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La pasionaria de Riambel

6 juin 2020, 13:17

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À un moment où des perroquets médiatiques nous assomment avec leurs discours rhétoriques où personne ne se reconnaît, l’intervention de Marie Rose Randamy, avec son parler brut est venue bouleverser tous les codes. Il faudrait le dire de prime abord : l’occupation de Marie Rose Randamy des terres de la couronne constitue une infraction aux lois de la République. Cependant, était-ce le moment approprié pour procéder à cette éviction ? N’ayant définitivement pas sa langue dans la poche, Marie Rose Randamy a de manière pertinente expliqué toute l’injustice inhérente à cette éviction. Elle en a aussi profité pour égratigner au passage l’absurdité de cette politique de deux poids, deux mesures, où ceux proches du pouvoir jouissent de passe-droits impunément. Tout cela en quelques minutes – de manière spontanée et portée par cette souffrance insoutenable, elle a osé dire tout haut ce que beaucoup disent tout bas et avec une éloquence qui ferait pâlir d’envie beaucoup de nos politiques.

Alors même que nos décideurs ont le monopole du discours public, Marie Rose Randamy, en prenant la parole, a jeté un pavé dans la mare. Autour de quoi s’articule son discours ? Aussi illégal que soit cet acte, il faudrait faire l’effort de dépasser la notion de transgression pour trouver du sens à ses propos. Ainsi, si nos décideurs faisaient preuve d’une ouverture d’esprit, ils comprendraient que sa colère est majoritairement causée par le fait que l’État la traite en parasite alors qu’elle n’a toujours demandé que la possibilité de se faire une place au soleil à travers son dur labeur.

L’intervention de la squatteuse de Riambel est hautement symbolique car elle vient refléter le fait que même si une bonne partie de la population est quasi analphabète, elle est cependant dotée d’une certaine conscience politique, parfaitement au courant du caractère opaque de nos institutions et de l’injustice qui en découle. Le plus la situation économique va se dégrader, le plus les évidences théoriques proposées par nos décideurs vont être contestées, surtout dues au fait que les promesses ont été légion et n’ont pas été tenues. La pression d’ailleurs vient de partout : chauffeurs de taxi, maraîchers, entrepreneurs…. Les choses prennent d’ailleurs une autre dimension quand de toutes parts on entend le peuple affirmer que ce n’est pas que le coronavirus qui a entraîné cette descente aux enfers.

Marie Rose Randamy, sans probablement s’en rendre compte, est précurseur d’un nouveau paradigme. Elle plaide ici pour davantage de place aux initiatives locales et citoyennes. La pandémie est venue révéler à quel point nous sommes dépendants de la mondialisation. Il nous faut une économie socialement et humainement responsable. Les modèles économiques doivent être en cohérence avec les valeurs et la société dans laquelle nous voulons vivre.

Soulignons de plus qu’en cultivant la terre, elle a non seulement contribué à diminuer les risques sanitaires mais a aussi empêché d’autres agressions sexuelles, comme celles subies par sa fille. Le gouvernement ne devrait-il pas faire preuve de la même imagination en matière d’innovations sociales et de politiques publiques ? Pourquoi ne pas passer des lois, semblables à celles du Covid-19, obligeant des propriétaires de terrains vides à céder ces espaces inutilisés à des potentiels cultivateurs ? Cela résoudrait les problèmes sanitaires, les risques d’agression et agirait comme un frein à la spéculation foncière. Il serait aussi temps de publier en toute transparence l’allocation des terres de la couronne afin de donner le bon signal au peuple : on chasse certes les squatters mais les lois de la République sont les mêmes pour tout le monde ! Au lieu de revenir répéter mécaniquement des mots vides de sens pour tenter de calmer la population, cette initiative permettrait au gouvernement de gagner en crédibilité et de rendre plus acceptables ces opérations coups de poings contre ceux qui commettent des actes illégaux.

À un moment où on parle d’allocations chômage, le cas de Marie Rose Randamy nous interpelle. Elle revendique le droit de travailler, de gagner son pain avec dignité. Nous avons tous été aussi surpris par le fait que ce sont les femmes qui étaient à l’avant-plan lors des opérations policières. Les sociologues mettent d’ailleurs l’accent sur le fait que ce sont les femmes en priorité qui vont davantage souffrir des conséquences socio-économiques du coronavirus partout dans le monde. Sans ériger Marie Rose Randamy en icône de la résistance, il faudrait éduquer nos filles à devenir de véritables guerrières faisant preuve d’esprit critique et apprenant à ne pas baisser la tête devant le pouvoir quel qu’il soit. En 2020, il est grand temps de se défaire des représentations passéistes du modèle féminin, qui relègue la femme à un statut d’éternelle victime.

Le cheminement de Marie Rose Randamy, action illégale mise de côté, est le contraire de la technocratie. À un moment où chaque nation pense à atteindre l’autosuffisance en matière alimentaire, il faudrait donner les moyens à ceux qui veulent revenir à la terre. Il est certain que cela ne suffirait pas à résoudre tous les problèmes socio-économiques, mais cela permettrait à un certain nombre de gens de se faire une place dans un monde que nous partageons tous en commun. À partir du moment où une élite prend en compte une certaine sagesse populaire, elle gagne en légitimité. Il ne faudrait pas se leurrer en pensant que du moment que nous sommes du bon côté de la barrière, nous sommes à l’abri dans une forteresse.