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Mais arrêtez de caricaturer la communication...

1 mars 2020, 08:07

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Poussés par les événements et autres crises qui nous affectent, nos ministres sortent laborieusement de leur mutisme et tentent le pari de la communication, mais tendent à confondre communication et «com». Cela se voit qu’ils sont incapables de saisir les nuances entre les deux. «Informer, n’est pas communiquer», nous rappelle Issa Asgarally, présentant, en page 18, un ouvrage du sociologue Dominique Wolton, bientôt chez nous. Outre celui qui est devenu le «loudspeaker» du Parlement, personnifiant du coup l’incommunication qui règne parmi nos politiciens, celui qui aura le mieux illustré le déficit de communication (tant dans la forme que dans le fond) est Alan Ganoo. Qui est venu confirmer que communiquer est un exercice périlleux, surtout si on n’arrive pas à jouer la carte de la transparence, avec tous les faits. Après l’accident du tram à Barkly, Ganoo s’est levé, sous la pression d’une PNQ, de son confortable fauteuil de ministre du Tram, (ravi à Nando Bodha), même s’il était contre le projet avant de rejoindre Pravind Jugnauth dans le gouvernement. Ganoo a été incapable de convaincre le public que les autorités n’y sont pour rien et que la faute revient uniquement à Yannick Permal. Alors pourquoi n’a-t-on pas construit en hauteur ? Pour des raisons financières, a soufflé Ganoo, qui ne s’était même pas rendu sur les lieux avant de marmonner sa réponse inintelligible au Parlement. Alors combien coûte une vie ? se demande-t-on. Et pourquoi le plan initial du tracé avait précisément choisi de ne pas mettre une pression additionnelle le long des routes déjà saturées des villes, tout en préservant les espaces verts ? Pourquoi Ganoo et MEL ont fait élaguer les branches masquant les feux le lendemain du drame s’ils n’avaient rien à se reprocher ? Pourquoi des barrières temporaires après le drame – alors qu’elles étaient nécessaires depuis le début, le temps que les usagers de la route maîtrisent les implications d’un tram ? Pourquoi cette confusion générale autour des certifications de sécurité ? Pourquoi a-t-on placé les trams avant les barrières, comme si on avait placé les charrues avant les boeufs pour des raisons électorales ? Pourquoi Ganoo boit avec appétit, sous le regard amusé de Bodha, cette soupe dans laquelle lui-même, Ramano et Tania Diolle ont tant craché…

 Sur la liste grise de la FATF, cette fois-ci c’est le ministre Mahen Seeruttun, normalement taciturne, qui est monté au créneau, sans pouvoir affirmer que son prédécesseur, soit le précédent ministre choisi par Pravind Jugnauth, n’a pas été à la hauteur de ce dossier complexe. Cela aurait été bien plus facile pour Seeruttun de critiquer Roshi Bhadain que Sudhir Sesungkur. Le problème pour Ganoo et Seeruttun, c’est qu’ils doivent choisir leurs mots afin de ne pas égratigner, indirectement, le Premier ministre — que tous les parlementaires de la majorité se font un devoir de flatter au Parlement. C’est normal car c’est lui qui les fait ou les défait. Pourtant, Seeruttun aurait pu laisser parler les vrais experts du secteur, lui qui le découvre depuis peu. Sans langue de bois, lui, Ramesh Basant Roi avance, dans un entretien à paraître en début de semaine prochaine, que «why only the high-handed politicians emerge as the all-too powerful voice of our regulatory authority every time an issue having to do with the offshore sector and non-bank financial intermediaries has hit the headline ? In the last quarter of a century or so, how many times have you seen the Chairman or the CEO of the FSC (or its predecessor, the MOBAA) giving the local media an account of major events, favorable or not, affecting our offshore ? I hope the lessons from the Alvaro episode are not forgotten. Power corrupts few; weakness corrupts the many. Is there anyone who believes that the non-bank side of the BAI crisis was efficiently handled, without undue burden of the Government Finance?»

Ce qui nous amène au ministre des Finances, qui a tenté, sur le tard, une opération de «com» pour rassurer le public sur les effets économiques du coronavirus alors que la panique s’installe sur les principales places boursières et que l’OMS n’arrive plus à cacher son inquiétude. Le virus de la peur est venu compléter le tableau noir de l’économie mondiale, dont le ralentissement est un fait international. Après avoir profité des Rs 18 milliards du Special Reserve Fund, ne voilà-t-il pas que l’on annonce une révision de la BOM Act ? Pour faire quoi cette fois-ci ? L’express a, dès le premier jour, dénoncé ce hold-up gouvernemental, commis en plein jour. D’autres voix indépendantes – qui n’attendent rien en retour du gouvernement – en ont fait de même, mais peut-être personne ne l’avait articulé aussi bien que l’ancien gouverneur Basant Roi : «The amendment of the BOM Act incorporating a method of deficit financing that inheres a weaponized policy for draining its balance sheet is inarguably the silliest fiscal policy decision ever made legal in the history of the country. How do we reconcile this type of deficit financing with the spirit of fiscal responsibility (…) Deficits thus financed are universally known as ‘rocket fuel’ for inflation and macro-economic stability.”»

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 La communication demeure trop souvent caricaturée, me disait Dominique Wolton (qui connaît plutôt bien Maurice), dans un entretien il y a quelques années de cela. Comment arrive-t-on à cela ? Des ministres pensent, trop souvent, pouvoir bâtir des ponts avec la presse en recrutant des journalistes qui deviennent leurs responsables de «com». Ils tentent de jouer sur la forme, car manifestement ils ne maîtrisent pas trop le fond. Mais cela ne suffit pas et contribue surtout à une confusion des rôles. «La communication est réduite aux paillettes, au commerce. En fait, vivre en société, c’est communiquer. La communication est au cœur de notre vie, au cœur des rapports sociaux, politiques. Mais il y a toujours de l’incommunication entre les hommes en général, et on cherche alors à améliorer la communication, et à surmonter la difficulté de se comprendre. Ce qui m’intéresse, c’est la question politique de la communication, soit cette relation toujours difficile avec l’autre. Communiquer suppose la liberté et l’égalité de l’autre. Voila pourquoi cela relève d’une question démocratique.» Et ce qui fâche le sociologue, c’est quand les politiciens ou les intermédiaires confondent la communication avec la «com». La communication, contrairement à la com, n’est authentique qu’entre des individus libres et égaux. Sauver la communication, c’est défendre l’idéal démocratique et aussi, et surtout, critiquer tous ceux qui en faisant de la «com» dévalorisent la communication, avec de la publicité et ses paillettes, le marketing, le glamour, bref la séduction. La «com» n’a toujours pas compris que le public n’est pas idiot (raison pour laquelle il n’achète pas tout ce qu’on leur vend dans les réclames). Et que toutes les pilules, dont celle du coronavirus, ne peuvent être dorées…