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Budget : tendre vers la solidarité

4 juin 2020, 07:19

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Budget : tendre vers la solidarité

Que le premier Budget de Renganaden Padayachy soit en français ou en anglais, ce n’est pas cela qui compte. Ce qui importe c’est que ses mesures, en ce temps de crise, parviennent à redonner du peps à l’économie et confiance aux investisseurs et partenaires sociaux.

Les temps et les lois ont changé durant ces dernières semaines : avec le coronavirus qui a plongé le monde entier dans un chaos inimaginable et inimaginé et la manne financière (de Rs 158 ou Rs 140 milliards) provenant de la Banque de Maurice, le ministre des Finances peut se permettre des mesures fortes et innovantes afin de relancer les secteurs du tourisme, de l’offshore, des services financiers et de la construction, tout en favorisant l’émergence du développement durable, des énergies renouvelables, de l’économie bleue et de l’agriculture raisonnée. Le tout dans une double stratégie nationale de relance et d’adaptation au changement climatique, l’autre enjeu occulté, ces temps derniers, par le Black Swan qu’est le Covid-19.

Outre l’économie, l’exercice de cet après-midi devrait aussi s’occuper de l’humain et de la société, afin de soulager la tension du contexte social — avec une aide aux défavorisés (et aux squatters — tout en respectant l’État de droit, condition sine qua non au développement). Le Budget devrait aussi s’intéresser aux carences de notre système de santé publique et aux infrastructures y relatives, et à l’éducation nationale, qui a déjà changé pas mal avec le e-learning, qui a forcé élèves et enseignants à remettre leurs méthodes en question.

Avec les amendements contenus dans la nébuleuse Covid-19 (Miscellaneous Provisions) Act, le gouvernement s’est débarrassé d’une contrainte majeure : il n’y a aujourd’hui plus de plafond de la dette publique. En d’autres mots, il n’y a plus de limite sur la carte de crédit du pays ! On pourrait dépenser à volonté en puisant de nos réserves, as if there is no tomorrow ! Mais ce n’est pas vrai.

Le très respecté et écouté économiste Raghuram Rajan, ancien directeur de la banque centrale indienne et aujourd’hui prof d’université aux États-Unis, insiste, dans les forums internationaux, qu’il y a une croyance répandue, selon laquelle les banques centrales peuvent faire beaucoup plus pour aider l’économie réelle et augmenter la croissance. La réalité, selon lui, c’est qu’il y a, malgré la centaine de milliards sur papier qu’on brandit par exemple chez nous, en fait, très peu de marge de manœuvre. «Monetisation is neither a game changer nor a catastrophe in abnormal times (…) It helps a little at the margin, but does not solve the government’s fiscal problems nor does it lead to runaway inflation. Government should be concerned about protecting the health of the economy and should spend what is needed… It should also worry about getting the fiscal deficit and its debt back in shape over the medium term…»

Le 10 juin 2019, juste après la présentation du dernier Budget de Pravind Jugnauth comme ministre des Finances — et avant les élections législatives de décembre 2019 et le coronavirus, l’express soulignait : «En raison de l’échéance électorale et des insinuations socialistes des membres du gouvernement qui jouent leur survie politicienne, le Budget avait créé des attentes au sein du public. Au final, le résultat s’avère plutôt une ‘crisis of expectation’ – les pensionnés n’auront que Rs 500 à partir de janvier 2020. Cependant, la révision des droits d’accise et de la TVA sur le gaz ménager et les carburants (et d’autres items) est une tentative de plaire à tout le monde, alors que la mesure de Rs 1 000 à tous les fonctionnaires risque surtout de frustrer tous les travailleurs du privé ; tout comme les fans de Man U qui risquent de ne pas aimer le tapis rouge déroulé pour Liverpool… Plus sérieusement, à nos yeux, la plus grave décision énoncée hier demeure celle relative à la dangereuse utilisation des réserves de la Banque de Maurice (BoM) pour réduire la dette publique, comme si l’organisme de régulation prenait des directives du gouvernement. La vérité c’est que la BoM s’est montrée incapable de stériliser l’excès de liquidités car elle fait elle-même, désormais, des pertes. Et voilà qu’on l’oblige à venir à la rescousse du pays alors qu’elle est ellemême malade…»

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Outre le recours aux réserves nationales, le Grand argentier, un ancien de la FSC (tout comme le gouverneur Harvesh Seegolam), devrait envoyer des signaux pour tenter de remettre les services financiers mauriciens dans les bons papiers de nos partenaires étrangers (UA, FATF, EU). La nomination de Dhanesswurnath Thakoor à la tête de la FSC ne va pas forcement dans ce sens.

Si on n’arrive pas à redorer le blason de notre offshore, le niveau d’emploi risque de chuter encore plus et l’exode de jeunes professionnels mauriciens risque de s’amplifier. Ce qui pourrait entraîner alors une crise sociale, surtout que notre secteur informel n’est pas encore structuré, et qu’il y a cette perception, selon laquelle les Rs 80 milliards placées au sein de la Mauritius Investment Corporation, iraient au secteur privé traditionnel et les proches du pouvoir, comme, disons, l’hotel Maradiva… Padayachy peut nous prouver le contraire et adopter cette Whole-of-Society Approach que l’express prône depuis mi-mars dernier.

C’est pour cela qu’on s’attend à un ciblage à visage humain : lancer une vraie Solidarity Tax, protéger l’emploi (au lieu de tenter de préserver tous les emplois) tout en boostant la productivité, créer de nouveaux piliers économiques tout en combatant le changement climatique, mais aussi réserver la pension universelle à ceux qui sont vraiment dans le besoin.

En gros, l’on verra si Padayachy peut passer des théories internationales aux réalités mauriciennes, en construisant des ponts pour une nation solidaire et solide.