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Tous esclaves des partis politiques ?

2 février 2020, 08:01

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Fini le cérémonial, la véritable rentrée parlementaire aura lieu demain. En guerre froide avec son leader de parti, le leader de l’opposition aura à démontrer qu’il ne fera pas de la figuration face au gouvernement de Pravind Jugnauth, que son «fighting spirit» est bien réel. Après avoir croisé le fer dans le temps au nº 11 et sur le portfolio de l’Agriculture, le fils Boolell retrouvera le fils Jugnauth dans l’hémicycle.Avec le coronavirus, le Brexit, la qualité de l’essence, la dette publique (qui s’élève à Rs 326,5 milliards) en hausse malgré le transfert de Rs 18 milliards du Special Reserve Fund, le Metro Express et l’absence de pilotis ou de barrières de sécurité, le remplacement de Mario Nobin, l’achat d’Airbus et le redressement annoncé d’Air Mauritius par Sherry Singh, ce ne sont pas les munitions qui manquent pour faire feu de tout bois lors des Private Notice Questions de cette semaine.

Pour son baptême du feu, Arvin Boolell est conscient que ses moindres faits et gestes seront observés à la loupe, d’une part par son leader Navin Ramgoolam qui n’aime pas qu’on lui fasse de l’ombre (qui l’avait relégué comme backbencher en 1991, lui préférant alors Vasant Bunwaree) et, d’autre part, par ses deux prédécesseurs, Paul Bérenger (qui ne pose plus de questions parlementaires depuis longtemps) et Xavier-Luc Duval (qui avait fini par prendre goût au poste de leader de l’opposition qu’il avait arraché à Paul Bérenger lors de la précédente législature). Les trois leaders politiques vont surveiller si Boolell se montre trop complaisant ou pas assez agressif face au régime du jour. Le leader de l’opposition doit jouer à l’équilibriste. Il doit garder l’approche cohérente d’une opposition réunie autour des pétitions électorales, tout en caressant les trois différents leaders (PTr, MMM, PMSD) dans le sens du poil, et surtout faire taire ceux qui pensent qu’il y a aurait un rapprochement entre une aile dissidente des travaillistes (ces travaillistes qui refusent d’être ramgoolamistes) et le MSM qui peut, aujourd’hui, se permettre de tout acheter sur son passage…

...Demandez à Steve Obeegadoo, qui hier, refusait d’être un «yes-man» au sein du MMM, mais qui a compris aujourd’hui qu’il serait plus sage (ou SAJ) de fermer sa gueule, car il ne souhaite, manifestement, aucunement démissionner du gouvernement des Jugnauth. Interrogé par l’express après les résultats catastrophiques du School Certificate, le normalement volubile Obeegadoo (qui nous harcelait presque pour nous livrer ses réflexions sur l’éducation du temps où il était président de la commission Éducation du MMM) a tout bonnement refusé de livrer, en 2020, le fond de sa pensée. Le spécialiste de l’Éducation refuse de se mouiller désormais, se complaisant au Logement et aux terres, et oubliant les enfants de la République, qui sont pourtant esclaves d’un système éducatif inadapté à nos besoins de développement. Oui alors que l’on célèbre l’Abolition de l’esclavage, beaucoup s’enchaînent au sein des partis et perdent leur liberté d’expression et de pensée. Par exemple, Tania Diolle qui était résolument contre le métro, avec son père spirituel Alan Ganoo, ne pipe plus mot sur le Metro Express. Confortablement installée dans sa Mercedes flambant neuve et immatriculée TD 18 (Nom de code pour Tania-Diolle-Circonscription nº 18, où elle a été repêchée comme Best Loser), l’ex-jeune révolutionnaire présentera (SAJment) la motion d’ouverture au discours-programme demain. Elle saluera le Metro Express comme un accomplissement historique de ce gouvernement, flattera Ganoo, Obeegadoo, Ramano, après avoir salué Pravind Jugnauth et Ivan Collendavelloo qui lui ont donné l’opportunité de servir le pays comme PPS et d’ouvrir les débats. Elle toisera, peut-être du regard, Joanna Bérenger dans l’opposition et fera appel pour des critiques constructives afin d’aider ce gouvernement à lutter contre le coronavirus, remettre sur les rails le tourisme, et atteindre le groupe de pays à revenu élevé.

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Nos politiciens sont-ils devenus esclaves des partis politiques, et partant, des dynasties ? Estce la seule façon de réussir en politique et d’entrer au Parlement, en déclarant son appartenance ethnique, et en faisant fi du mauricianisme pour lequel, du reste, on s’était engagé en politique ? Et une fois au Parlement est-on obligé de saluer, resaluer et encore saluer le chef du parti si l’on veut conserver sa Mercedes ou sa place de «yes-person» autour du leader? Qui a tué l’esprit critique et le débat contradictoire ? L’argent ? À l’université, on nous enseigne que le rôle essentiel des partis politiques est de participer à l’animation de la vie politique. Les partis sont les courroies entre le peuple et le gouvernement. Dans un manifeste diffusé avant le scrutin, chaque parti ou bloc élabore un programme présentant ses propositions qui, s’il remporte les élections, seront reprises dans le projet du gouvernement. Ganoo et Diolle, par exemple, ont tantôt négocié du côté de Ramgoolam puis du côté de chez Jugnauth, sachant fort bien qu’il n’existe plus d’idéologie en politique. Ils nous donnent alors l’impression d’avoir choisi leurs avantages personnels au détriment de leurs idées politiques (comment par exemple accepter d’être le ministre du tram quand on a été foncièrement contre ; un peu comme si Greta Thunberg acceptait de travailler dans une usine roulant au charbon).

En revanche, les partis de l’opposition, privés des ‘goodies’ du pouvoir, doivent proposer des solutions alternatives à la politique de la majorité en place et remplir ce que certains appellent une fonction «tribunitienne» (selon l’expression célèbre de Georges Lavau, qui renvoie aux «tribuns de la plèbe» sous l’Antiquité romaine), en traduisant le mécontentement d’un certain électorat populaire. Pour faire de l’effet, on ne peut pas souffler le chaud et le froid en même temps, à l’image de certains syndicalistes. Sinon cela va provoquer une certaine désillusion des citoyens envers les partis, qu’ils ne considèrent plus forcément comme leurs meilleurs représentants et intermédiaires. «Zot tou parey sa/ Enn kou dan loposizion, enn kou dan gouvernman/Zot rod manz banann dan dé bout», sont les reproches, souvent légitimes, qu’on fait aux politiciens et aux partis dans la rue.

Aujourd’hui, avec la tendance à la professionnalisation de la vie politique, nos partis ont acquis un rôle de sélection des responsables appelés à gouverner au nom du peuple, même si la plupart n’habitent pas leur circonscription, mais optent pour des plaques minéralogiques avec leurs initiales et le numéro de leur circonscription – comme s’ils tatouaient sur leur voiture Duty-Free, financée par nous, leur sens d’appartenance à leurs électeurs. Ces signes d’accaparement accentuent la crise de légitimité de la démocratie représentative et alimentent le sentiment d’aliénation politique. C’est ce qui explique alors la séparation croissante des élus et du peuple. D’autant que les partis tuent les initiatives personnelles et les débats contradictoires, et provoquent un nivellement par le bas; la méritocratie n’ayant pas autant de place au sein des bureaux politiques que la souplesse de l’échine du politicien devant son leader ou l’ethnicité (pour montrer un soi-disant bloc arc-en-ciel). Avec des Liders Maximo, les partis agissent comme des factions qui séparent les citoyens du pouvoir politique en détenant un monopole radical sur la représentation démocratique.

Comme notre système politique repose sur des partis qui se battent entre eux pour le pouvoir, ils auraient dû permettre l’expression de la diversité des attentes de la population par rapport à son gouvernement, mais dans la réalité, ce sont des «machines de guerre» dont l’objectif principal est de permettre à un groupe de s’emparer du pouvoir. Intermédiaires quasi obligés entre le citoyen-électeur et ses institutions démocratiques, les partis politiques deviennent, alors, les responsables du détournement de notre démocratie et de l’usurpation du pouvoir par les groupes d’intérêts privés ou dynastiques…