Publicité

2020-2030: Ce sera la guerre !

2 janvier 2020, 13:26

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

2020-2030: Ce sera la guerre !

Entre superpuissances mondiales, militants écologistes et gros pollueurs, entre décideurs et journalistes d’investigation que ces derniers tentent de «hold into account» et même entre les camps politiques locaux, cette décennie (2010-2019) s’achève en pleine guerre. Une guerre froide où le data, l’espionnage, la dénonciation et le whistleblowing constituent les principales armes. La prochaine décennie 2020-2029 s’annonce encore plus âpre.

Que la dernière campagne électorale ait été rythmée de gates en tout genre, allant des comptes bancaires personnels de Navin Ramgoolam aux emails échangés entre Pravind Jugnauth et son beau-frère Sanjiv Ramdanee, est un scénario à l’image de la dernière décennie: internet et les télécommunications se sont transformés en de redoutables armes politiques. Parfois pour les mauvaises raisons, mais pas que.

2019 fut marqué par les Mauritius Leaks, une enquête du Consortium International des Journalistes (ICIJ), réalisée à partir d’une clé USB, envoyée au siège du réseau à Washington. La clé contenait 200 000 documents officiels, e-mails, conseils fiscaux de Conyers, une Management Company mauricienne, et dont l’analyse a poussé une dizaine de pays africains à accuser Maurice de leur voler leurs taxes. Conyers a porté plainte pour piratage de ses serveurs. Ce que l’ICIJ dément. Ce même ICIJ – qui s’était vu décerner le prix Pultizer pour son enquête sur les Panama Papers (2016) ayant permis de débusquer des dizaines de dirigeants politiques mondiaux qui s’adonnent à l’évasion fiscale au Panama – vient de révéler le mois dernier, les China Cables qui lèvent le voile sur un génocide en cours dans la région orientale du Xinjiang et dont sont victimes les Ouïghours, une communauté à majorité musulmane.

Presque au même moment, Wikileaks fondé par Julian Assange qui, de 2012 à 2019, a vécu retranché à l’ambassade d’Equateur, à Londres, avant d’être arrêté, a mis en ligne ce qu’il appelle les «fishrot files», provoquant les démissions des ministres de la Justice et de la Pêche namibiens pour une sombre affaire de corruption autour des contrats de pêche à une compagnie islandaise. Maurice est d’ailleurs cité dans cette documentation comme «facilitateur» d’évasion fiscale.

Cette décennie s’achève donc comme elle avait commencé : la publication des câbles diplomatiques des ambassades américaines par le même Wikileaks, le 18 février 2010, ou encore la mise en ligne des Guantanamo Leaks qui racontent comment des innocents afghans sont illégalement détenus dans cette prison Américaine. Ces mêmes Américains qui au cours de la dernière décennie (2011) ont dû faire face au grand déballage, très peu flatteur pour cette soi-disant démocratie, d’un certain Edward Snowden, ex-employé de la CIA. Ce lanceur d’alerte a prouvé comment les gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni abusent des services de renseignement pour surveiller les opposants et les citoyens ordinaires.

Ces dénonciations suivent une tendance étroitement liée aux progrès technologiques dans le secteur des télécoms. Le 1er smartphone a été créé en 2007 par Apple ; le nombre d’utilisateurs de smartphones est passé de 40 millions en 2009 à 2,5 milliards en 2019 (multiplié par 62 en 10 ans)! Ajoutez-y la banalisation des messages cryptés comme WhatsApp (création 2009, 1,5 milliard d’utilisateurs actifs aujourd’hui), Signal ou encore Telegram, et l’on obtient 2,5 milliards de potentielles sources confidentielles et protégées.

Voilà comment, au cours de cette décennie qui s’achève, nous avons assisté, à Maurice aussi, à une frénésie de dénonciations et de leaks. De Khamajeet piégé par un micro caché (Radioplus 2011), à Navin Ramgoolam dansant avec Soornack (l’express 2014), en passant par la note «Dear Pravind» adressée par Maya Hanoomanjee dans l’affaire MedPoint (2011), les valises suspectes de Soodhun (lexpress.mu, 2017), l’Euroloan de Vishnu Luchmeenaraidoo (ION News, mars 2016 et l’express, avril 2017), les ramifications illégales de Yerrigadoo avec le swindler Rahim (septembre 2017), les achats de Gurib-Fakim avec une carte de crédit de Sobrinho (l’express, mars 2018), la lettre du commissaire de police, Mario Nobin, qui permet au trafiquant de drogue Mike Brasse de voyager (lexpress.mu, mars 2018), les dîners fastueux d’Etienne Sinatambou aux frais des contribuables (l’express, septembre 2019), et tout récemment les Pomponette Leaks (l’express, novembre 2019) qui racontent les dessous du vol de cette plage au public, la presse indépendante a pu avec l’aide des Whistle-blowers de plus en plus courageux et de plus en plus accessibles et protégés grâce aux technologies, «name and shame» ceux qui abusent du pouvoir.

C’est une évidence : le monde a changé. Mais le ‘power shift’ (théorie qui consiste à rendre le pouvoir au peuple) n’a pas été pour autant obtenu. Bien au contraire. Si les gouvernants et les gouvernements ont d’abord accusé le coup de telles conséquences de la banalisation des télécoms et des dénonciations à la pelle, ils ont vite fait de reprendre le dessus. Du moins ils ne se laissent pas faire.

Lors de la révolte des prodémocraties à Hong Kong (2019), les manifestants ont dû rivaliser d’ingéniosité – (s’approcher en groupe sous des parapluies pour littéralement saboter les caméras, porter des masques, éviter les services de messageries et utiliser ‘airdrop’ pour s’échanger des photos et documents, utiliser des mots de code comme «restaurant» pour l’organisation de manifestations) – pour fuir les caméras à reconnaissance faciale et autres outils de surveillance technologique et ainsi les poursuites et le harcèlement du gouvernement chinois.

Parallèlement, comme si la guerre commerciale entre la Chine et les USA n’était pas assez âpre, nous avons vu l’accusation américaine selon laquelle le fabricant de téléphone portable Huawei espionnerait ses clients avec, pour conséquence, l’annonce de la fin de la collaboration Android-Huawei ! Sur le terrain de l’espionnage, du piratage, de la surveillance, cette fin de décennie est donc tout simplement explosive.

À ce rythme-là, en anticipant les leaks, les dénonciations, les cyberattaques ou encore les trolls de la prochaine décennie, les e-mails d’Hillary Clinton (campagne présidentielle américaine, 2016), les photos des dangereuses escapades de François Hollande, l’ex-président français, à la rencontre de l’actrice Julie Gayet (Closer, janvier 2014), l’affaire Jérôme Cahuzac (Mediapart, décembre 2012) ou encore les soupçons d’espionnage de Joe Biden (probable candidat démocrate aux prochaines Présidentielles américaines) par Donald Trump pourraient être cantonnés à de simples «petits faits de société».

Dans cette jungle où règne comme nulle part ailleurs, la loi du plus fort, le citoyen ordinaire est sur le papier complètement en bas de la pyramide. Le Mauricien lambda qui tente de connaître la vérité sur les intentions indiennes – une autre superpuissance – sur Agalega se retrouve broyé par un gouvernement qui a installé des caméras Huawei dans tout le pays ! Ce gouvernement lui – c’est fou comment il passe de géant en comparaison avec son peuple, à un minuscule lilliputien quand on le compare à ces deux ogres – se retrouve broyé par deux autres superpuissances, la Grande- Bretagne et le Royaume-Uni dans son combat pour récupérer les Chagos !

Heureusement qu’il y a l’histoire. Celle-ci raconte que ceux qui paraissent les plus forts, ne le sont pas toujours. 33 ans avant l’invention du smartphone, Richard Nixon, l’homme sur le papier le plus puissant de la planète, a dû se plier et s’avouer vaincu face à deux journalistes, auteurs du Watergate.

Certains à Alger, Beyrouth, Bagdad, Tunis, Hong Kong, Khartoum, Santiago (capitales frappées par des soulèvements et/ou des changements de régime grâce au pouvoir de la rue), ou d’autres comme Greta Thunberg ont bien compris la leçon. Les outsiders, sur le papier, peuvent aussi gagner… à condition d’oser et surtout d’essayer de shift the power !