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Les enjeux de la ville durable: régénérer et transformer les agglomérations urbaines existantes

19 juin 2019, 07:59

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Les enjeux de la ville durable: régénérer et transformer les agglomérations urbaines existantes
L’auteur trouve absurde qu’Ébène, censé fonctionner 24/7, ressemble à une ville morte à partir de 19 heures. Il préconise que nos villes favorisent une mixité des usages, des lieux pour travailler et se relaxer, entre autres.

Le président de Landscope Mauritius participe aujourd’hui à une table ronde organisée par l’ambassade de France à Maurice, sur le thème :  «Les enjeux de la ville durable vus par Maurice et La Réunion – Dialogue entre deux îles». Ci-contre son discours sur une thématique qui est encore nouveau pour nombre de Mauriciens.

Je suis très honoré d’avoir été invité à intervenir lors de cette thématique «La ville durable dans l’océan Indien». Cette initiative d’inscrire la problématique de la ville durable au cœur des priorités est cohérente avec cette vision d’une France qui s’est toujours refusé à cantonner les droits de l’homme à une sphère réductrice. Oui, nous ne pouvons que saluer cette démarche de la France, qui, depuis longtemps déjà, a compris que le droit à la ville est un droit humain, mais qui a aussi intériorisé le fait qu’on ne peut dissocier le développement durable de la «ville durable».

Ce séminaire réunissant les professionnels de l’île Maurice et de La Réunion, ainsi que l’ensemble des acteurs de la société civile des îles sœurs, est une occasion exceptionnelle de réfléchir aux différents dispositifs à mettre en place pour favoriser le développement de villes durables dans nos deux îles. Même si nos évolutions économiques, démographiques et politiques diffèrent, l’île Maurice et La Réunion sont semblables de par leur petite taille et leur insularité. Nous avons donc beaucoup à apprendre l’un de l’autre afin de faire de l’étroitesse de nos territoires force qui permettrait aux générations futures d’envisager la vie urbaine avec sérénité.

Je dois souligner que l’Agence d’urbanisme à La Réunion (AGORAH), présente ici à travers sa présidente (NdlR, Fabienne Couapel-Sauret), jouit d’une excellente réputation et s’est révélée experte dans différents domaines de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Je suis donc personnellement convaincu que ce séminaire sera riche d’enseignements et nous permettra de construire tout un socle de connaissances et de compétences en matière d’urbanisme.

Il est utile pour moi de rappeler que Landscope est le résultat d’une fusion récente de quatre différentes institutions. À travers un guichet unique, même si nous n’avons pas la chance, comme AGORAH, d’avoir une mission très claire d’agence d’urbanisme, nous avons en partie comme mission de promouvoir la régénération urbaine aussi bien que le développement de villes durables. C’est donc en ma capacité de président du conseil d’administration de Landscope que j’ai l’immense privilège d’intervenir lors de ce séminaire sur la ville durable. La tâche qui m’est échue au sein de Landscope, peut-être à cause de mon patronyme, est une tâche herculéenne. Cependant, c’est un défi dont j’ai appris à mesurer l’ampleur et qui me pousse à me remettre perpétuellement en question.

Avant de partager avec vous quelques idées sur la ville durable, il est primordial de faire un état des lieux de l’île Maurice en ce qu’il s’agit de l’aménagement actuel de nos villes. Au début des années 2000, face à la nécessité de diversifier les ressources économiques de l’île, le gouvernement mauricien a adopté une nouvelle stratégie, la création des cybercités, modèle d’urbanisme que je qualifierais de villes d’exception. À part Ébène, nous avons aussi le parc de Riche-Terre et d’autres parcs informatiques et technologiques. Si, dans un premier temps, la concentration dans un lieu géographique de ces entreprises a permis l’essor d’activités économiques nouvelles, nous ne pouvons plus nous contenter de ce mode de développement qui se cantonne, avec ces immeubles de grande hauteur, dans un cadre rigide voué exclusivement aux bureaux. Une seule visite à Ébène permettra d’ailleurs de constater que la cybercité est condamnée à long terme à perdre de sa viabilité financière si on ne la régénère pas.

Oui, la destinée de notre île se jouera à notre capacité de comprendre qu’au lieu de s’évertuer à construire de nouvelles villes et des villes d’exception, il s’agit de transformer, de régénérer l’existant. Il ne faudrait pas oublier que pas longtemps de cela, nous étions encore un pays tiersmondiste pour lequel l’urbanisme n’était pas prioritaire. Nos villes se sont développées de manière anarchique. J’ai d’ailleurs réalisé un exercice rapide en utilisant Google Earth sur les espaces libres ou à très faible densité dans un rayon de 1 km du centre de Quatre-Bornes. Cet exercice rapide a révélé que presque 20 % de l’espace dans ce rayon d’un kilomètre du centre de Quatre-Bornes est sous-utilisé.

Il y a notamment les terrains vacants, les terrains publics, les propriétés non bâties et les terrains abandonnés. Pourquoi ne pas les exploiter au lieu de favoriser l’étalement urbain et contribuer davantage aux congestions routières quand les habitants devront se déplacer pour accéder aux centres névralgiques du pays là où se trouvent bureaux, écoles, services de santé ? N’est-il pas temps pour nos décideurs d’éviter comme la peste l’étalement urbain et de se rendre compte que les constructions devraient se concentrer autour des centres névralgiques déjà bâtis du pays ?

Il suffirait de faire preuve d’un peu de bon sens pour comprendre que le Metro Express est voué à l’échec si on ne développe pas une stratégie de densification de villes existantes pour augmenter le nombre de passagers. L’étalement urbain ne pourrait que contribuer à l’échec du Metro Express. Combien seraient disposés à laisser la voiture dans le garage s’ils doivent prendre une navette avant d’avoir accès au métro ? Il est vital donc pour nos décideurs de comprendre que le succès du Metro Express est lié aux décisions prises en matière d’urbanisme.

«Il suffirait de faire preuve d’un peu de bon sens pour comprendre que le Metro Express est voué à l’échec si on ne développe pas une stratégie de densification de villes existantes…»

Il est vraiment dommage que beaucoup de personnes réduisent la technologie aux smartphones, à l’avion, à l’ordinateur. Il est utile de souligner que, par extension, la technologie implique l’application pratique des connaissances dans le but de permettre à l’homme de s’adapter à son environnement. Aussi, si nous voulons créer un environnement harmonieux dans nos villes, il s’agit de mettre en pratique la technologie de la ville durable. Pour ce faire, il faudrait s’évertuer à avoir une expérience de la ville dans toute son entité – ses particularités physiques et géographiques, sa composition socio-économique, comprendre le fonctionnement de la consultation publique… Cependant, il est malheureux qu’à Maurice, il y a une pauvreté au niveau des études des villes. Par exemple, nous ne prenons pas en considération la composition de la population d’une ville en termes d’âge pour déterminer les besoins des citadins en termes de logements, de loisirs…

Une de vos forces à La Réunion est d’être imprégnée de cette culture de l’enquête – avant même de contempler toute idée de réformes, vous essayez de comprendre le sens dans lequel vos villes évoluent. De plus, nos décideurs devraient ainsi comprendre que l’AGORAH fait un gros travail en amont, en ce qu’il s’agit de la collecte d’informations, avant de commencer les travaux.

Ce séminaire est justement important parce qu’il nous permet concrètement d’entrer en contact avec des personnes qui vivent plus ou moins les mêmes réalités que nous et qui, dans un esprit de partage, sont disposés à nous transmettre leur savoir et leur expérience. De plus, ces professionnels reconnus en tant que tels par leurs pairs ne se sont pas distingués par des concepts flous, de fausses évidences. Il suffit de se rendre à La Réunion pour se rendre compte que la création de villes durables est un fait avéré.

Que pourrait-on donc envisager dans nos villes afin de les transformer en villes durables ? Connus pour être une nation en mauvaise santé, nous avons grandement besoin d’espaces publics qui incitent à la marche. Il est impératif de remplacer nos gated communities par une gamme d’habitations favorisant la mixité sociale. Il est absurde qu’Ébène, censé fonctionner 24/7, ressemble à une ville morte à partir de 19 heures. Nos villes devraient ainsi favoriser la mixité des usages, des lieux pour travailler, se relaxer, se restaurer, dormir. Elles devraient aussi, à l’instar des villes durables, avoir la capacité de se réajuster et se régénérer de manière permanente. Il ne faudrait pas perdre de vue que le vieillissement de la population est une évidence à laquelle il faudrait se préparer maintenant afin de ne pas être pris au dépourvu d’ici trois décennies.

Avant de terminer cet exposé, il faudrait identifier les facteurs qui pourraient nous aider à atteindre notre but de doter notre île de villes durables. Il s’avère primordial pour nous d’affiner notre vision en ce qu’il s’agit de nos attentes en termes d’urbanisme. Certains touristes restent bouche bée devant la laideur de certains bâtiments gigantesques, blocs de béton glauques et hideux, plantés au beau milieu d’un cadre naturel magnifique. Il est important donc de définir des cadres de références, de légiférer afin d’aménager, de régénérer et développer nos villes de manière durable. À partir du moment où nos villes appartiennent à tout un chacun, il s’avérerait intéressant de faire un livre blanc autour de cet enjeu, à partir d’une consultation publique.

Cependant, il est important que nous changions nos mentalités par rapport au développement des villes durables. L’idée que cela se réduit à l’environnement et à la verdure nous empêche d’avancer car nous nous contentons d’une politique fragmentée. Le philosophe Michel Serres, qui vient de nous quitter, prêchait le décloisonnement des sciences, qui seul permettrait d’avoir accès à un savoir global. Effectivement, avec notre tendance à compartimenter les problématiques selon les domaines du savoir, nous ne trouvons que des solutions partielles.

L’architecte qui prend des décisions unilatérales pour obstruer une vue du port, qui est un patrimoine national, sans consulter l’urbaniste par exemple, est un parfait exemple de l’absence d’approche holistique qui met en péril l’avenir de nos villes. Il faudrait de plus encourager les différents ministères à travailler de concert. Par exemple, la mise en place d’incitations fiscales pour l’amélioration des façades par le ministère des Finances pourrait aller de pair avec l’initiative du ministère des Arts et de la culture de pro- mouvoir la peinture de rues.

Il ne suffit pas d’agir sur l’espace pour provoquer une révolution dans notre manière de concevoir la ville. Il s’agit avant tout de modifier les idées reçues et les comportements des individus, des entreprises, des citoyens et des décideurs. Je termine mon allocution en insistant sur le fait que les villes durables ne sont pas une utopie. L’émergence des éco-quartiers partout dans le monde et la volonté de grands groupes industriels de la construction d’apporter leur pierre à l’édifice en sont la preuve.

Des villes durables à Maurice peuvent constituer un cadre idéal pour le développement d’une économie alternative à laquelle nous avons été habitués avec IRS, gated communities et les villes intelligentes. Il est même possible de développer des villes durables et d’en faire un nouveau secteur économique. À condition bien sûr que la volonté politique soit au rendez-vous.