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Le virus et le tourisme: quelle direction pour Maurice ?
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Le virus et le tourisme: quelle direction pour Maurice ?
Le chamboulement planétaire causé par le Covid-19 n’a pas épargné nos côtes, brouillant l’image (pas si parfaite) de nos plages de rêve et nos lagons turquoise. À l’aube de l’an 2020, les experts locaux s’accordaient déjà à dire que notre offre touristique nécessitait une remise à niveau, et le Covid-19 est venu accélérer les choses. Dans l’univers du voyage et du tourisme, ce qui était d’usage avant la propagation du coronavirus ne le sera plus dans un monde post-Covid.
Désormais, il ne s’agit plus de «redresser» notre industrie touristique, mais plutôt de forger une toute nouvelle vision fondée sur des stratégies durables, et de retravailler notre destination sous toutes ses coutures, de sorte à repositionner notre produit sur le marché mondial et par rapport aux axes d’accès (aérien et maritime). En plus des défis qui se dressaient sur notre route avant la pandémie, nous devons aujourd’hui affronter le géant du Covid afin de nous réinventer en tant que destination viable et durable sur la carte du tourisme mondial.
Cependant, tout n’est pas aussi noir. Au milieu de l’adversité surgissent des opportunités qui peuvent s’avérer enrichissantes si nous parvenons à les appréhender. Pour cela, une prise en charge nationale impliquant tous les acteurs du secteur est nécessaire, défi que le ministre du Tourisme, Joe Lesjongard, a déjà souligné dans une récente intervention à la radio.
À quoi ressemblera le tourisme après le Covid-19 ?
Le premier élément à considérer serait la nouvelle psychologie des touristes post-coronavirus. Quel sera le profil des voyageurs ? Combien voudront voyager avant la découverte d’un vaccin ou d’un remède ? À quelle distance ? À quoi ressemblera l’offre de voyage dans un monde ultra-aseptisé ? Quelles seront les exigences en termes d’hébergement et de prestations associées à une garantie sanitaire, qui se place au-dessus des habituelles considérations de sécurité ?
En attendant l’introduction d’un vaccin ou d’un remède (pas avant fin 2020 ou le début de l’année prochaine, dans le meilleur des scénarios), nous devons accepter que tout va changer, y compris notre conception des vacances. «La meilleure façon de prédire l’avenir est de le créer», disait Abraham Lincoln. Pour tisser notre avenir au beau milieu d’une crise planétaire dont la solution n’est pas encore en vue, il serait utile d’anticiper certains facteurs.
Premier facteur
La demande sera au plus bas, contre une offre à son maximum avec les hôtels déjà existants, les projets hôteliers en phase d’achèvement et les offres privées du type AirBnB. Considérant les redoutables retombées économiques de la pandémie, le ralentissement de la croissance, la chute de l’emploi et la hausse du coût de la vie qui nous guettent, de moins en moins de personnes pourront s’offrir des vacances à l’étranger. Nous sommes encore loin de pouvoir mesurer la charge émotionnelle que le virus fera peser sur nous, encore moins les dispositions des uns et des autres à voyager hors des frontières.
Deuxième facteur
Ceux qui auront les moyens de s’offrir des vacances à l’étranger réfléchiront plus longuement avant de quitter la sécurité de leur domicile. Quelles destinations seraient les plus sûres, d’un point de vue sanitaire ? Où pourrait-on séjourner sans craindre d’être contaminé ? À quels risques s’expose-t-on pendant de longues heures en avion ? La destination de rêve au bout d’un vol long-courrier en vaut-elle vraiment la peine ? Et les visages masqués sur les photos de vacances ? Ça vous dit ?
Troisième facteur
Comment les compagnies aériennes, pour celles qui survivront et se remettront tout juste d’une interruption du trafic longue et coûteuse, s’adapteront-elles pour rassurer des voyageurs de plus en plus frileux ? La mise en place de contrôles avant le départ semble être une solution, mais dans quelle mesure est-ce réalisable ? Quels en seront les coûts et comment ceux-ci seront-ils reportés sur les passagers ? Si la distanciation sociale s’applique à bord (un siège libre entre deux sièges), cela voudra dire que les avions décolleront à moitié remplis. Une hausse du prix des billets est-elle à prévoir ? Voyager responsable, d’accord, mais dans quelles conditions et à quel prix ? Quitte à repenser le modèle de gestion de l’aviation, des vols point à point plutôt que le transit par des aéroports pivots, avec des passagers peu disposés à s’éterniser dans l’espace confiné d’un avion, seraient-ils envisageables ?
Quatrième facteur
Se dépêtrant dans leur propre bourbe économique, nos marchés traditionnels (France, Afrique du Sud, Royaume-Uni, Allemagne, etc.) préféreront à juste titre promouvoir leurs propres destinations et contenir les flux commerciaux à l’intérieur de leurs frontières, ce qui représente une concurrence directe sérieuse à notre offre. Les touristes potentiels céderont plus facilement au patriotisme et préféreront partir à la découverte de leur propre pays, soutenant ainsi l’économie et le tourisme local. Selon les prévisions pour l’été 2020 en France, 99 % des vacanciers resteront dans l’Hexagone.
Sur le court terme
Pour notre petite île, la première préoccupation doit être humaine, à savoir la sécurité de la population. Les discussions autour d’une réorganisation de notre modèle touristique s’articulent autour de deux étapes : (1) En attendant l’introduction définitive d’un vaccin ou d’un remède ; (2) Après le déploiement d’un vaccin ou d’un remède à l’échelle mondiale.
Dans le premier cas de figure, la réouverture des frontières soulève de nombreuses questions et objections, étant donné que : (a) la lutte contre la propagation du virus n’est pas terminée ; (b) l’arrivée de l’hiver dans notre hémisphère suscite de l’inquiétude. À ce stade, ce sont deux éléments incontournables à intégrer à notre réflexion.
Cela dit, dans le cas où la réouverture des frontières serait absolument inévitable, une planification minutieuse est nécessaire. Elle devra inclure : (a) Des contrôles stricts à l’arrivée (avec possibilité de mise en quarantaine) ; (b) La mise en place de nouvelles pratiques pour le trafic entrant, en phase avec notre réglementation sanitaire et le maintien d’un bouclier sanitaire ; (c) Des contrôles avant l’embarquement au port d’origine ; (d) Une bonne compréhension de la réalité à laquelle chaque voyageur est confronté (d’où l’accent mis sur la psychologie des voyageurs, mentionnée plus haut).
Une autre question se pose : la protection de notre population demeurant la plus grande priorité jusqu’à l’étape (2), ne serait-il pas judicieux de limiter les vols à ceux assurés par notre transporteur national afin de faciliter les contrôles aux points de contact ? Une libre circulation par les airs est-elle justifiable dans le contexte actuel ? Pour notre compagnie nationale, ce serait une bouffée d’air frais sur le plan financier, et plus généralement, une base solide pour relancer progressivement l’industrie jusqu’au stade (2). Une stratégie commerciale orientée vers le fret ne serait-elle pas plus favorable à notre transporteur national, déjà en difficulté, en attendant l’étape (2) ?
Avant de se lancer, il est important de s’approprier ce changement de paradigme qui est devenu inévitable depuis la pandémie. Cherchons d’abord à comprendre l’impact de ce phénomène sur la psychologie humaine. Les pièces du puzzle se mettront progressivement en place tandis que nous prendrons le temps qui nous sera imparti avant le stade (2) pour repenser, redessiner et réinventer notre offre sur le long terme. Si nous négligeons cette étape clé qu’est la «compréhension», nous allons nous retrouver, encore une fois, avec un train de retard !
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