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De l’opportunisme

12 août 2020, 18:57

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Faute d’opportunités, des Mauriciens ergotent sur le terme opportunisme à la suite d’une plainte déposée à la police par une députée de la majorité gouvernementale. Mais les économistes peuvent être «annoyed» que ce concept d’Oliver Williamson soit dévoyé. Plus sérieusement, qu’a fait le gouvernement en matière de gouvernance pour empêcher les comportements opportunistes des agents de l’État, surtout pendant le confinement national, et ceux des employeurs qui licencient au motif du Covid-19 ?

Dans The Economic Institutions of Capitalism (1985), le lauréat du Nobel d’économie 2009 écrit : «By opportunism I mean self-interest seeking with guile.» Cela inclut «lying, stealing and cheating», mais «opportunism more often involves subtle forms of deceit». L’opportunisme peut être ex ante, comme le fait de cacher ses défaillances pour obtenir un emprunt («adverse selection»), ou ex post, à l’instar de l’attitude irresponsable de l’assuré face aux risques («moral hazard»).

Si l’opportunisme n’existait pas, tous les comportements individuels seraient bien gouvernés par des règles générales, et les événements imprévus seraient aussi bien traités par elles. Dans ce cas, les problèmes d’exécution d’un contrat peuvent être évités par une clause ex ante qui spécifie que les parties prenantes acceptent de dévoiler toutes les informations. Malheureusement, l’information parfaite n’est qu’un idéal, car dans presque toutes les transactions, la divulgation d’informations est partielle, sinon faussée. Les asymétries d’information encouragent l’opportunisme, un exemple flagrant étant les achats publics de médicaments et d’équipements médicaux.

Même si le ministère de la Santé ou celui du Commerce avait pris la peine de connaître les fournisseurs, il n’aurait pas cerné tous les paramètres lui permettant de faire le meilleur choix. Tout décideur dispose, dans la quasi totalité des cas, d’une information incomplète et imparfaite, et n’est pas capable d’en traiter l’intégralité : c’est la rationalité limitée, chère à Herbert Simon, prix Nobel d’économie 1978.

Pour Williamson, la rationalité limitée dans un contexte d’incertitude rend les contrats incomplets (ils n’envisagent pas tous les risques) et favorise des comportements opportunistes. Dans un contrat de court terme, a fortiori, il n’y a pas d’échanges d’information ex ante, ni de négociation qui répartit les risques ou qui anticipe des problèmes. Un contrat incomplet ne garantit pas sa bonne exécution, et il accroît ses coûts de transaction.

L’inégalité entre fournisseurs et clients dans le jeu de marché ne dédouane pas pour autant le gouvernement de tout vice de procédure qui peut exister. C’est ahurissant d’entendre un ministre dire, l’air de rien, que la bonne gouvernance n’a pas sa raison d’être dans une situation d’urgence sanitaire. C’est du pur Machiavel : la fin justifie les moyens.

Selon l’auteur du Prince (1513), pour traiter «les hommes comme ils sont» – leur propension à se comporter de manière opportuniste –, «un souverain sage ne peut ni ne doit observer sa parole lorsqu’un tel comportement risque de se retourner contre lui et qu’ont disparu les raisons qui la firent engager… Jamais à un prince n’ont manqué des motifs légitimes de farder son manque de parole».

Les promesses de bonne gouvernance n’engagent personne. Les agents qui contrôlent l’État sont préoccupés à rechercher, non pas l’efficacité économique, mais leur intérêt personnel par la ruse. En bons opportunistes, ils essaient de promouvoir des institutions (lois, politiques publiques) qui leur font gagner une rente, ou de protéger leur position au prix d’institutions inefficaces.

Afin de limiter les comportements opportunistes, l’État, comme l’entreprise, doit encadrer ses transactions en se dotant d’un cadre contractuel. Pour être adoptées, les structures de gouvernance sont déterminées par, et doivent être alignées avec, les trois attributs williamsoniens de la transaction : la fréquence, l’incertitude liée au contrat et la spécificité des actifs. On choisit, selon la complexité de la situation, une forme de gouvernance qui conduit à améliorer l’efficience organisationnelle et à économiser les coûts de transaction : l’échange marchand, la planification centralisée, la négociation horizontale ou la coopération verticale.

Nous ne sommes pas dans ce que l’économiste Harold Demsetz appelle «l’économie du nirvana», qui compare des formes existantes d’organisation à des formes idéales. Nuançant sa présentation de l’opportunisme dans The Mechanisms of Governance (1996), Williamson postule que «some individuals are opportunistic some of the time and that it is costly to ascertain differential trustworthiness ex ante». Sans être naïf sur les intentions de son partenaire, on doit bâtir une coordination d’échanges mutuellement bénéfique. L’accent mis sur l’opportunisme doit faire de la place à la confiance pour ne pas contrarier les relations d’affaires, sources d’opportunités.