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«Démugaber» Maurice afin de libérer la méritocratie
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«Démugaber» Maurice afin de libérer la méritocratie
Nous vivons dans un désert intellectuel. La méritocratie n’a pratiquement plus sa place chez nous car elle est en panne sèche de militants (croyants et pratiquants confondus). C’est la principale raison pour laquelle les mêmes politiciens s’alternent au pouvoir sous nos yeux blasés. C’est aussi pourquoi les fils à papa et les filles à papa (ou à maman, dans le cas des Hanoomanjee), aidés par une clique de flagorneurs et de profiteurs, poussent comme des champignons dans notre arrière-cour de préjugés (plus tenaces que la canne à sucre). Pourtant le désir d’une vraie alternance (et non pas une sempiternelle musical chair avec les éternels patronymes), la soif de la démocratie et d’un État de droit demeurent une aspiration universelle, surtout pour nous qui avons vécu sous le diktat de trois ou quatre familles politiques depuis un demi-siècle d’indépendance…
Nous nous tirons, en fait, une balle dans le pied après chaque élections générales. Seules 50 % de nos ressources humaines — déjà rares — sont mises à contribution, et les autres 50 % sont ostracisées ou occultées de notre équation nationale. Un ami me disait récemment qu’on aime se tenir sur une seule jambe et regarder avec un seul oeil. Puis vient l’alternance. Ce que nous appelons changement. Nous changeons alors de pied et d’oeil – mais toujours un seul pied, et un seul oeil à la fois. Jamais les deux en même temps pour mieux marcher ou pour mieux voir. Nous prenons plaisir à nous amputer ainsi de nos moyens. Dès lors comment voulez-vous qu’on sorte de la mélasse, surtout que nous n’avons pas de ressources naturelles comme d’autres pays ? Un exemple : le dossier Chagos. Alors qu’il nous faut présenter un front uni face à la perfide Albion, l’on assiste, en même temps, à un duel sans merci entre les deux dynasties : Ramgoolam et Jugnauth. Pas de trêve possible ici. Elles ont réussi ceci : couper Maurice en deux et s’invectiver en permanence, en faisant monter la tension dans le pays. Mais gageons c’est ce qu’aime le peuple : être divisé et se toiser en permanence, comme mes collègues fans de Manchester Ltd et de Liverpool au bureau.
Si les attaques sous la ceinture entre la bande à Pravind Jugnauth et celle de Navin Ramgoolam sont de plus en plus nombreuses, nos voix citoyennes, elles, demeurent plus ou moins silencieuses dans l’espace public agité par les tapageurs politiciens qui donnent l’impression de tout maîtriser alors qu’ils sont surtout des représentations ethniques ou patronymiques pour la plupart, avec pas grand-chose, pour beaucoup, dans la tête. Mais qu’à cela ne tienne, la grosse majorité d’entre nous préfèrent rester muets et regarder ailleurs. C’est plus facile de se taire, de profiter de son dimanche, en famille, à écouter la radio, ou, encore, à palabrer sur les gens qu’on ne connaît même pas. Et puis de critiquer sur la Toile (comme pour se vider de sa frustration). Pourtant, la critique sociale, la vraie, est incontournable si l’on veut s’ériger en un peuple «smart» au lieu d’être un pays peuplé de «smart cities» en béton armé. La question à se poser: qu’est-ce qui réduit au silence nos intellectuels – ceux qui auraient pu éclairer le troupeau, remettre en question la gouvernance, la politique économique et l’ordre établi, et questionner notre commencé et les chemins à emprunter pour des lendemains meilleurs pour nos enfants, plus exposés que nous aux conséquences du terrible changement climatique.
Pour garantir un développement durable et réduire les inégalités, nous ne pouvons que regretter le manque de cohérence de nos acteurs politiques, qu’ils soient du pouvoir, de l’opposition ou de l’opinion publique. Si les politiciens qui composent le gouvernement et l’opposition nous ont (suffisamment) démontrés qu’ils jouent au même jeu de chaises musicales, l’opinion publique, elle, a le devoir de s’assurer qu’on ne perpétue pas l’immobilisme, en prenant les mêmes et en les réalignant mandat après mandat, sans restriction aucune. Il nous faut «démugaber» la politique à Maurice dans le sens où il faut lutter contre les inamovibles et les dynasties ou le règne sans partage au sein des partis politiques. S’il n’y a pas de démocratie au sein des partis, ou s’il y a une forme de démocratie qui maintient un leader ou une famille aux commandes pendant cinq décennies, alors il faut revoir tout le fonctionnement sans tarder. La méritocratie doit prendre le pas sur le règne des dynasties et des fils et des filles à papa. S’ils sont méritants tant mieux, mais qu’ils ne viennent pas piper les dès au sein de leur parti respectif, trop souvent confondu avec un business familial, au nom d’une transmission naturelle ou génétique de la chose politique.
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Les intellectuels existent-ils à Maurice ? C’est le thème du livre provocateur, Maurice : intellectuels et champs intellectuels, qu’un Mauricien établi à Genève, Rajendra Paratian, vient de sortir et qui sera lancé à Maurice, probablement, durant la prochaine campagne électorale. «Historiquement forgé par un passé colonial, doublement articulé autour des valeurs et des normes émanant de la France et de l’Angleterre, c’est au confluent du local et de l’extérieur que se situe le savoir. De là, pour Maurice, les spécificités de la question des intellectuels dans leur espace physique qui englobe un ensemble de tissus sociaux, issus de la pluriethnicité. Cet essai réflexif, premier du genre, invite à un débat sur les champs intellectuels mauriciens. Il s’interroge sur plusieurs questions, dont la proximité des intellectuels au pouvoir, leur silence, leur professionnalisme, leurs rapports avec la religion, l’ethnicité et la corruption», peuton lire en quatrième couverture. L’auteur, né à Maurice, est docteur en sociologie et économie du développement et a été fonctionnaire de l’Organisation internationale du travail. Il n’apporte pas des réponses forcément mais ouvre des pistes de réflexion sur nous-mêmes. Pourquoi sommesnous complices de ce qui nous arrive et surtout comment remettre les intellectuels au centre des discussions portant sur notre devenir commun – au lieu de nous couper en deux, en permanence. L’universitaire Edward Said mettait souvent en exergue la mission des intellectuels qui est de «break down the stereotypes and reductive categories that are so limiting to human thought and communication». Noam Chomsky, autre activiste de la pensée sociale, avance, lui, sans détours : «It is the responsibility of intellectuals to speak the truth and to expose lies.»
Au final, la politique doit être l’affaire de toutes et de tous les citoyen(ne)s. Il faut s’en mêler même si c’est sale et dénoncer tous ces politiciens qui ont pris le système en otage, qui ont fait de la politique locale leurs fonds de commerce familial («en ne laissant même pas les miettes de biscuits aux autres») – de grand-père à petit-fils, dont certains ne sont même pas nés encore. Il est temps de moraliser la vie publique. Et interdiction devrait être faite aux politiciens d’employer, avec les fonds publics, des collaborateurs familiaux (conjoints, enfants, neveux, beauxfrères, gendres, etc.) Si seulement, à Maurice, on allait dans ce sens, beaucoup de nos patronymes de la place n’auront jamais pu être dans leur position actuelle, se pavanant avec un ticket en main. Sans leur «brand name» familial. Pour changer la donne, non seulement il nous faut légiférer et réformer le système électoral, répondre aux inquiétudes onusiennes, repenser le financement politique, mais on doit surtout combattre tout ce qui sépare les citoyens de la politique politicienne, qui cherche essentiellement à nous «divide and rule». C’est pourquoi je maintiens qu’il faut «démugaber» nos partis politiques pour commencer, c’est-à-dire imposer une limite aux mandats, que ce soit à la tête d’un parti ou d’un pays. L’égalité des chances ne devrait pas juste être un slogan.
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