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Quel État-océan...

21 août 2020, 06:45

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Entre les discours et les actes, il y a, bien souvent, un océan de démagogie, d’actes manqués, et de flux et trafics divers (licites et illicites). Vingt-cinq jours après son triste échouement, le MV Wakashio provoque, à n’en plus finir, des vagues de nature environnementale, écologique, économique, diplomatique, sécuritaire, satellitaire/technologique… Preuve, s’il en fallait, qu’en matière de Blue Economy, l’État-océan que nous aspirons à devenir n’est pas encore sorti de la rade.

Pourtant la volonté d’exploiter notre zone économique exclusive (vaste de 2,3 millions de km²) ne date pas d’hier. Mais, pour des raisons foncièrement insulaires, nous restons enlisés sur terre. Deux ans avant le naufrage du vraquier japonais, soit en avril 2018, lors d’une conférence ministérielle de haut niveau sur la sécurité maritime, Pravind Jugnauth bombait le torse devant quelque 180 délégués (dont des ministres de la Défense et de l’Intérieur de l’Europe, ainsi que des responsables d’institutions multilatérales) sur nos ambitions maritimes et océaniques. «En tant qu’États insulaires, souvent privés de produits naturels, nous aspirons à assurer le développement de nos vastes espaces marins pour constituer un nouveau chapitre de notre développe- ment économique. Mais pour y parvenir, notre espace marin doit être en sécurité.» En effet, sans sécurité, il ne peut y avoir de développement. Et sans développement, quelle sécurité…

Ladite conférence avait, du reste, débouché sur la signature de quatre accords portant sur un renforcement de la coopération entre États pour une meilleure sécurité maritime dans la sous-région, dont deux sous le programme régional de sécurité maritime (MAritime SEcurity, MASE). Le consensus dégagé : chaque État de la sous-région, face à l’océan, devrait pouvoir compter les uns sur les autres, notamment en termes d’échange et de partage d’informations maritimes, en particulier à travers le Centre régional de fusion d’information maritime, basé à Madagascar, mais aussi à travers la coordination d’opérations conjointes.

Pour arriver à construire ce «nouveau chapitre de nos économies autour de l’océan», Pravind Jugnauth avait raison de mettre en avant une condition sine qua non : «Nos mers doivent être sûres et nous devons débloquer les ressources nécessaires en ce sens.»

Pourtant du 20 au 25 juillet 2020, aucun radar, aucun centre régional, n’avait apparement détecté la présence du MV Wakashio. Et quand le 25 juillet, il fonçait sur les récifs de Pointe-d’Esny, aucun vaisseau n’a pu l’intercepter. Et du 25 juillet au 6 août, ce sont d’autres bateaux privés qui l’ont accosté, mais pas ceux de la National Coast Guard ou des autorités régionales… et puis il y a eu le début de la marée noire, et le tour- billon de questions y relatif.

L’incapacité mauricienne, en termes de surveillance maritime (alors que 2 000 bateaux croisent dans nos eaux chaque mois), a été mise à nu sur la place publique, avec le battage médiatique sans précédent autour de la marée noire. La communauté internationale ne va pas nous lâcher. Elle suit, avec inquiétude, nos tentatives de justifier l’injustifiable. Un peu comme Kavy Ramano et Pravind Jugnau- th ont essayé de prouver leur bonne foi, de vive voix, au ministre français des Outremer, Sébastien Lecornu – qui, malgré la com déployée, n’a pas mordu à l’hameçon typiquement mauricien.

Si Lecornu s’est focalisé sur le désastre écologique et la gestion de l’«épave», d’autres politiciens évoluant sous d’autres cieux, avec forcément des intérêts et regards différents sur l’épisode Wakashio, vont nous jeter le blâme. À l’instar du parlementaire britannique Henry Smith, qui fait un amalgame entre le dossier du Wakashio et celui des Chagos : «The Mauritian government’s very slow response to Wakashio running aground off their coast, spilling fuel and causing an ecological disaster, does not bode well for their sovereignty claim they could protect the Chagos islands’ pristine waters if in control.»

Smith n’a pas tort dans les faits, mais nous rappelle, dans la forme, le langage du colonisateur – on ne peut pas vous accorder l’indépendance, parce que vous ne pourriez pas assurer votre propre sécurité. Cet argument prend à contre-pied les discours de coopération régionale en général. Cependant, en maintenant que nous avons bien fait notre travail dès le début, ou que c’est le bon Dieu qui est responsable du mauvais temps, nous donnons le fouet à Smith, Lecornu et consorts… Et dire, par ailleurs, que nous devons convaincre ces mêmes pays du Nord que nous n’avons pas notre place sur la liste noire des paradis fiscaux !