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Un nationalisme festif
C’est quand même dommage que seul le sport soit capable de susciter pareil enthousiasme et regain de nationalisme. Après les Jeux des îles de 1985 (quand nous avons remporté la finale de football contre les Réunionnais), le retour d’Edmonton de Stephan Buckland et d’Eric Milazar en 2001, ou celui de Bruno Julie des Jeux olympiques de Beijing en 2008, qui ont marqué les esprits patriotiques, nos sportifs et leurs supporters bigarrés donnent maintenant l’occasion à un autre type de nationalisme d’émerger, celui qu’on pourrait appeler le nationalisme festif. Un nationalisme loin des affaires, scandales, «parallel thinking» et des ratés organisationnels. Un nationalisme qui est venu faire taire tous ceux qui parlaient, avant même l’entrée en scène des sportifs, de «Jeux désillusions»...
La récupération politicienne constitue certes une grosse entourloupe qu’on ne peut occulter. Et l’incapacité de nos footballeurs de scorer le moindre pénalty dimanche aura quelque peu refroidi l’ardeur du Sun Trust. Car elle vient aussi illustrer que rien n’est acquis dans le foot comme dans la vie. À tout moment, le destin peut basculer – et l’or s’envoler.
La «fête» dans la rue paraît spontanée mais n’est pas neutre. C’est tout sauf neutre. Elle vient démontrer que les Jeux des îles, un peu comme les Jeux olympiques et les Coupes du monde de football (toutes proportions gardées), ne sont pas que des machines à rapporter du pognon dans les caisses des partis, ce sont aussi et surtout des moyens de propagande identitaire, qui distillent le chauvinisme et le nationalisme (ici face aux Réunionnais, Malgaches, Mahorais, Maldiviens, Comoriens et Seychellois). Mais quand les vuvuzelas quadricolores vont se taire, qui va encore croire que riches et pauvres, patrons, syndicalistes et ouvriers, banquiers et chômeurs, MSM ou PTr, resteront unis sous notre drapeau et auront les mêmes intérêts ?
Ce ne sont pas les suiveurs du présent régime qui vont nous apprendre à être sensibles à la joie de nos compatriotes. Ils oublient, trop souvent, que nous sommes aussi des citoyens de ce pays. Qui ont choisi, tout en célébrant nos sportifs, de dénoncer les travers du système et cette hypocrisie politicienne qui consiste à diviser ce peuple que le sport a rassemblé. Gouvernement, opposition, compagnies publiques ou privées, chanteurs, publicistes, journalistes et communicants ont tous intérêt à récupérer un tel événement. Ils le font pour créer une image (le quadricolore), véhiculer un concept (le nationalisme) et démontrer une solidarité nationale, mais aussi pour occulter ces choix et postures qui détruisent le «vivre ensemble» et qui font perdurer les inégalités et injustices sociales.
Il y a toutes sortes de nationalisme, celui qui est républicain, ouvert, comme celui sous la Révolution et la France du XIXe siècle. Il y a le nationalisme totalitaire : le fascisme et le nazisme. Sous Trump et avec le Brexit, il y a eu une poussée de nationalisme défensif, soit celui qui veut protéger la nation contre les vagues d’immigration.
Le nationaliste festif, lui, ne se construit pas contre l’individualisme ; il en est une figure. Lorsque des milliers de Mauriciens, en congé forcé, s’exhibent avec leurs drapeaux, ils expriment un bonheur réel, un plaisir partagé, et ils n’attendent rien de plus que l’émotion et l’énergie collective. Mais ils attendent, de ce gouvernement-là, ou de n’importe quel autre, qui voudrait surfer sur nos athlètes, quelque chose qui n’est pas éphémère. Nombre de sociologues avancent que l’homo sapiens du XXIe siècle est ainsi fait : si le «nous» recule avec la société de consommation, il n’est pas pour autant aboli. C’est pour cela que le sport est, plus que jamais, l’un des seuls rendez-vous pouvant créer un sentiment de communication collective et, partant, retrouver le sens de la fête. Et ce, contrairement aux «composite shows» qu’on continue, malgré tout ce qu’on a vu, à nous servir dans chaque circonscription du pays…
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