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La nouvelle normalité de Padayachy
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La nouvelle normalité de Padayachy
Il se dit inspiré de Pierre Mendès France, de Michel Rocard ou encore de l’économiste Thomas Piketty. Soit ceux incarnant cette gauche humaniste qui place l’humain au centre des considérations économiques et sociales. Renganaden Padayachy cherche, à sa façon, à être un Robin des Bois moderne, en taxant ceux d’en haut pour permettre à ceux du bas de grimper à l’échelle sociale. Et ce, dans un souci de solidarité nationale. Tant mieux et donnons-lui au moins le crédit de cet engagement. Plus de justice sociale et fiscale, qu’il tente d’introduire dans son tout premier Budget de la présente législature.
A priori, personne ne peut cautionner une politique économique cherchant à creuser l’écart entre la classe possédante et celle dite vulnérable, plus particulièrement après la crise du Covid-19. Il en va même du bon sens, couplé à une logique : celle qui veut qu’un ministre des Finances ne puisse consciemment laisser une frange de la population sur le carreau, entraînant, à terme, sa marginalisation, au risque d’une explosion sociale dans le pays. Samedi, il n’avait d’ailleurs qu’un mot à la bouche : solidarité.
La crise sanitaire du Covid-19 est venue d’ailleurs nous infliger une profonde leçon d’humanisme. Face à une pandémie, le confort matériel importe peu, la mort ne faisant aucune distinction entre une grosse fortune et un laissé-pour-compte de la société. Dès lors, on peut se demander pourquoi, par exemple, l’instance patronale et certains Chief Executives ont décidé, depuis jeudi, de ruer dans les brancards contre l’augmentation à 25 % de la Solidarity Levy imposée sur les hauts revenus.
Certes, ils auront à mettre la main à la poche pour contribuer davantage à la caisse de la MRA. Qui viendra d’ailleurs taxer pour la première fois les millions de roupies de dividendes engrangées par les gros actionnaires de nos corporates. Du coup, c’est leur zone de confort qui sera fortement mise sous pression, dans un souci de sacrifice face à cette nouvelle normalité.
En même temps, avec la hausse de la Solidarity Levy, on peut comprendre l’inquiétude de certains professionnels et les risques susceptibles d’entraîner un exode des meilleures compétences du pays. Comme celle des membres de la diaspora mauricienne qui hésiteront deux fois avant de rentrer au bercail face au spectre de cette taxe. Entre ces deux postures, certains diront aussi que les valeurs de justice sociale dépassent largement les considérations pécuniaires…
Le Budget demeure, à cet effet, l’outil fiscal par excellence pour une redistribution sociale de la richesse au sein de la société. Renganaden Padayachy y a eu recours, comme d’autres ministres des Finances dans le passé. Pour autant, le Budget 2020-21 est loin de répondre aux exigences économiques du pays, bien que la Banque de Maurice ait ouvert son robinet pour Rs 140 milliards.
Alors que la crise sanitaire du Covid-19 aurait dû permettre au ministre de rebattre les cartes, en revisitant l’architecture économique, le Budget sombre dans la normalité, occultant le fait que le monde est entré dans une guerre économique et financière qui sera longue et violente, comme le rappelait récemment le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire.
Le plan de relance de Rs 100 milliards est la réponse du gouvernement face à la crise, à cette «New Normal», à l’instar du «New Deal» de Roosevelt suivant la Grande dépression de 1929, aux États-Unis, et où les vertus du Welfare State étaient privilégiées. Padayachy s’appuie sur cet investissement colossal pour booster son économie en adoptant une approche keynésienne. Il est conscient que le privé est financièrement à genoux et que ce sont les investissements de l’État qui vont générer la croissance de demain. Plus particulièrement si la grosse partie de cette enveloppe financière (près de Rs 40 milliards) est injectée dans l’industrie du bâtiment. C’est un pari trop risqué car ces investissements ciblés n’entraînent pas forcément cette dynamique de croissance souhaitable permettant, à terme, la relance.
Reza Uteem, porte-parole économique du MMM, et d’autres spécialistes ont raison de rappeler ces derniers jours que l’ex-ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo avait voulu faire de Maurice un grand chantier, avec l’annonce d’une dizaine de Smart Cities en 2015. Cinq ans après, la construction n’a pas été ce moteur de croissance pour dégripper la machinerie économique. Des infrastructures sont physiquement visibles ces dernières années mais pas les Smart Cities, dont on peut compter sur les doigts d’une main celles qui sont sorties de terre. Avec une contraction économique de 13 %, la tâche paraît herculéenne pour Padayachy.
Sans doute, le ministre des Finances n’a pas souhaité que ce Budget soit celui d’une remise en cause des principales structures économiques, comme le souligne plus loin l’économiste Rajeev Hasnah, dans l’interview qu’il nous a accordée. C’était beaucoup plus pour limiter les dégâts, dit-il. En revanche, la seule grande réforme dans ce Budget porte sur la pension de retraite, avec le remplacement du NPF par la Contribution sociale généralisée (CSG), vivement contestée en ce moment à la fois par les employeurs et les travailleurs. On ne connaît pas le sort qui sera réservé à cette nouvelle mesure.
Cependant, le Grand argentier, qui a vécu une dizaine d’années en France, doit savoir comment tout changement à la structure de la CSG dans ce pays est un bras de fer quasi permanent entre les syndicats et les gouvernements, avec des consultations qui s’éternisent. Lui, il a préféré l’imposer dans son Budget. Il doit s’attendre à gérer une crise dont il aurait pu faire l’économie.
L’exercice budgétaire passé, Renganaden Padayachy saura dans les jours qui viennent si «l’économie est la vie». Il gagnerait à être moins théorique mais plus pragmatique dans la gestion économique du pays.
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