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#J-7 Béni sois-tu mon enfant...

31 octobre 2019, 07:11

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C’est au Chili, et non chez nous, que l’on descend, ces jours-ci, dans la rue pour dire stop aux inégalités sociales grandissantes et aux élites qui s’enrichissent au détriment du peuple. Là-bas, la mobilisation ne cède pas après plus d’une semaine de contestation sans précédent dans ce qui est considéré, jusqu’ici, comme l’un des pays les plus stables de l’Amérique latine. Le mouvement citoyen, hétérogène et sans dirigeants connus, est nourri par un même ressentiment face à la situation socio-économique et l’injustice sociale. La rue interpelle les dirigeants politiques pour qu’ils impulsent des changements profonds dans le modèle de développement économique.

À Maurice, où l’on célèbre le culte du leader et des partis traditionnels, nos jeunes ont perdu cette capacité de manifester et de s’indigner. Sur la Toile, ils se laissent certes aller, remettent certaines choses en question, mais sans plus. Même les amendements limitant la liberté d’expression sur les réseaux sociaux sont passés comme une lettre à la poste. Même Rezistans ek Alternativ nous paraît bien timoré (et vieillissant) après l’interdiction faite à ses militants de se porter candidat aux prochaines législatives. On ne s’attendait pas qu’ils fassent une grève de la faim. On n’appelle pas non plus à une révolution, mais si on ne peut même pas faire du bruit avec des casseroles à Port-Louis, comment voulez-vous que les lignes bougent et que le statu quo soit remis en question à Maurice ?

Sur le ring de l’express hier, nous avons reçu trois trentenaires, dans une ambiance bon enfant, autour d’Axcel Chenney, qui pourtant les poussait à échanger quelques coups. Pas de référence aux nombreux «Gates», encore moins d’attaques entre adversaires, mais quelques réelles préoccupations mises en avant : chômage, insécurité, écologie. Si nos jeunes politiciens n’ont pas la langue dans leur poche, on ne peut s’empêcher de noter chez eux une certaine gêne, une certaine indisposition par rapport aux transmissions de pouvoir souvent dynastiques ou à la limitation de mandat au sein de leur parti, en particulier. D’ailleurs, nos trois invités ne jurent que par leur leader suprême. On peut les comprendre : leur sort dépend davantage de ce chef que d’eux-mêmes, mais en public, ils doivent quand même s’agiter un peu, montrer qu’ils ont du caractère et une indépendance... d’esprit.

C’est clair que si on veut rester au sein d’un parti traditionnel, on doit fermer sa gueule et on attend son heure, sinon, on est privé d’investiture et on devient agent après avoir été ministre. Ou sinon, on claque la porte et on va où ? Bon, les options sont assez limitées dans ce petit pays où, depuis Suresh Moorba, on aime de plus en plus «asté-vandé» et devenir des girouettes professionnelles. Steve Obeegadoo, qui a fait de grands gestes avec les mains à la télévision, mardi, aux côtés de sa nouvelle idole Pravind Jugnauth, peut facilement leur donner (ou vendre) le manuel : moi-jeune-je-subis- mon-leader-jusqu’à-plus-possible… Le nouvel ordre politique n’est donc pas pour demain. Les dynasties ont toujours, hélas, de longs jours devant elles, surtout si elles se soutiennent entre elles.

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Certes, on remanie ceux sur la liste des candidats, mais à la tête du système politique mauricien on retrouve presque toujours les mêmes patronymes qui tirent les ficelles et qui s’alternent. Si la méritocratie n’est pas programmée dans nos gènes, cependant elle s’infirme ou se confirme dans l’action, dans la durée, dans la transmission des valeurs.

À l’heure où l’on parle de la bénédiction et la protection qu’un père a réclamées pour sa fille (quel père ne demanderait pas cela pour son enfant, surtout pour sa fille, n’est-ce pas ?), il importe que l’on place cette requête dans le contexte de la brève histoire des dynasties politiques du pays. Et qu’on discerne entre les trois ou quatre dynasties qui demeurent en tête d’affiche : Ramgoolam, Jugnauth, Duval, Bérenger. À un degré moindre, nous avons les Boolell, Mohamed, Jhuboo, Uteem, Peeroo, David, Curé, Ramdass, Koonjoo, Jeetah, Seetaram, entre autres enfants, qui sont (on connaît la chanson !)… tombés dans la marmite (et non pas dans le coffre) dès leur jeune âge.

Face à la realpolitik mauricienne, les guéguerres de pouvoir pour contrôler telle ou telle frange de l’électorat, ou tel ou tel arrondissement d’une circonscription ne sont, en fait, que des divertissements de pacotille. Qualitativement et quantitativement, les dynasties politiques mauriciennes quasi semblables. Chez la famille Jugnauth (en incluant la belle-famille de Pravind et en excluant l’oncle Ashock), la dynastie vise à asseoir son pouvoir et amasser tout l’argent que ce pouvoir puisse rapporter. C’est une succession voulue, encouragée, imposée.

Chez les Ramgoolam, c’est autre chose. SSR ne voulait pas que son fils fasse de la politique. L’histoire nous dit que c’est Paul Bérenger qui a encouragé Navin Ramgoolam à délaisser les brumes londoniennes pour contrer l’empereur soleil. En l’absence de successeurs naturels, du moins officiellement, l’on ne peut, en revanche, accuser Navin Ramgoolam de vouloir, comme SAJ, bâtir une dynastie.

Paul Bérenger, lui, n’a pas de père politicien. D’ailleurs, c’est sir Gaëtan Duval qui déclare, en 1995, que «mon héritier politique c’est Paul Bérenger», surprenant ce dernier et tous les militants ! Mais par contre, Bérenger n’a pas surpris grand monde quand il évoquait, il y a quelques années, l’entrée en scène de son enfant.

C’est évident, qu’outre l’héritage politique, les fils ou filles des propriétaires de partis politiques (aur)ont à gérer de gros sous, des caisses occultes. Ces sous, dont on ne voit qu’une partie de l’iceberg dans quelques rares rapports financiers, restent quand même largement cachés, en l’absence d’une loi sur le financement des partis politiques. Ce financement politique qui demeure un indicateur incontournable de la bonne gouvernance et dont la législation possible reste aux mains de ceux que cela gênerait le plus.

Je vous disais au début que Maurice n’est pas le Chili, encore moins l’Algérie ou Haïti. Un politologue disait que nous sommes une démocratie, pas une dictature. C’est vrai sur le papier. Et effectivement, c’est nous qui votons les mêmes, «en bloc» même ! Et puis on se plaint du pays qu’on lègue à nos enfants.