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La presse, ce virus et notre démocratie

3 mai 2020, 07:11

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La presse, ce virus et notre démocratie

Lockdown Diary #44

Aujourd’hui, nous célébrons la Journée mondiale de la liberté de la presse, mais l’heure n’est pas à la célébration. Le coronavirus affecte les humains, l’économie et la société. Pourtant, il y a consensus qu’en temps de crise, comme celle que nous traversons, l’information, qui est un bien public, doit rester indépendante et fiable. C’est ce que nous nous efforçons de faire, depuis 1963, à l’express et au sein du groupe La Sentinelle. Raison pour laquelle cette année, nous sommes un peu plus en contact avec nos confrères internationaux afin d’entamer, comme préconisé du reste par l’UNESCO, un dialogue de haut niveau sur la liberté de la presse et la lutte contre la désinformation (principalement, mais pas que) sur la Toile de même que sur les pertes d’emploi dans les entreprises de presse de par le monde. Nous pensons que pour enrayer la pandémie, il y a lieu, parallèlement, de souligner la nécessité d’une presse libre pouvant contrer les fausses nouvelles qui mettent des vies en danger et qui sapent la riposte à la pandémie de Covid-19 en promouvant, comme Donald Trump par exemple, «de faux remèdes, des théories du complot et des mythes».

L’ONU présentera des rapports, d’ici quelques jours, sur le paysage de l’information pendant la pandémie. Fait notable : les recherches indiquent que près de 42 % des plus de 178 millions de tweets liés à la pandémie ont été produits par des robots ou des pseudo-journalistes et que 40 % de ces messages n’étaient pas fiables, ou relèvent carrément des Fake News, cet autre virus dangereux, qui veut parasiter les entreprises de presse traditionnelles, pour qui la crédibilté demeure le fonds de commerce.

«L’information est un droit fondamental. Face au Covid-19, l’information peut sauver des vies. Je tiens à rendre hommage aux journalistes, femmes et hommes qui s’engagent et prennent des risques pour nous tenir informés», souligne la Directrice générale de l’UNESCO dans un message aux directeurs et rédacteurs en chef. Nous sommes en phase avec elle car le travail journalistique se révèle plus important que jamais. Nous, journalistes, qui avons pris le parti de l’intérêt public, indépendamment du gouvernement ou des politiciens en place, faisons une mission de service public même si nous sommes des entreprises privées. Nous aidons le public à savoir comment faire face à la situation inédite et les gouvernements à prendre des décisions en connaissance de cause, en promouvant, quand il le faut, une Whole-of-Society Approach, tout en conservant notre indépendance et notre esprit critique (contrairement aux communicants). 

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Vendredi, le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, a salué l’ensemble de la presse et a reconnu les efforts sans relâche des journalistes tous les jours. Le gouvernement a du reste reconnu notre métier comme faisant partie des services essentiels — davantage que les parlementaires, qui étaient, eux en congé forcé malgré leurs voitures hors taxes et leurs multiples allocations — et grâce aux Work Access Permits, nous quadrillons, au quotidien, le pays afin de raconter la vie qui va, ou celle qui ne va plus. Cependant, la crise économique guette, et la presse n’est pas à l’abri. Nombre de nos confrères et quelques titres, dont le Business Model, essentiellement virtuel, ne tiennent pas la route, vont être sur le pavé bientôt. Même si nous ne partageons pas leur ligne éditoriale, c’est toujours triste et regrettable de voir disparaître des médias. Le Covid-19 vient secouer sérieusement l’équation économique de la presse locale et internationale. Peu de publicités. Ventes faibles. Et piratage - ou partage inconscient - de nos éditions en PDF. (Je reçois personnellement des éditions numériques de l’express de certains ‘amis’ qui pensent bien faire !) Certes c’est bien qu’un journal circule et soit lu - et à ce niveau, à l’express, nous sommes plutôt gâtés, mais ce que nos nombreux lecteurs ne comprennent pas : c’est que chaque copie que l’on se partage nous prive de revenus, d’autant que nous n’avons pas, contrairement à la Nouvelle-Zélande, de dirigeants éclairés et résolument démocrates comme Jacinda Ardern, qui élaborent des plans de soutien pour les médias en difficulté. Il est peu probable que l’appel de Madiambal Diagne, président de l’Union internationale de la presse francophone aux chefs d’État et de gouvernement, dont à Pradeep Roopun, soit entendu : «Cette crise profonde risque de voir purement et simplement disparaître certains supports. Or les médias sont un élément essentiel du développement économique et humain. Ils ont aussi montre leur caractere irremplaçable de support d’information au moment où vous avez engagé les mesures de précaution…» Coup d’épée dans l’eau ? Les journaux devront compter sur leurs lecteurs pour qu’ils soutiennent les informations et opinions fiables et crédibles ? D’où notre appel pour que nos nombreux lecteurs ne se contentent pas seulement de nous lire gratuitement sur la Toile et les groupes WhatsApp, mais qu’ils prennent des abonnements de soutien, afin de nous aider (à vous aider) à voir plus clair durant ces moments troubles et au-delà, sans avoir à assécher quelques plumes par-là, ou réduire quelques pages par-ci.

L’express s’est toujours battu pour la pluralité de la presse et s’est toujours, avant et après 1984 (au temps de la liberticide Newspapers and Periodicals Act), rangé du côté de tous les journaux indistinctement. Plus il y a des voix, même discordantes (mais pas calomnieuses, ni propagandistes, ou insultantes), mieux la Démocratie avec un grand D se porte. Et vous, chers lecteurs, si vous croyez, comme nous, que l’express a assumé sa mission de vous informer correctement et qu’il mérite de continuer dans cette voie, y compris avec ses services gratuits, vous avez la capacité et la possibilité d’y apporter votre contribution, en prenant un abonnement de soutien sur le kiosk LSL

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Notre guide spirituel à l’express, le Dr Philippe Forget, avait conscience que le journalisme, tel qu’on le pratiquait entre 1963 et 1984 avait, avec le temps et le progrès, changé dans la forme, mais, dans le fond, l’objectif demeure le même : «dans un pays libre, l’opinion publique ne peut juger, ne peut se prononcer que si elle est en présence des problèmes réels et des faits exacts (…) disons-le en peu de mots : l’express prétend être et demeurer un journal propre, un journal digne de ce pays et de son peuple.»

Dans la dernière interview qu’il nous a accordée (parue dans l’express du jeudi 30 mai 2013), le Dr Forget expliquait que «ma phase de journaliste était conçue comme un devoir de diriger la pensée mais je reconnais qu’avec l’éducation montante de nos jours il doit y avoir une osmose plus présente entre le public, le lecteur et le journalisme».

L’express ce n’était pas lui, l’express c’était – et c’est – avant tout des valeurs qui ont pour but d’aboutir «à cette fusion nationale qui a été longtemps refusée». Soyez vous aussi notre sentinelle !