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Mauritius Inc

22 avril 2020, 07:02

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Dans sa captivante interview-zoom à Axcel Chenney, publiée le 19 avril sur «lexpress.mu» et le lendemain dans «l’express», le Dr Navin Ramgoolam affirme qu’il ne faut pas que l’argent public soit utilisé pour sauver «le secteur privé» sans rien obtenir en retour. Il suggère que le gouvernement prenne des parts de capital en contrepartie d’argent injecté. L’idée est intéressante et elle n’est pas sans précédent.

Lors de la crise de 2008-2009 par exemple, la plus grosse maison d’assurance du monde, AIG (American International Group Inc), fut mise sous le contrôle du gouvernement fédéral américain, qui y injecta US$ 182 milliards. L’État y changeait le management, jugé responsable d’avoir pris des risques démesurés avec l’argent des assurés (Tiens ! On a déjà vécu ça chez nous aussi, à la BAI...). Le Trésor public revendait ses actions quelque temps plus tard et encaissait un profit de $ 23 milliards.

Autre exemple, celui de la Lloyds, en Angleterre, dont le sauvetage en 2008, au coût de 20,3 milliards de livres sterling (qui comprenait celui, en passant, de la Bank of Scotland) résultait en ce que 43 % du capital soit aux mains du Trésor public. Ce n’est qu’en 2017 que le gouvernement recouvrait son investissement initial, son profit étant alors les 2 % d’actions qu’il détient toujours. Ni les Américains, ni les Anglais ne peuvent être considérés comme opérant autrement que dans des économies capitalistes, même si ce sont Obama et Brown qui étaient aux commandes au moment des faits...

Quand il y a une situation d’urgence exceptionnelle ou extrême, il n’y a que l’État à avoir l’envergure et les moyens pour «sauver l’économie» ou, du moins, ses composantes les plus critiques. Le marché, lui, est obnubilé par la rentabilité seulement et réagit en conséquence. Par exemple, les valeurs boursières s’écroulent en ce moment-ci, comme en 2008-2009, parce que l’investisseur voit moins de profits ou même des pertes à l’horizon perceptible. Alors, c’est bien naturellement l’État, dont la responsabilité inclut avant tout d’assurer la pérennité à long terme du pays, qui doit prendre le relais. Il peut et doit mobiliser tout les outils et voies les plus appropriés.

Pour autant, il est important de bien comprendre ce qui est en ébullition ces jours-ci et de souligner la différence, quand la différence doit être faite. Ainsi, quand le gouvernement demande, en pleine crise Covid-19, de ne pas licencier et prend charge de 50 % des salaires jusqu’à Rs 50 000, la demande vient de l’État, pas des compagnies. Quel est d’ailleurs le choix de celles-ci ? Si elles peuvent payer les salaires de leur «cash flow» (cas rare), elles accepteront peut-être, même si ce n’est moral de le faire. Si elles ne peuvent pas compter sur leur «cash flow», elles acceptent encore, même si la portion non couverte par le gouvernement ne peut être trouvée ni en caisse, ni chez le banquier. Dans ce schéma, l’État, voulant protéger le salarié, décide de son propre chef de couvrir une partie des salaires rendus vulnérables. La question de participation au capital ne se pose pas.

 

«Quand il y a une situation d’urgence exceptionnelle ou extrême, il n’y a que l’État à avoir l’envergure et les moyens pour ‘sauver l’économie’»

 

Par contre, si le gouvernement mettait sur pied un plan de sauvetage conditionnel (Stimulus Package) pour toute compagnie ne se croyant pas capable de survivre après le confinement, pour des raisons systémiques ou structurelles, il est légitime pour un gouvernement, qui remplacerait alors des actionnaires incapables ou non disposés à injecter des capitaux frais, d’essayer de négocier des actions en son nom. Le mandat en la circonstance doit être clair : l’objectif pour l’État est de sortir au plus tôt, en restituant une rentabilité qui lui permettra de vendre ses actions à terme. Il ne s’agit pas de nationalisation, puisque la compagnie fragilisée ne s’y soumet que volontairement.

Idéalement, l’équipe de gestion, une fois choisie sur une base de méritocratie pure lors des négociations en amont (elle peut être la même si on a rien à lui reprocher), doit être indépendante de l’État, tant que les «Key Performance Indicators» pré-spécifiés sont atteints. L’évaluation de la valeur des actions à acquérir en de telles circonstances est souvent la vraie pierre d’achoppement, mais plus on discutaille, moins y a-t-il de temps pour sauver l’essentiel tant pour l’État que pour les actionnaires ! J’imagine que la taille de l’entreprise aidée est un facteur important.

Verrons-nous, sur les fonts baptismaux du FMI, ou grâce au «helicopter money», des propositions être faites pour le sucre? Le tourisme ? Air Mauritius ? D’autres secteurs ? En contrepartie, le gouvernement ferait bien de réfléchir à la privatisation de certains de ses investissements, y compris certains de ses monopoles !

Il n’est évidemment pas question de «socialiser les pertes et de privatiser les profits». Cette formule un peu réductrice néglige d’ailleurs le fait que quand une entreprise prospère, elle investit, elle paie des salaires, elle agrémente les recettes fiscales de l’État. Elle socialise ses profits ! C’est à l’État de décider à quel degré cette socialisation doit se faire, étant entendu que plus elle réglemente et plus elle taxe, moins l’investisseur sera motivé à prendre des risques, bien-sûr, ce qui n’arrange personne. Le dividende est la seule partie «privatisée», mais il ne devient possible qu’après qu’une compagnie se soit acquittée de ce qui intéresse l’État : investissements lucratifs, emplois, recettes fiscales sous forme de VAT, de droits de douane, de taxe sur les profits, et.

En parallèle, quand Ashok Subron s’insurge contre le fait que les salariés au bas de la pyramide du secteur privé sont partiellement aidés par le gouvernement, il ne peut que se baser sur l’argument erroné que les travailleurs du secteur public ont droit à plus d’égards que leurs collègues du privé ! Selon quelle logique ? Il n’y a pas lieu de séparer le privé du public. Ils font tous deux partie de Mauritius Inc et doivent tous deux être au meilleur d’eux-mêmes pour que le pays se porte bien ! Vous imaginez un pays éclopé de l’un ou de l’autre ? D’ailleurs, l’argent qui constitue l’argent public du Budget national chaque année n’est-il pas généré très largement à partir des taxes des compagnies et des citoyens... privés ?

P.S : Le monde impacté par le Covid-19 ne sera plus du tout le même. On l’a beaucoup dit, mais il commence à prendre forme : la South African Airways a déposé son bilan lundi. Si vous étiez trader de pétrole,

ON VOUS PAYAIT $ 37,83 pour chaque baril dont vous preniez livraison (les stocks étant au maximum partout) et Disney licencie 100 000 employés pour économiser $ 500 millions mensuellement, projetant de payer un dividende de $ 1,5 milliard en juillet !