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And now, for something completely different
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And now, for something completely different
Ce titre, c’était la phrase fétiche de Monty Python, pour qui a eu le bonheur de connaître cette série extraordinaire de la BBC (1969-1974) qui consacrait les idées créatrices de Eric Idle, de John Cleese, de Graham Chapman, de Michael Palin...
Loin de moi l’idée de tenter de les imiter : ce serait impossible de toute manière. Non, c’est simplement que nous allons, pour une fois, nous affranchir de l’actualité, de la politique, de l’économie, des actualités étrangères, et de l’état de la planète pour parler d’histoire. D’histoire un peu absurde sur les bords d’ailleurs mais qui est, souhaitons-le, pleine d’intérêt et même d’enseignements.
D’abord, le Cachemire. Il fait l’actualité ces jours-ci parce que le nouveau gouvernement Modi, dans le sillage d’une large victoire électorale sur agenda nationaliste, a éliminé le statut semi-autonome concédé en 1949 à l’État du Cachemire & Jammu, imposant la loi militaire et mettant le leadership politique local en résidence surveillée. Les arguties à propos de cette initiative dureront de longues années, me semble-t-il, les équations émotionnelles du genre ne trouvant jamais résolution facile. Ce qui intrigue cependant c’est de savoir comment cet État, de plus de 12 millions d’habitants et à majorité musulmane (68 %), avait trouvé le moyen, à l’Indépendance, lors de la partition qui créait l’Inde et le Pakistan, de se retrouver en Inde plutôt qu’au Pakistan !
Si le Cachemire a connu une période bouddhiste au début de l’ère chrétienne, celle-ci cédait graduellement face à la progression de l’hindouisme dont s’inspiraient les dynasties dominantes jusqu’en 1320, année vers laquelle la dynastie Lohara, rendue impopulaire par de lourdes taxes et de la corruption, s’écroule. Une invasion turcomongole n’est pas, dans ces circonstances, accueillie négativement par la population et l’islam commence à s’implanter fortement. L’empire moghol, quant à lui, est explicitement au pouvoir entre 1580 et 1750. Puis, surprise ! Ce seront les Sikhs, sous Ranjit Singh, le lion du Pendjab, qui feront la conquête du Cachemire et qui y régneront de 1820 à 1846, le royaume de Jammu ayant déjà été sous contrôle Sikh des 1780. Après la 1re guerre anglo-sikh de 1845, deux accords de paix furent signés, dont un où, en contrepartie de 7,5 millions de roupies, Gulab Singh se voyait octroyer la vallée du Cachemire. Ainsi naquit l’État princier du Cachemire et de Jammu. C’est le descendant direct de Gulab Singh, le prince Hari Singh, qui est le maharaja en 1947. Ce dernier hésite à choisir un camp, signe un «standstill agreement» avec le Pakistan et réfléchit même à l’Indépendance. Des irréguliers Pachtounes traversent alors la frontière, pillent et violentent dans une tentative de forcer Hari Singh à choisir le Pakistan. À la place, il demande l’aide militaire de l’Inde, ce que Lord Mountbatten accepte, à la condition que le Cachemire rejoigne la République indienne…
Ainsi, cette région largement d’influence tibétaine et bouddhiste à l’Est (Ladakh), plutôt bigarrée au Jammu (hindous, musulmans, sikhs), majoritairement sunnite au Cachemire central, plutôt shia au Gilgit et au Baltistan, avec une minorité influente de brahmines, est devenue indienne parce que des groupes musulmans révoltés à l’Ouest auront tenté de forcer Hari Singh à s’aligner sous leur coup de force… Depuis, c’est la bagarre !
Autre continent, autre histoire. Belize est un pays souverain qui est moins connu que Tuvalu. Son passé maya lointain (pensez Caracol) s’étire jusqu’à la fin du 1er millénaire. Ce n’est qu’aux 16e et 17e siècles que les échauffourées entre Espagnols et Anglais ramènent le Honduras dans l’histoire, notamment grâce au pirate Barbe Noire (né Edward Teach). C’est après le traité de Versailles de 1783 que les Anglais s’installent. Petit à petit, une oligarchie s’étend dans le pays et elle contrôle rapidement 4/5e des terres, le commerce, les taxes et la magistrature. De plus, elle s’étire vers le Sud. Le Guatemala, pays voisin à l’Est, a des prétentions sur ce même territoire, disant l’avoir hérité de l’Espagne, depuis sa défaite par les Anglais. En 1859, elle signe un traité avec la GrandeBretagne, reconnaissant la souveraineté du Honduras britannique sur ces terres disputées, contre la promesse qu’une route reliant Guatemala City à la mer des Caraïbes serait construite. Cette route ne verra jamais le jour (!) et le Guatemala dénonce donc le traité et fait toujours des réclamations sur Belize. C’est, entre autres, ce qui retarde l’Indépendance de Belize qui n’intervient qu’en 1981. Le Guatemala reconnaît Belize en 1991, mais 8 ans plus tard réaffirme sa réclamation territoriale. Ce n’est qu’en 2008 que les deux pays trouvent un terrain d’entente qui consiste à demander à la Cour internationale de justice (CIJ, celle-là même qui donnait un avis négatif aux Chagos «britanniques») de trancher, seulement si un référendum majoritaire dans les deux pays le réclamait. Au Guatemala, le vote référendaire de 2018 est en faveur de demander un jugement de la CIJ. Beaucoup plus surprenant, le référendum de mai 2019 à Belize est dans le même sens. Comme l’expliquait un avocat, citoyen de Belize, avant le référendum, si Belize gagne à la CIJ, il n’obtient rien, s’il perd, il renoncera à 43 % de son territoire, 37 % de son PIB et environ la moitié de ses exportations! Pourquoi alors avoir voté pour l’opinion de la CIJ? Peutêtre qu’ils cherchent une certification finale ? Ou ne pensent-ils pas avoir besoin de terres avec une des plus faibles densités de population sur terre (17/km2 ; rang : 202e mondial; Maurice étant à 622/km2 et 19e mondial)? L’an prochain, selon le président Morales du Guatemala, la route de 200 km sera enfin construite, cependant que les fonds ne seront pas britanniques mais… taïwanais !
La roue tourne !
Dernier exemple de cocasserie historique, pour aujourd’hui. Ayant perdu la guerre de Crimée face à l’Angleterre, la Russie impériale décide de vendre l’Alaska en 1867. Elle a besoin de se panser les plaies et il lui faut de l’argent. Elle ne peut plus approvisionner l’Alaska. Quand débutent les discussions, l’opinion publique, tant en Russie qu’en Amérique, est contre. Les journaux russes parlent de la folie de brader cette région où ils ont beaucoup investi, où le télégraphe est enfin arrivé et où on a découvert de l’or. La presse américaine est indignée : «Pourquoi avons-nous besoin de cette ‘malle à glace’ et de ses 50 000 Eskimos qui boivent de l’huile de foie de morue pour le petit-déjeuner ?». La vente a pourtant lieu. 375 millions d’arpents sont vendus pour 7,2 millions de dollars, soit chaque arpent pour 2 cents (littéralement, 2 sous…) ! Au prix de 2018, cela équivaudrait à 122 millions de dollars – une pissette, quoi – , d’autant que peu de temps après, à partir de 1896, il y avait la ruée vers le Klondike, qui repayait déjà cet achat très, très largement ! En passant, c’est peut-être la fonte des glaces qui a donné de l’appétit à Trump pour le Groënland, carrément le pays le moins habité de la planète, avec moins d’un habitant par km2 ? Quel sacré «deal-maker» ce Trump ! Sauf quand l’«autre» ne plie pas...
Quoi conclure de ces trois histoires ? Qu’il ne faut jamais céder des terres, même si elles paraissent, un moment, inutiles et même si on obtient, en contrepartie de l’argent ou son indépendance politique ! Remarquez toutefois, qu’avec la montée des océans qui se prépare, nos îles lointaines vont être bientôt noyées ! On a peutêtre, alors, seulement vendu du récif blanchi, après tout ? Que la manière forte peut avoir des conséquences plutôt inattendues et souvent contraires. Comme au Cachemire. Et que pour finaliser un contentieux, il vaut mieux toujours discuter, dialoguer et se référer plutôt à la loi suprême pour, à la fois assurer ses arrières et baliser son avenir de manière plus fiable. Finalement que la densité de population peut/devrait dicter un avenir… On y reviendra peut-être.
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