Publicité

Hold-up et prestidigitation

23 juin 2019, 08:03

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Hold-up et prestidigitation

Cette semaine a, sans aucun doute, été dominée par la question de savoir si le gouvernement a le droit de se sentir autorisé de puiser dans les «réserves» de la Banque centrale pour éponger ses dettes.

Nous n’allons pas répéter tous les chiffres et tous les arguments alignés par le ministre des Finances, Jugnauth; le leader de l’opposition, Duval; l’ex-gouverneur de la Banque de Maurice Basant Roi (l’express de lundi) et l’ex ministre des Services financiers Kushiram (l’express de mercredi), mais plutôt tenter de rappeler les faits pertinents qui émergent.

D’abord, il faut définitivement faire la distinction entre les réserves nationales de devises (équivalent à Rs 230 milliards environ, soit 10,2 mois d’importation) et le Special Reserve Fund de la BoM (Rs 13,474 Mds au 30.06.18 et apparemment 20,3 Mds au 14.06.19 !). Les réserves nationales ne peuvent PAS être utilisées par la Banque centrale, bien entendu, puisqu’elles ne lui appartiennent pas. C’est encore moins possible dans le cas du gouvernement. D’ailleurs, le plan du gouvernement, c’est de modifier la BoM Act (voir article C1(a) (viii) du Finance Bill, page 47) afin de rendre possible le transfert du Special Reserve Fund, pas des réserves nationales, largement alimentées par l’offshore, par ailleurs.

S’est ensuite posée la question de «realised or unrealised gains.» Il semblerait que le Special Reserve Fund contient à la fois des profits réalisés, (qui peuvent donc être transférés au compte des Profits et Pertes) et des «profits papiers», c.-à-d. des profits notionnels, mais on ne sait pas dans quelle proportion. Ramesh Basant Roi affirme dans son interview de lundi que “An overwhelming proportion of the Special Reserve Fund” sont des «profits papiers». Et d’ajouter, un tantinet malicieusement : “It’s not real money. Materially, it does not exist. If it does not exist, the question of surplus and distribution does not arise”. Il sera donc intéressant de voir comment la Finance Act sera rédigée pour faire bénéficier le trésor public de réserves de profits théoriques ou «notionnels».

Ce qui est certain, cependant, comme démontré par Sushil Kushiram (voir Box1, article 1.3), c’est que, d’une part, les 18 milliards sont un «financing item» du Budget, ce qui va aider à cadrer le déficit et d’autre part, l’achat agressif de devises depuis mars 2019 a dévalué la roupie par plus de 3 % entre mars et juin 2019, augmentant la valeur, non réalisée, de nos réserves de devises nationales, par 7 milliards – ce qui a dûment renforcé,– c’est pratique–, le Special Reserve Fund à Rs 20 milliards ! Le ministère des Finances ainsi que la Banque centrale auront à vivre avec les conséquences de ces interventions délibérées, tant sur le marché que sur leur réputation. La BoM ayant payé pour créer ces réserves ne peut sûrement pas les donner au gouvernement gratuitement ?

S’est aussi posée la question de savoir, quand bien même la BoM pouvait «donner» Rs 18 milliards au Trésor public, s’il resterait alors assez de fonds/ capitaux propres au bilan de la Banque centrale pour assumer son rôle de régulateur de marché et de stabilité financière. Un lecteur assidu, ex-banquier central, que nous remercions, nous signale un rapport de janvier 2019 de la CAFRAL (Centre for Advanced Financial Research and Learning), qui travaille au sein de la Reserve Bank of India, et qui s’est interrogé sur la taille des fonds propres requis pour une Banque centrale. Leurs conclusions ? Ayant analysé le bilan de 45 banques centrales, les auteurs suggèrent qu’il n’y a pas de consensus sur la question, le «capital/ asset ratio» moyen des banques centrales étant de 6,96 % dans les économies émergentes, mais variant de 0,12 % (Brésil – déficit budgétaire de 6,98 % et endettement national de 78,4 % du PIB) à 43,6 % (Botswana – déficit budgétaire de 2,30 % et endettement national de 22,3 % du PIB).

Notons cependant trois faits découlant de ce rapport. Premièrement, que le capital/asset ratio a tendance à être plus faible dans les économies fortes, principalement parce que la plus grande stabilité d’une économie forte (et d’institutions mieux rodées, et plus compétentes) rend la perspective d’intervention de la Banque centrale plus faible. Deuxièmement, les chercheurs signant ce rapport font le point explicite que les réserves de réévaluation, étant essentiellement une entrée comptable mais n’étant pas «déployables», ne peuvent être retenues pour établir le ratio prudentiel d’une Banque centrale. Finalement, ils soulignent que le déficit budgétaire de l’Inde est à 6,6 % du PIB, soit plus de six fois que celui des pays dits développés, ce qui suggère que dans cette situation il est d’autant plus nécessaire que la Reserve Bank of India soit bien capitalisée, parce que celui, – le seul –, qui peut intervenir pour recapitaliser la Banque centrale, en cas de besoin, soit le gouvernement indien, est luimême déjà en position difficile !

De plus, les circonstances dans lesquelles une Banque centrale a besoin de recapitalisation, par exemple parce qu’elle fait des pertes opérationnelles, comme depuis quelque temps déjà avec la stérilisation de liquidités excédentaires à Maurice, ont tendance à coïncider avec des périodes où le stress macroéconomique et fiscal est lui-même à son apogée. C’est le cas de Maurice. Si la Banque centrale n’a plus de réserves, mais en a besoin, qui va lui fournir du capital si ce n’est le Trésor public déjà bien endetté !? Or, les pertes opérationnelles d’une Banque centrale peuvent définitivement être sérieuses par rapport à son «core capital». Ainsi, l’échantillon analysé par CAFRAL suggère que les pertes annuelles de Banques centrales totalisaient, en moyenne, ces dernières années, 50 % de leur capital ; 17 % de celles-ci perdant plus de 90 % de leur capital…

Si, comme suggéré par CAFRAL, on ne compte pas la réserve de réévaluation du Special Reserve Fund, signalons que le «core capital» de la BoM est alors de Rs 4,7 milliards au 30 juin 2018, ce qui se traduit par un capital/asset ratio de… 1,98 %, AVANT toute distribution. On ne peut pas dire que ça fait particulièrement costaud, n’est-ce pas ? Si Rs 18 milliards sont effectivement créditées au compte que détient le gouvernement à la BoM, sans contrepartie aucune, le résultat serait de l’encre rouge. Des pertes opérationnelles auraient le même effet. Et pour faire cette transaction il faudrait augmenter la masse monétaire, ce qui sera inévitablement inflationniste.

Il semblerait en toute logique, et quoiqu’en dise M. Dan Maraye*, que l’opération projetée par le gouvernement ne pourra avoir lieu. Il faudra trouver autre chose !

Une incantation peut-être ? D’autant que cette idée, mentionnée presque comme un ajout de dernière minute a la section 429 du Budget, va avoir un impact certain sur la réputation et l’image de la BoM, du ministère des Finances et donc du pays ! Qui va expliquer tout cela au FMI et à Moody’s ? Les investisseurs, déjà présents et potentiels dans notre juridiction, pourraient d’ailleurs s’en émouvoir… Ce qui pourrait aussi avoir des conséquences, notamment sur la balance des paiements, elle-même récemment déficitaire depuis le 3e trimestre de 2018 ! Espérons que cela ne soit pas un début de tendance…

*Lors d’une interview accordée à «Weekly» le 12 juin dernier, M. Dan Maraye était cinglant et plutot catégorique : “It is unfortunate to have a Finance Minister who has never been involved in finance at all”. Quelque chose a-t-il changé ?