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La leçon Macri. La leçon Tsipras. La leçon Trump.

18 août 2019, 07:13

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Mauricio Macri, élu en 2015 comme président de l’Argentine après Christina Kirchner, est le premier non péroniste démocratiquement élu à la tête de ce pays depuis 1916. Selon les élections primaires conduites il y a quelques jours, il semblerait qu’il sera balayé aux élections d’octobre prochain et que les péronistes, dont Christina Kirchner, reviendront au pouvoir !

Pour comprendre ce qui se passe et espérer en tirer des leçons pour notre pays, il faut remonter un peu dans le temps. Avec ses vastes pampas fertiles, l’Argentine devançait pendant des décades, jusqu’à la grande dépression, des pays comme l’Australie, ainsi que le Canada en PNB et en PNB/tête, au point où en 1913, l’Argentine était le 10e pays le plus riche du monde. Puis, une junte militaire s’installe en 1930 et l’instabilité politique devient permanente, avec la création du parti péroniste en 1946. N’empêche que jusqu’en 1962, le PNB/tête de l’Argentine reste meilleur que celui de l’Italie, du Japon et même de l’Espagne elle-même, la puissance coloniale jusqu’en 1816. Mais être bien loti économiquement n’est pas une garantie de permanence, si on ne fait pas ce qu’il faut pour avancer* ! Les militaires furent ineptes. Les péronistes, rejetant capitalisme et communisme, assurèrent des régimes autoritaires et populistes, achetant la paix sociale en fournissant beaucoup d’avantages aux couches défavorisées, notamment à travers un État-providence généreux : sécurité sociale universelle, éducation gratuite, vastes programmes de logements sociaux, santé gratuite, 50% des coûts de vacances remboursés, centres récréatifs partout dans le pays etc… Pays non-aligné et anti-impérialiste, l’Argentine décrite, contradictoirement, comme un pays «socialiste de droite», a souvent été comparée aux pays fascistes, et faisait systématiquement taire toute dissidence en accusant ceux-ci d’être «antipatriotiques». La nationalisation des grandes corporations, dont la radiotélévision, l’accord national avec les syndicats qui abandonnent leur droit de grève, passant à l’État centralisateur le rôle de négociateur en cas de conflit industriel et l’attaque systématique des libertés, tout en maintenant une façade d’institutions démocratiques, sont parmi les caractéristiques principales du péronisme selon Juan Perón. Suivirent Eva Perón, l’armée à nouveau, Carlos Menem, Nestor Kirchner, puis l’épouse de ce dernier, Christina, qui mit à nouveau son pays économiquement à genoux (inflation record, interdiction au bureau des statistiques de publier de «mauvais chiffres», déficits budgétaires lourds, contrôle des changes, prêts internationaux non remboursés, monnaie dévaluée…) Elle est actuellement poursuivie pour 11 cas de corruption.

Ce qui explique que Macri cède le pas devant Kirchner (et son paravent, Alberto Fernandez) c’est que Macri a été élu sur un programme de rigueur économique corrigeant les dérapages des années Kirchner et que la population n’a pas aimé l’austérité qui s’en est ensuivie et préfère, semble-t-il, retrouver une microéconomie plus favorable à son endroit personnel, même si la macroéconomie se détériore à nouveau et ramène les folies du passé. M. Macri en a pris note et a commencé à distribuer des cadeaux comme promis par l’opposition !

La leçon est évidente. Le déficit budgétaire, la dette nationale, la balance des comptes courants ou du commerce extérieur, la productivité nationale n’intéressent pas grand monde. Ce qui compte pour la plupart des gens, c’est le bien-être personnel, le pouvoir d’achat, le confort et la sécurité individuelle, le fameux «feel-good factor». C’est ce que l’alliance Lepep avait promis à travers son «miracle économique» qui n’a pas eu lieu mais auquel elle a tenté de substituer des travaux publics importants, le salaire minimum, la pension de vieillesse améliorée, les récompenses doublées des athlètes des JIOI, les Rs 1 000 que l’on paiera d’avance aux fonctionnaires en janvier 2020 et le Workers’ Rights Bill qui selon le ministre Callichurn, promet le paradis aux travailleurs. Ça pourrait marcher mais il faudra aussi compter sur les effets dévastateurs de l’accaparement de l’État sous forme de népotisme aigu, de tentatives de noyauter toutes les institutions a priori indépendantes du pays, de gaspillages éhontés, d’opacité systématique (jusqu’au contrat passé avec Liverpool FC, que diable !), de «noubannisme» criard, d’abus de toutes sortes qui ont engendré beaucoup, beaucoup d’insatisfaits. Autre phénomène marquant : malgré les incantations de la page 8 du manifeste électoral Lepep de 2014, peu de citoyens sont disposés à en parler ouvertement dans un climat suffocant de punition immédiate si on dit ou on fait ce qui ne plaît pas aux princes du jour. Dans un pays qui ne cesse de se targuer de son avenir océanique, on a alors peut-être intérêt à craindre les… sous-marins ? Comme en 2014 ?

En Grèce, on se souviendra de l’élection d’Alexis Tsipras à la tête du parti de gauche, Syriza, en 2015 aussi, et de sa résistance initialement farouche contre les plans d’austérité que lui imposaient l’union européenne et le FMI. À son grand dam, Tsipras avait hérité du dévergondage économique de ses prédécesseurs non-immédiats qui furent ainsi responsables de taux d’endettement spectaculaires (180 % du PNB), d’avoir toléré une fiscalité et des plans de pension iniques et même de manipulation éhontée des chiffres officiels du pays, surtout concernant la dette. Même avec un référendum national ayant, à 60 %, dit «non» aux mesures d’austérité imposées par Bruxelles, Tsipras dut finalement céder et faire, selon ses propres mots, «ce qu’il peut, plutôt que ce qu’il souhaite». En conséquence, l’économie se porte mieux, l’assainissement du pays progresse, mais pas assez vite pour les électeurs qui, en choisissant Mitsotakis en juillet, ont cru en sa promesse de taxes inférieures, de dépenses gouvernementales accrues ET d’une réduction des «gaspillages» pour tout payer !

Le point ? On ne choisit pas toujours le bon moment pour prendre les rênes d’un gouvernement. Tous les gouvernements préfèrent évidemment être aimés, mais il est des moments où il faut, par contre, assumer. Il est évidemment toujours mieux d’être en selle après que la bonne gestion des autres ait créé suffisamment de marge de manoeuvre pour permettre à sa propre politique (potentiellement populiste) de fleurir, surtout si «bonne gestion» dans ces moments-là veut dire de l’austérité nécessaire et pas racoleuse.

Aux États-Unis, le président Trump ne cesse de surfer sur ce qu’il appelle, faussement et sans modestie aucune, un «boom» économique sans parallèle. En fait, Obama héritait en 2008 d’une pleine crise financière qui menaçait l’industrie automobile et, surtout le secteur financier après la crise des ‘subprimes’. Le chômage était à plus de 10 % et par effet mécanique, la résolution de la crise financière de 2008-2009 menait l’endettement national au-dessus de 100 % du PNB. Les années Obama rétablirent d’abord la confiance et la croissance et firent massivement diminuer le chômage. Trump, héritant d’une situation assainie, fit un cadeau fiscal majeur à ses riches semblables et dérégulait, ce qui créa des emplois, fit flamber la bourse, mais n’aidait (n’aidera) pas la dette nationale. Les intérêts à long terme (2 à 20 ans) étant désormais et progressivement à plus bas que les intérêts à court terme suggèrent même une possible récession, ce que les conflits commerciaux déclenchés avec la Chine, le Mexique ou même l’Europe, ne vont pas aider.

À Maurice, tout gouvernement responsable après les prochaines élections, y compris le gouvernement existant, devrait normalement ramener la voilure mais sera sans doute tenté de se rendre populaire en étant encore généreux à la dépense, en espérant qu’une croissance accélérée vienne tout rendre soutenable. Les leçons de Macri et de Tsipras suggèrent que l’on ne peut vivre longtemps au-dessus de ses moyens réels et que cette situation artificielle, pour bien perçue qu’elle soit par une population assoiffée de «gratification instantanée», demande, au contraire, de la mesure, du travail assidu, de la discipline, du réalisme et certainement des sacrifices pour assurer l’avenir à plus long terme. On appellera cela du «leadership».

Pour rappel, la générosité actuelle du gouvernement coïncide avec un secteur sucrier malade, du tourisme qui doute, une zone franche refroidie sinon grippée, un avenir océanique pour le moment théorique. Autant de raisons pour ne pas plomber nos secteurs encore fringants et évoquer beaucoup de prudence et de rationalité. Car la fuite en avant et la démagogie vont se payer comptant, qu’il y ait rupture ou continuité politique !

*L’Argentine est aujourd’hui 59e mondial pour le PNB par tête (11,627$). Maurice est 61e (11,281$)