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Géopolitique: des Himalayas à Agalega
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Géopolitique: des Himalayas à Agalega
La vallée de Galwan à Ladakh, à la frontière entre la Chine et l’Inde, peut nous sembler très éloignée. Et pourtant, elle devrait susciter, ces jours-ci, notre plus grande attention.
Depuis des semaines se déroule dans cette région isolée et inhospitalière des Himalayas une nouvelle confrontation entre soldats des deux pays. Si ces accrochages, provoqués par des accusations réciproques d’empiètements de territoires, ne sont pas nouveaux, les experts militaires s’accordent à considérer qu’ils sont aujourd’hui bien plus dangereux.
La raison en est que l’Inde de Modi a élaboré une nouvelle doctrine qui fait de sa sécurité une priorité absolue face à ses rivaux historiques, la Chine en premier lieu, de même que le Pakistan. Cette fois, c’est la Chine qui accuse l’Inde de construire des infrastructures de défense dans cette région contestée de Aksai Chin administrée par la Chine.
Ce nouveau «face-off» des armées des deux pays, est vu avec inquiétude. Depuis l’arrivée de Modi, on sait que la retenue dont avaient fait montre ses prédécesseurs en pareilles circonstances n’est plus de mise. Delhi est déterminée à en découdre, le cas échéant, même si le discours officiel reste conciliant.
Pour preuve de la nouvelle posture, les experts militaires soulignent que Modi s’est montré capable de risquer ce que tous les anciens Premiers ministres s’étaient interdits : mener des opérations militaires dites «surgical strikes» au-delà de ses frontières. C’est ce qu’il avait ordonné à ses troupes dans la vallée du Cachemire, en territoire pakistanais, contre des camps de terroristes. C’est ce qu’il avait fait en territoire birman à la suite d’une embuscade des militants indépendantistes du Nagaland contre un convoi de l’armée indienne à la frontière avec le Myanmar. Il avait été décidé alors de mener «the strongest retaliation possible».
Cette résolution musclée de l’Inde s’est encore renforcée depuis le déploiement la marine chinoise dans l’océan Indien - l’océan Indien que l’Inde considère comme l’océan de l’Inde - mais aussi de la stratégie chinoise de la Route de la Soie que les Indiens assimilent aussi à une volonté de Beijing de les encercler, avec de plus, le soutien du Pakistan, l’autre adversaire historique. Delhi scrute cet axe sino-pakistanais avec la plus grande méfiance.
C’est cette doctrine qui a poussé au rapprochement indoaméricain, devant permettant éventuellement aux navires de guerre indiens à profiter des eaux hospitalières de la base américaine de Diego Garcia. C’est ce qui a incité l’Inde à renforcer ses capacités opérationnelles dans la région grâce à Agalega où l’armée indienne pourrait même stocker des armes. C’est ce que Nitin A. Gokhale, un journaliste indien, expert des questions militaires affirme dans un livre très documenté, préfacé par l’ancien ministre indien de la Défense, Mahonar Parriker. Dans Securing India the Modi Way, après avoir souligné que l’Inde a déjà, et de longue date, un «foothold» à Maurice - le conseiller du gouvernement mauricien en matière de sécurité est un Indien de même que le commandant des Coast Guards - Gokhale écrit, parlant d’Agaléla : «India had for long resisted basing Indian Military hardware on the Island. That is about to change.» Il ajoute : «The Indian Navy is accordingly gearing up for the forthcoming competition with the PLA (l’Armée de Libération Nationale de la Chine). Voilà ce qui se prépare à nos portes.
Voilà pourquoi ce qui se passe, ces jours-ci, dans les Himalayas, nous intéresse au plus haut point. À écouter les officiels indiens, le dernier incident en date qui a mobilisé des milliers de soldats, face à face, à quelques mètres, deux cotés de la frontière, a été provoqué, au départ, par des incursions chinoises sur le territoire indien de Ladakh. Les Chinois tentent de bloquer une décision indienne de construire une route à travers la vallée pour mieux connecter la région à une piste d’atterrissage, les Indiens voulant probablement améliorer leur capacité de surveillance sur cette frontière.
Des conflits
L’incident fait suite à une autre confrontation, en 2017, toujours à la frontière. L’Inde avait mobilisé une forte présence militaire pour contrer ce qu’elle considérait comme une offensive chinoise de renforcement de sa présence le long de la frontière avec le Bhutan.
La nouvelle doctrine sécuritaire de l’Inde de Modi, son désengagement du mouvement des non-alignés longtemps la clé de voute de sa diplomatie, son rapprochement spectaculaire avec les États-Unis «impérialistes » de Trump qui va jusqu’à des exercices navals conjoints, la signature du Logistics Exchange Memorundun of Agreement, un accord de soutien logistiques et de services entre les forces armées de l’Inde et des Etats-Unis, sont tous conçus dans la perspective de contrôler les ambitions chinoises en Asie et dans l’océan Indien.
Pour les Indiens, dans ce contexte, la base militaire américaine de Diego Garcia est cruciale et ils ne souhaitent aucun changement susceptible de bouleverser le rapport de forces. C’est ce qui explique qu’ils ont soutenu du bout des lèvres la position mauricienne, assurant un service minimum devant la Cour internationale de justice par la voix de leur seul Haut- Commissaire à la Haye. Il a été révélé, cette semaine, que l’Inde avait également refusé une proposition de Maurice de coparrainer la résolution de soutien présentée devant l’Assemblée générale des Nations unies. Au fait, depuis toujours, la diplomatie indienne gère cette ambiguïté, en public reconnaissant la souveraineté de Maurice sur Diego Garcia, mais en vérité, se félicitant de la présence militaire américaine, nécessaire selon Delhi pour contrôler la puissance grandissante de la marine chinoise, considérée comme un «genuinely hostile maritime power» dans la région.
L’Inde est tout de même embarrassée par la situation même si elle a fait son choix. Dans une étude de la nouvelle posture indienne, publiée, il y a quelques jours, dans l’Australian Journal of Foreign Affairs, deux chercheurs de géopolitique connus, Darshana M. Baruah et Yogesh Joshi remarquent : «India cannot continue to follow a Janus-faced strategy of supporting US presence on the one hand and championing decolonization on the other, as it did during the Cold War. The changed strategic environment necessitates New Delhi to fully embrace the logic of US presence in the Indian Ocean while mediating negociations over Mauritius’ sovereignty over the islands… Delhi is faced with the dilemma of its renewed engagements and support toward Island States to minimize Chinese influence and the importance of Diego Garcia for favourable Indian Ocean dynamics.”
Sous le titre Indo-US roadmap for Diego Garcia, les auteurs de cette étude invitent l’Inde à éliminer toute confusion pour dire clairement et publiquement l’importance, à ses yeux, de Diego Garcia pour la sécurité dans l’océan Indien tout en reconnaissant les droits de souveraineté de Maurice sur l’Archipel des Chagos. Ils proposent une initiative conjointe de Delhi et de Washington pour trouver «a practical solution through mediation between Mauritius and the UK».
Il est temps en effet que Maurice pose de manière concrète, pragmatique et pratique les contours d’une possible négociation avec la Grande-Bretagne. La piste que les chercheurs indiens proposent n’est pas éloignée de celle que je n’ai pas cessé de promouvoir : un accord mauriciano- américain sur Diego Garcia assurant le maintien de la base en contrepartie d’un loyer et la rétrocession d’un certain nombre d’îles de l’archipel, ce qui peut être d’un réel intérêt en matière d’accès à des ressources halieutiques dans les zones territoriales exclusives de ces îles, y compris Diego Garcia, et possiblement d’activités touristiques dans les îles éloignées de la base.
Maintenant, faudra aussi que l’État mauricien lève toute ambiguïté : si l’Inde a été accueillie à Agalega, pour des considérations sécuritaires que Maurice, pays ami peut comprendre, le pays ne fait pas siennes pour autant toutes les phobies antichinoises de la diplomatie indienne.
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