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Capitalisme moderne
C’est fait ! Avant que le Parlement ne rentre en hibernation, les lois du travail ont pu être remises au goût du jour. Le vaillant ministre Soodesh Callichurn a su faire voter, après pas mal de débats (parlementaires et extra-parlementaires) nourris, de consensus substantiels, et d’amendements négociés, le Workers’ Rights Bill et l’Employment Relations Act à une heure du matin, mercredi. Une avancée indéniable en termes de justice sociale, quelle que soit la réelle motivation politicienne ou le timing. Ainsi, avec le salaire minimum, la Negative Income Tax et, désormais le Portable Retirement Gratuity Fund et d’autres aspects progressistes, les travailleurs, même s’ils ne sont pas forcément devenus du jour au lendemain des «mari», ont été sacrément gâtés par la présente législature, surtout depuis que Pravind Jugnauth a compris qu’il lui faut, s’il veut être élu comme PM, davantage les votes des travailleurs (du gouvernement et du privé) que le financement politique que peut faciliter, par exemple, Business Mauritius.
Certes, le contexte économique n’est pas aussi pareil qu’avant, mais Soodesh Callichurn a quand même réussi, malgré les contraintes budgétaires (d’où, d’ailleurs, le besoin de pomper le Special Reserve Fund de la Banque centrale), à faire oublier, aux yeux des syndicalistes du moins, l’Employment Rights Act du tandem (honni des syndicats) Sithanen-Mansoor (2008) ou, encore, la disposition introduite, en 2013, par Shakeel Mohamed relative à l’indemnisation financière suivant le licenciement d’un travailleur (formule qui était clairement à l’avantage du patronat).
La question, désormais, qui se pose, après le vote parlementaire : les deux nouvelles lois seront-elles promulguées et gazetted avant les prochaines élections afin que le gouvernement puisse récolter les dividendes, ou était-ce un subterfuge du gouvernement, qui aurait incité le privé à pousser pour un Regular Impact Assessment, afin de comprendre l’impact sur notre compétitivité ? Selon Arvin Boolell, tout aurait été orchestré, telle une théorie du complot : «Entre-temps, il y aura les élections générales, et la loi ne sera pas appliquée avant 2020. En fait, c’est un deal que le gouvernement a fait avec Business Mauritius sur le dos des travailleurs.» Si Boolell n’est pas totalement démagogique, on aurait, alors, atteint le sommet de l’hypocrisie tripartite, où seule une poignée de dirigeants (GM-privé-syndicats, souvent les mêmes) s’agitent comme des acteurs avec des scripts, pour un destin qui ne nous appartient plus vraiment…
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Et si cette évolution du droit des employeurs et des employés ne s’inscrivait au final que dans l’air du temps mondial ?
Ailleurs dans le monde, la question de savoir qui est aujourd’hui un capitaliste revient de plus en plus. Les milliardairesphilanthropes Warren Buffett et Bill Gates ? Le magnat de l’immobilier, par ailleurs président US, Donald Trump ? Les 1 % ou les 0,01 % des plus riches des riches ?
Ou alors sommes-nous quasiment tous capitalistes, à des degrés divers, parce que nous avons des pensions de retraite transférables ou des plans d’épargne qui nous rendent propriétaires d’actifs capitalistiques ? L’économie mondiale, de plus en plus interconnectée, est devenue un complexe système aussi incompréhensible que chaotique. Au sommet de son triomphe, le capitalisme, qui demeure l’unique mode d’organisation rationnel et réaliste, est durablement en crise. Une abondance de richesses et d’incroyables avancées scientifiques et technologiques cohabitent avec une croissance des inégalités et une crise économique pratiquement en permanence. Paul Mason, rédacteur en chef d’un service économique en Europe, tente de comprendre, dans PostCapitalism, comment les forces motrices du capitalisme – compétition, propriété privée, poursuite du profit – sont aussi perçues, progressivement, comme d’énormes entraves au progrès social. Ce qui soulève la question vitale du système qu’il nous faut adapter pour faire avancer la société et l’humanité…
Enfin, les nouvelles technologies de l’info-com et l’automatisation donnent à voir un monde regorgeant de possibilités jusqu’ici inimaginables. «D’un point de vue technologique, nous allons vers des biens à coût nul, un travail impossible à mesurer, une croissance exponentielle de la productivité et un développement de l’automatisation des processus physiques. Socialement, nous sommes coincés dans un monde de monopoles, d’inefficience, au milieu des ruines du libre marché dominé par la finance et d’une prolifération de “jobs pourris”. Aujourd’hui, la principale contradiction du capitalisme moderne oppose la possibilité de produire socialement des biens gratuits, en abondance, et un système de monopoles, de banques, de gouvernements qui se battent pour le contrôle du pouvoir et de l’information.» (PostCapitalism, p144).
Les développements du capitalisme au cours des prochaines décennies seront passionnants à suivre. Ça passera et ça cassera assurément.
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