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Quelle gouvernance mondiale après le Covid-19 ?
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Quelle gouvernance mondiale après le Covid-19 ?
Sans précédent ! C’est vrai que, dans une certaine mesure, nous, dans la presse, avons tendance à abuser, ces temps derniers, du terme «sans précédent». Certes, plus de la moitié de l’humanité reste assignée à domicile, des systèmes de santé sont mis à mal, l’économie mondiale est quasi à l’arrêt, mais, même si le contexte n’est pas pareil, en raison d’une mondialisation qui a gagné du terrain, l’histoire récente comprend quand même les deux précédentes guerres mondiales, la crise économique des années 1930, et plusieurs crises sanitaires (le HIV-Sida, la grippe aviaire, la grippe porcine, l’Ebola…)
À chaque décomposition, il y a eu une recomposition. Comme un roseau, l’humanité, pliée, s’est relevée, et un nouveau système économique s’est mis en place, en s’adaptant aux nouvelles donnes. Alors que nous attendons toujours le pic de l’épidémie, et que les États-Unis ont pris la place de l’Europe comme l’épicentre de la pandémie, et que l’ONU et l’OMS semblent dépassées, des questions se posent sur la gouvernance mondiale en général, et sur les deux institutions de Bretton Woods en particulier, celles-là même qui sont nées sur les ruines d’un champ de bataille...
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Premier constat quasi unanime : pratiquement partout l’investissement dans la santé publique se révèle en deçà de ce dont la société a besoin aujourd’hui pour lutter comme il le faut contre le Covid-19. Y compris aux États-Unis, qui soigne d’abord son Département de la défense avant de financer les budgets de ses autres agences.
En attendant que le monde réalise que les médecins et infirmiers méritent d’être mieux rémunérés (ou reconnus financièrement) que les footballeurs et les «traders» de Wall Street, il y a lieu de revoir, sur les moyen et court termes, la Sécurité sociale, l’impôt progressif, un nouveau droit du travail, de nouveaux droits syndicaux, voire dans certaines économies, un véritable pouvoir au sein des conseils d’administration des entreprises. Thomas Piketty rappelle qu’auparavant, ces métamorphoses n’ont pu avoir lieu «que grâce à une transformation intellectuelle, qui, elle, était en préparation depuis le XIXe». Selon l’économiste, «dans l’histoire, ce qu’on voit, après les crises économiques ou financières, c’est que tout dépend de la réaction politique, et de la trajectoire qui est suivie après les crises».
Alors que la fin du mois d’avril se profile, et qu’il va falloir bientôt décaisser des milliards pour financer tous ceux qui sont condamnés chez eux, les deux institutions de Bretton Woods sont encore plus sollicitées que les urgences des hôpitaux. Elles annoncent des plans d’aide d’urgence pour pratiquement tous les continents et les pays, dont le nôtre bien entendu. D’ailleurs, outre le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, nous aurions sûrement aussi besoin de recourir à l’Agence française de développement, à l’Inde de Modi et à la Chine. Pour le Dr Renganaden Padayachy, il y a aujourd’hui clairement deux temporalités. L’avant- Covid-19 qui était déjà complexe. Et, ces temps-ci, l’après Covid-19; soit un nouveau monde avec des rapports de force différents. Car la gouvernance mondiale, elle-même, risque d’imploser sous la pression unilatérale des States de Trump, et de la Chine, qui, elle, veut s’ériger en leader mondial sur le plan sanitaire, en misant sur son expérience face au Covid-19.
Cette semaine, le FMI a annoncé le versement d’une aide d’urgence à 25 pays parmi les plus pauvres du monde. Elle doit leur permettre d’alléger leur dette et de mieux faire face à l’impact de la pandémie. Les 25 pays bénéficiaires sont l’Afghanistan, le Bénin, le Burkina Faso, la Centrafrique, le Tchad, les Comores, la RD Congo, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, Haïti, le Libéria, Madagascar, le Malawi, le Mali, le Mozambique, le Népal, le Niger, le Rwanda, São Tomé et Príncipe, la Sierra Leone, les Îles Salomon, le Tadjikistan, le Togo et le Yemen. Maurice, qui n’est pas dans cette liste en raison de son PIB relativement élevé, fait appel à d’autres plans d’assistance financière ; et certains évoquent même le besoin de faire tourner la planche à billets (Helicopter Money). Tout cela comporte un prix à la fois sur le plan local qu’international, même si le discours de Kristalina Georgieva, patronne du FMI, se veut rassurant en ces temps exceptionnels : «I am very pleased that the IMF’s Executive Board just agreed to provide immediate debt service relief to 25 of the poorest countries for the next 6 months. This will provide them space to reorient funding towards critical areas to address…»
L’allègement de la dette, annoncé par le FMI, passe par le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes naturelles ou de santé publique (fonds fiduciaire ARC). Ce fonds dispose d’une capacité de 500 millions de dollars de ressources immédiatement disponibles, y compris les 185 millions de dollars promis récemment par le Royaume-Uni et les 100 millions de dollars fournis par le Japon. La Chine et les Pays-Bas ont aussi promis d’importantes contributions. Le FMI multiplie, à son tour, des appels aux dirigeants riches afin de renflouer le fonds, mais se heurte aux désirs des leaders comme Trump ou Modi qui veulent tisser leurs propres liens stratégiques avec les États, qui peuvent faire avancer leurs intérêts.
«Nous n’avons pas de très bonne gouvernance mondiale qui fonctionne pour le moment, que ce soit pour l’économie mondiale ou pour la santé publique planétaire», a reconnu, hier à Washington, DC, l’ambassadeur de Chine aux États-Unis, Cui Tiankai. Répondant à une question concernant la coopération internationale et la coordination dans la lutte contre la pandémie, M. Cui a eu ceci à dire : «Je pense que les gens doivent vraiment faire de sérieux efforts pour réfléchir au type de gouvernance mondiale que nous devrions bâtir. Quelle direction devrions-nous adopter ? Si nous voulons encore construire un système de gouvernance internationale basé sur un modèle politique particulier ou avec la domination d’un ou deux pays en particulier, je ne pense pas que nous pourrons réussir. Le monde a connu de nombreuses crises au XXIe siècle, tout d’abord les attentats terroristes du 11 septembre 2001, puis la crise financière de 2008, et maintenant le Covid-19, c’est-à-dire des défis en matière de sécurité, d’instabilité financière et de santé publique; malgré tout, si nous n’avons pas encore commencé, nous devrions déployer de vrais efforts pour bâtir un bon système de gouvernance internationale pour le XXIe siècle, tourné vers l’avenir...»
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