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Petits planteurs, hier et aujourd’hui

2 mai 2020, 11:05

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Les planteurs de légumes sont bien dans l’actualité ces jours-ci. La canne ne rapportant pas de fortune, les légumes restent les rares ressources des Mauriciens issus de ce qu’on appelle la classe des petits planteurs. Mais jadis la canne avait le statut de roi, pour petits, moyens et grands planteurs, ces derniers étant aussi usiniers. Jusqu’aux années soixante, les petits planteurs n’étaient pas mal lotis dans la société mauricienne. Les recettes de livraison de cannes aux usiniers permettaient à ces petits cultivateurs et à leurs famille de vivre pas dans l’ostentation mais assez confortablement. Il était toujours possible d’encourir les frais d’écolage post-Primary School Leaving Certificate des enfants.

Les planteurs ayant une superficie plus grande que la moyenne et des enfants assez doués pouvaient se permettre de les envoyer en Angleterre, en France et plus modestement en Inde pour des études universitaires. Quand les médecins et avocats et d’autres avec leur BA ou BSc rentraient au pays, leurs familles entreprenaient de ce fait un premier pas dans la mouvance sociale, bougeant de la plantation.

Il n’y avait pas que des petits agriculteurs. On comptait aussi des moyens planteurs.  Ceux-là mêmes qui se rendaient aux mariages au volant d’une Vauxhall Cresta, ce qui attirait la curiosité des adolescents plus habitués aux modestes mais populaires Morris Oxford. L’heureux propriétaire de la Cresta ou de la Zephyr 6, répondant à la question d’un gamin trop inquisiteur dira, «ki pou fer babu, mo bizin roul enn 6-cylindres». C’était une façon d’affirmer son statut avec ses 6-cylindres et moteur de plus de 2 000 cc, par rapport aux autres qui devaient se contenter des 4-cylindres et du moteur de 1 622 cc de la Morris Oxford.

Ce monde de 6-cylindres allait changer de façon draconienne avec le temps. Car au fil des décennies, les dépenses dans l’exploitation des champs de canne avaient augmenté et les recettes diminué. Qui plus est, les enfants nés dans le sillage du baby-boom post-Deuxième Guerre mondiale allaient engendrer la parcellisation de l’héritage familial, en convertissant surtout des terrains agricoles en résidentiels ou en laissant leur part à l’abandon, vivant confortablement dans les Plaines-Wilhems comme professionnels.

Quelques rares familles, les Gujadhur, les Ramphul, les Jhuboo, les Baichoo, les Sukai, les Osman, les Seegobin, les Ramdin, et les Fakim notamment évitèrent au départ la parcellisation, en montant des sociétés avec les enfants comme membres et bénéficiaires. Mais le champ de canne cessa pour la grande majorité d’assurer l’achat des Cresta, des Zephyr 6 et des Holden, un mastodonte Made in Australia qui devint un status symbol.

À un certain moment, sur le plan purement sociologique, on mettait l’accent sur un avenir non-agricole pour les enfants. Il était question surtout pour les fils de trouver un emploi ailleurs que dans le champ de cannes.  «Travay dan gouvernman» devint le nouvel objectif. Face au fils paresseux, nonchalant et pas brillant à l’école, on pouvait entendre le papa dire, «eta ti…, to le al koup kann plitar?»

Tout sauf le karo-kann. Les valeurs avaient complètement changé. Même le job le plus bas de l’échelle dans le service public avait plus de valeur que de s’afficher comme «ti-planteur». Un scénario typique. Au moment de la remise de la carte d’invitation pour le mariage d’une jeune fille, on demande aux parents «me garson-la, kot li travay sa?» La réponse qui rassure tout le monde : «Li travay dan gouvernman». À la question subséquente sur où et en quelle capacité le futur gendre s’est mis au service du gouvernement, on répond : «Li travay Stop-Go».

Le jeune homme était en fait employé au Public Works Department, gros pourvoyeur de jobs manuels et dirigé pendant un certain temps par le bon Raymond Bérenger, père de quelqu’un que tout le monde connaît. Le job de Stop-Go consistait à faciliter, à travers un panneau qu’on tournait, la circulation automobile, quand une voie de la route était fermée en raison des travaux de réparation ou d’asphaltage.

L’âge d’or de la canne révolu, ne survivent maintenant que des agriculteurs touchant de modestes revenus en cultivant des légumes. Entre le prix obtenu par le planteur et le prix de vente dans une grande surface, la différence peut se situer entre Rs 75 et Rs 300. Différents intermédiaires, le livreur final au supermarché et le mark-up de ce dernier expliquent ce gonflement de prix. Avec les parasites et les bestioles, les intempéries et les voleurs, ce n’est pas l’âge d’or non plus avec les légumes. Inutile de parler de la production de fruits, avec la glorification des chauves-souris. Seuls quelques exportateurs de fruits et de légumes, issus de la classe des petits-planteurs, étaient mieux lotis avant le Covid-19 mais avec le confinement et les difficultés de connexions aériennes, la vie n’est pas en rose bien qu’on disposait d’un marché lucratif au pays d’Edith Piaf.