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La guerre, un contre-discours à l’‘Impeachment’
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La guerre, un contre-discours à l’‘Impeachment’
L ’assassinat, en cette fin de semaine, du général iranien Ghassem Soleimani, ordonné par Donald Trump, se révèle bien plus qu’un coup de pied dans la fourmilière. Ce serait plutôt un bâton de dynamite balancé dans la poudrière du Moyen-Orient… pour qu’elle explose et fasse beaucoup de bruit. Les répercussions d’une telle guerre pourraient être incendiaires en raison de l’élément nucléaire et de l’équation pétrolière. Bien que la surprise constitue une redoutable arme de guerre en soi, le timing choisi par Trump contre ce vieil adversaire des States ne peut pas être innocent. Cela s’apparente surtout à une stratégie bouclier pour Trump, quitte à ce que cette stratégie personnelle augure une très haute tension globale pour 2020.
Le contexte est plus important que l’attaque elle-même. Le procès en destitution de Trump qui s’ouvre au Senat et le fait que le pays n’est plus qu’à dix mois de la présidentielle constituent la toile de fond. Le président des États-Unis, en déclarant cette guerre à l’Iran, a réussi à imposer une autre rhétorique à l’opinion publique. Depuis hier matin, tous les journaux évoquent en boucle la «sévère riposte» à prévoir de la part des Iraniens contre les Américains ainsi que les risques d’embrasement et les retombées économiques y relatives. On ne parle désormais que de géostratégie et non plus de politique intérieure US.
La Maison-Blanche – qui insiste que «nous avons agi pour arrêter une guerre, pas pour commencer une guerre» – n’est pas vraiment crédible quand elle dit que des vies américaines ont été sauvées avec la mort de Soleimani. De quelles vies humaines ? Où sont les preuves ? En revanche, l’on voit surtout les effets de cette attaque US : retour d’un soutien en masse de Républicains et de Démocrates en faveur du président des États-Unis, lui qui était plus ou moins isolé et diminué avec son Impeachment. C’est un classique aux États-Unis, où le nationalisme déjoue les lois de la politique partisane : lors de chaque affrontement armé, le pays tend à oublier ses différends et se range derrière son Commander in Chief (le président lui-même) et leur bannière étoilée, surtout quand ils deviennent la cible des fanatiques pro-Iraniens ou de groupes terroristes.
Deux décennies de cela, soit en 1998, Bill Clinton, en pleine procédure de destitution, avait aussi lancé des attaques armées sur l’Irak. D’ailleurs, cette Une du New York Times, en date du 17 décembre 1998, a refait surface sur Twitter et provoque pas mal de commentaires. “History doesn’t always repeat itself but it often rhymes,” a tweeté Vivashwan Singh, “In 1998, Bill Clinton attacked Iraq while delaying his impeachment process and eventually escaped it. Trump is doing the same.” Un autre commentaire qui fait le buzz : “Lesson learned… do not impeach a sitting president of the Untied States of America. A country will be chosen and attacked !” Du côté des démocrates de la Chambre des représentants, qui ont voté pour la procédure de destitution de Trump, le président tenterait de faire un affront aux élus. «Mener une action de cette gravité en Iraq et contre l’Iran sans impliquer le Congrès soulève de graves problèmes légaux et constitue un affront aux pouvoirs du Congrès», fait ressortir un communiqué de la Chambre.
Après Clinton, George W. Bush avait également choisi de faire résonner les bruits de botte afin de susciter l’adhésion des électeurs en amont des élections présidentielles. En 2003, alors que l’on commémorait le deuxième anniversaire des attentats terroristes du World Trade Center, Bush Jr avait choisi de maintenir la guerre contre Saddam Hussein au nom de la sécurité des States face à un pays qui aurait accumulé des armes de destruction massive (par ailleurs jamais retrouvées ou saisies). À l’approche de l’élection présidentielle de novembre 2004, le discours de Bush s’est beaucoup appuyé sur la peur générée par la menace terroriste et de la guerre. Objectif : augmenter le domaine du pouvoir présidentiel au détriment des autres pouvoirs. Des représentants de l’Administration Bush, notamment le vice-président Dick Cheney, ont toujours voulu restaurer les pouvoirs présidentiels qu’ils estimaient diminués depuis les crises du Watergate et du Vietnam. Évoquant le sujet de l’extension du pouvoir présidentiel et l’utilisation de la sécurité nationale à des fins politiques, Cheney a eu ceci à dire, en 2002 : «En trente-quatre ans, j’ai vu de façon répétée une érosion des pouvoirs et de la capacité du président des États-Unis à faire son travail (...) Je crois vraiment que, particulièrement dans les jours et à l’époque dans lesquels nous vivons, la nature des menaces auxquelles nous faisons face [...,] le président des États-Unis doit avoir ses pouvoirs constitutionnels intacts, si vous voulez, pour conduire [une] politique de sécurité nationale.»
Le discours du faucon Cheney provoqua alors une série de prises de position dans les journaux américains. Le monde académique, peuplé de pacifistes, s’était élevé contre ce discours de guerre et avait rappelé, pour contrer la rhétorique de Cheney, les propos prophétiques de l’ex-président (et ancien général) Eisenhower, lors de son discours d’adieu du 17 janvier 1961. Eisenhower avait tiré la sonnette d’alarme sur le lobby militaro-industriel (bien avant l’installation du duo Bush-Cheney); lobby qui pourrait faire planer une menace sur la liberté, la paix et la démocratie: «La présence simultanée d’un énorme secteur militaire et d’une vaste industrie de l’armement est un fait nouveau dans notre histoire. Cette combinaison de facteurs a des répercussions d’ordre politique, économique et même spirituel, perceptibles dans chacune de nos villes. Certes, cette évolution répond à un besoin impérieux. Mais nous nous devons de comprendre ce qu’elle implique, car ses conséquences sont graves. Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir: qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Seul un ensemble uni de citoyens vigilants et conscients réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble.»
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Jusqu’ici beaucoup croyaient à tort que Donald Trump n’aimait pas trop la guerre. En 2011, Trump s’était même permis de narguer Barack Obama sur Twitter : «Notre président va déclencher une guerre avec l’Iran parce qu’il n’a absolument aucune capacité de négocier. Il est faible et il est inefficace. Donc, la seule façon dont il pense qu’il va être réélu (aussi certainement que vous êtes assis chez vous) est de déclencher une guerre avec l’Iran». Ces mots, signés jadis par Donald Trump, qui refont surface aujourd’hui, s’appliquent aujourd’hui parfaitement au sort réservé au général iranien Soleimani, abattu ce vendredi, en grande partie, pour faire remonter le 45e président des États-Unis dans les sondages. Ainsi tourne le monde. Personne ne veut perdre le pouvoir. Pour le maintenir, le recours à la guerre est une tactique, en effet, immémoriale…
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