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Lockdown Diary #22: Prisonniers libérés de nos démons ?

12 avril 2020, 08:06

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Le confinement, nous dit-on à la télé, doit être vécu comme un sacrifice, une épreuve, un défi, un geste de solidarité ou une protection contre le virus. Mais il peut aussi servir de retraite ou de refuge pour réfléchir sur la nécessité ou non de changer de paradigme, de logiciel, de manuel. Afin de mieux préparer ce qui nous attend demain. Quand on sera de nouveau libre comme l’air, comme ces prisonniers qui retrouvent la liberté en plein couvre-feu, le monde autour de nous aura déjà changé, pas uniquement en termes chiffrés de PIB, mais en qualité de nos rapports avec le temps et la société. Dans Stanzas for Music, Lord Byron dit quelque chose qui irait dans ce sens : Hélas, tout est illusion : l’avenir se moque de nous à distance; nous ne pouvons ni ressembler à nos souvenirs, ni oser nous accepter comme nous sommes...

Aujourd’hui se décide demain; ce que le monde sera après la guerre contre le Covid-19; qui est, à bien des égards, la Troisième Guerre mondiale. Une guerre totalement asymétrique. Si, à peine, un mois de cela, tête trop souvent baissée, on avançait, dans une course contre la montre, pour booster la productivité et l’interactivité, désormais notre objectif de simple mortel a vacillé de notre socle de valeurs, certitudes, et schémas anciens. Aujourd’hui c’est la survie, ou le tout pragmatique, qui prédomine : comment éviter de choper le Covid-19 ? Quel masque porter ? Comment s’approvisionner en produits frais ? Quel est le jour où je devrai me rendre au supermarché sans être repoussé par la police ? Quoi cuire ce midi ? Comment s’organiser pour que nos enfants n’abandonnent pas complètement le chemin de l’école en découvrant les diapos, inintéressantes et pétries de fautes sur la MBC ? Combien de cas positifs ce soir ? Sur combien de tests réalisés ? Des gens de notre entourage ? Vais-je perdre mon emploi ? Mon entreprise va-t-elle traverser la présente crise sans couler ? Et mon pays, qui n’a plus de reserves dans ses coffre-forts, dont le taux de croissance, pour l’ensemble de 2019, n’a pas dépassé les 3 % – bien avant le coronavirus. Une économie fragile qui finance quand même une armée pléthorique de nominés politiques, qui ne se privent pas avec nos sous, comment faire…

De manière brutale, notre rythme de vie et nos réflexes entreprennent leur mutation. Et nous commençons, peu à peu, à prendre du recul par rapport à l’organisation collective. Notre rapport au temps a changé, tout comme notre rapport à la société. Mais ce changement sera-t-il durable ? En attendant, nous nous efforçons à nous adapter à cette situation inédite, où les individualismes retrouvent leur droit de cité. Masqués que nous sommes, nous ne reconnaissons plus nos amis et voisins, nous ne leur adressons même plus la parole, si ce n’est que quelques murmures inaudibles derrière notre masque de chirurgien. “Ki manier, to bien? Non, kot kapav bien, la!” Les poignées de main sont découragées. Et, peut-être, bientôt, illégales ? Les rassemblements religieux, les funérailles, les anniversaires, les meetings, les séances parlementaires, tout cela appartient au passé, au récent passé qui s’est décomposé… Avant, mes proches me disaient : Zis dan lamor ki nou zwenn…

Consolation ? Plus de la moitié de l’humanité se retrouve dans la même situation que nous. La grande majorité de pays se retrouve à l’arrêt. Beaucoup de penseurs avancent que la situation actuelle se révèle en fait une chance inouie : à quelque chose, malheur est bon, dit-on. Pour que la terre récupère. Cela permet de panser, et de penser, enfin, à un autre monde qui serait possible, à ce projet de société que nous voulions vraiment, pas celui que nous subissons, car produit par la mondialisation, «le stade suprême du capitalisme»… N’est-il pas venu le moment pour remettre en cause notre modèle démocratique pour plus de participation citoyenne ? N’est-ce pas le moment de pousser pour davantage de transparence en général, et de transparence médicale en particulier ? N’est-il pas temps de réadapter nos importations et reprogrammer notre production locale, en commerçant avec les pays voisins ? Quoi faire de nos hôtels si les touristes ne nous visitent plus et quand on n’en aura plus besoin comme centres de quarantaine ? Comment éviter l’appauvrissement de la classe moyenne et l’extrême pauvreté, comme le redoute l’OXFAM ?

Et si le changement, par magie, se mettait à opérer ? Imaginons d’anciens ministres des Finances, comme Paul Bérenger et Rama Sithanen, qui partagent leurs connaissances avec les jeunes Renganaden Padayachy et Harvesh Seegolam afin de voir comment l’État mauricien peut à la fois combattre le Covid-19 et résoudre la crise économique qui a déjà commencé… d’autant que nous avons déjà brûlé nos réserves, et nos marges de manœuvre sur les plans monétaire et fiscal sont considérablement réduites. Sortant de sa réserve (après sa déconvenue électorale de décembre dernier), Sithanen nous a expliqué hier qu’on devrait, sans trop tarder, «monétiser le deficit budgétaire excédentaire pour financer les employés, les self-employed, les PME’s et les autres entreprises pendant que durent le confinement et le couvre-feu. Cette responsabilité incombe à la Banque de Maurice qui doit, soit volontairement pour garder son indépendance, ou avec une directive du gouvernment, acheter des ‘bonds’ émis par le gouvernement pour financer les dépenses supplémentaires. Ce que certains appellent le ‘Helicopter Money’. Le GM aura ainsi de l’argent sans augmenter la dette publique. Je le propose car le niveau d’inflation est très bas. Il n’y a aucun risque de dérapage inflationniste. It must be timely and temporary (disons trois mois). Cela va soulager nos compatriotes qui sont en difficultés financières et va aider pour la reprise après le déconfinement…»

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Notre lieu de vie est devenu un bureau, une école, un dortoir, un lieu de réflexion pour des changements fondamentaux qui s’annoncent. C’est sûrement la raison pour laquelle ce moment de confinement s’avère, pour beaucoup d’entre nous, une expérience philosophique assez particulière. Comme nous sommes en mode pause, nous avons le luxe de pouvoir penser et s’interroger sur les grandes problématiques qui agitaient notre monde. Le multilatéralisme et l’économie de marché. L’ONU et la Banque mondiale. Sous la pression d’économies tirées par la croissance, nos sociétés étaient lancées dans la passion de l’accélération. Et là, il y a un point d’arrêt qui n’est pas individuel. Alors pourquoi ne pas en faire un point d’arrêt collectif, fort instructif ? Pour l’humanité et pour la planète, pour nous tous, et pour nos enfants…