui nous saigne depuis des décades, nous feront profiter des dépenses d’éducation, de formation ou de santé d’autres pays, en nous apportant investissements, pouvoir d’achat ou savoir-faire. Il faudra évidemment bien améliorer notre sincérité d’accueil !
  • Le réchauffement de la planète. Que faisons-nous ? Nous avons bien vu les réactions ministérielles minimalistes jusqu’ici, si ce n’est la détaxation des voitures électriques, plus quelques autres bricoles. Mais Collendavelloo a opté pour le gaz et le lobby charbon bande toujours dans le lit de la bagasse, qui rappelons-le, est toujours produit par de la canne, jusqu’à preuve du contraire ! On dira que nous sommes minuscules et que ce que nous ferons ne pèsera pas lourd ? Et si chacun disait la même chose et transférait son irresponsabilité jusqu’aux plus gros, c’est-à-dire la Chine et les États-Unis seulement, vous croyez que nos descendances s’en sortiront ? Et qu’elles seront contentes de nous ?
  •  Problème récent : les médicaments génériques produits en Inde et en Chine profiteraient des systèmes de vérification plus faibles ou inexistants ailleurs que dans les pays développés, pour être produits à une qualité inférieure qui guérit moins bien ou pas du tout. Lire à ce sujet l’enquête de Katherine Eban, page 26, TIME magazine du 3-10 juin. Les implications sont effrayantes pour nous. Que pouvons/devons-nous prévoir au Budget pour se protéger ?
  • Après quatre années de fortes dépenses, nous saurons dans quelques jours quel genre de ministre des Finances nous avons. Nous vérifierons dans quelques années si nos rêves de république adulte et exemplaire se seront fracassés sur les grelots clinquants et factices que l’on nous aura proposés ou si nous avons un bon père de famille à la double tête du pays.