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L’effet papillon du virus

15 mars 2020, 07:30

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Cette semaine encore, à la Une de l’actualité mondiale : le coronavirus, qui continue, sans passeport, sa marche au-delà des frontières et des océans, et qui chamboule de plus en plus l’organisation du monde. L’OMS, qui a longtemps résisté à propager la peur, n’a eu d’autre choix, cette semaine, que de lâcher le terme : l’épidémie de Covid-19 est devenue officiellement une pandémie. Sa propagation s’accélère, à l’heure où vous lisez ces lignes, aux quatre coins du monde, y compris en Afrique, où les systèmes de santé sont bien inférieurs à ceux des Chinois ou des Européens. Les derniers chiffres compilés par l’OMS sont questionnés, car certains pays ne joueraient pas le jeu du dépistage, faute de moyens, ou par choix politique. Qu’à cela ne tienne, on parle désormais de 134 000 cas confirmés dans le monde, avec plus de 5 000 morts. Ce chiffre en lui-même n’est pas alarmant, comme l’explique, chiffres à l’appui, KC Ranzé dans la page suivante. Mais les mesures d’exception prises en Chine, en Europe et aux ÉtatsUnis provoquent une onde de choc mondiale sur plusieurs tableaux. À l’image de la théorie du chaos d’Edward Lorenz, selon laquelle un battement d’ailes de papillon au Brésil peut produire une tornade au Texas, de même ce virus qui a surgi, à la fin de l’an dernier, dans la province de Wuhan, bouleverse tout sur son passage. Les économies se contractent et la démondialisation s’est mise en branle. Cet effet papillon vient sensiblement modifier la géopolitique mondiale. Mais le coronavirus a aussi bon dos; ainsi, il serait l’arme d’une guerre commerciale à distance entre les US et la Chine, ou encore il serait, toujours selon les Fake News qui pullulent sur le web, un virus créé par les géants de l’industrie pharmaceutique… afin d’écouler leurs produits (hand sanitizers, masques, médicaments antigrippe, etc.)…

Après avoir, dans un premier temps, minimisé et ridiculisé le virus «Made in China», Donald Trump a soudain décidé – unilatéralement – de fermer les frontières des États-Unis à l’Europe (à l’exception de la Grande-Bretagne de son ami BoJo). Les Européens n’en reviennent pas et crient au scandale. C’est une atteinte directe et brutale à la coopération internationale; c’est une politique de deux poids, deux mesures, se lamentent-ils, se sentant délaissés par le pays de l’Oncle Sam. C’est en effet un tournant majeur, ou plutôt un retour en arrière, dans les relations internationales, dans ce monde où la communication entre État et blocs s’avère incontournable. Le mépris de Trump (qui, il ne faut pas l’oublier, entame son année électorale) surprend les alliés et amis transatlantiques de Washington, D.C. Et face à la surenchère entre puissances économiques, l’on constate que l’OMS et l’Onu s’effacent progressivement. Chaque bloc géopolitique, replié sur lui-même, se retrouve désormais engagé dans une course pour trouver le vaccin et gérer la crise sanitaire, presque en isolation, à l’écart du monde contaminé – ce qui nous rappelle la course vers le nucléaire d’autrefois. La coopération des premiers jours a cédé sa place aux stratégies strictement nationales – et comme Trump, l’on ne se soucie pas vraiment des «shit hole countries». Qui d’entre nous va s’émouvoir du premier décès du Covid-19 recensé hier au Sud Soudan, alors que la panique s’est installée à La Réunion, à quelques battements d’ailes de chez nous ?

Le coronavirus importé vient aussi et surtout mettre à nu bien des conceptions, en particulier les déséquilibres de la mondialisation. Si les spécialistes des relations internationales s’inquiètent de la fermeture des frontières et de la négation de ces concertations, ils notent pratiquement tous que la mondialisation, avec ses bons côtés et ses travers, s’en retrouve plus fragilisée que jamais. «À mesure que les réseaux commerciaux, financiers, cybernétiques et de voyage s’interconnectent, ils deviennent plus complexes et plus instables», résume Ian Goldin, professeur à l’Université d’Oxford, dans le Financial Times. En effet, coincé entre les États-Unis et la Chine, l’Europe, continent désormais le plus touché en nombre de malades, nous semble totalement dépassé, davantage par le coronavirus que par le Brexit ! Le vieux continent subit le virus, au même titre que les pays du Sud. On a tous relevé que le nombre de malades en Italie est supérieur à ceux de Chine (où le nombre de patients est en décroissance). On constate tous que les États-Unis sont moins bien préparés que la Corée du Sud qui a réussi, grâce à un système de tests à grande échelle et de cloisonnements des lieux sensibles, à contenir la propagation de la maladie. Idem pour Taïwan, Hong Kong et Singapour qui présentent un meilleur carnet de santé que les pays de l’Union européenne. C’est normal puisque l’Europe ne peut pas vraiment se recroqueviller de manière stratégique, en raison de sa géographie, et de la libre circulation des biens et personnes (touristes et migrants). En revanche, en Asie, la discipline semble être un atout contre le coronavirus. L’organisation sociétale reste fortement influencée par le confucianisme (soit le respect de l’autorité)… D’ailleurs, l’on note que si la Chine avait été fortement critiquée en décembre dernier, lorsque le coronavirus avait pointé le bout de son nez, elle s’est vite reprise en main, après avoir collaboré avec l’OMS. Désormais, les capitales du monde entier appellent Beijing à la rescousse. D’ailleurs, le parti communiste chinois a recommencé à brandir son modèle de gouvernance comme une référence pour le monde en temps de coronavirus.

Sur le plan économique, gouvernements et entreprises élaborent des plans de sauvetage. Si Maurice n’a pas encore fermé ses frontières (mais offre paradoxalement des prix promotionnels sur Air Mauritius), l’on note que le pouvoir a changé son ton bien trop optimiste des premiers jours. En temps de crise, le langage de vérité est plus indiqué que la politique de l’autruche. Ainsi, l’impact sur la croissance économique ne serait plus entre 0,1 et 0,3 % comme annoncé initialement, mais au-delà de 1 % ! Quant au plan de Rs 9 milliards, présenté vendredi par le Dr Renganaden Payachy, il est mis sur la table alors que l’État, surendetté (à plus de 65 %), n’a plus de véritable marge de manœuvre, ni fiscale ni monétaire (baisse du repo rate à 2,85 %). Il est donc essentiel que l’argent aide à sauvegarder les emplois, car il n’est pas certain que l’on puisse faire repartir l’économie uniquement avec des ‘cheap loans’. S’il est encore tôt pour mesurer l’impact du virus en termes humains et de business, il est clair que le coronavirus laissera des stigmates dans son sillage, qui risquent de durer pas mal de temps. Raison pour laquelle le coronavirus devrait servir de prétexte pour revoir nos business models (qui étaient à l’agonie bien avant l’apparition du virus) et booster notre productivité à l’aune du changement paradigmatique qui s’opère à l’échelle mondiale. Alors que les touristes restent cloisonnés, l’hôtellerie, la restauration et l’événementiel culturel et sportif seront les premiers atteints. Et ils ne seront pas les seuls. Que faire alors ? On l’a déjà dit : la crise sanitaire a aussi du bon, d’ailleurs nous sommes déjà en train de secouer nos cocotiers. La réactivité et la créativité doivent être de mise. Ce sont les meilleurs remèdes contre le virus afin d’éviter le naufrage. Enfin, rêvons un peu : si tous les pays du monde sont touchés sauf nous, les opportunités seront énormes; ce passeport mauricien, qu’on voulait vendre à un prix bas, va s’arracher dans tous ces pays riches, et contaminés… À charge pour nous de développer un système de dépistage et de santé fiable et efficace. Le tourisme médical va exploser. Nous oublions, souvent, que Maurice est l’un des rares à avoir pu éradiquer la malaria, grâce à des fonctionnaires mauriciens dévoués, qui travaillent dans l’anonymat pour le pays, sans attendre une médaille en retour…