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On ne marche plus seul

29 août 2020, 07:11

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Je marcherai, aujourd’hui, en compagnie de mes compatriotes dans les rues de Port-Louis, un p’tit drapeau de Maurice en main. L’heure me semble trop grave pour rester assis derrière un clavier, à demeurer simple spectateur, alors que mon pays s’enlise dans une médiocrité criarde, engendrée par un régime aux dérives manifestement totalitaires.

Il est temps pour nous de reprendre nos pleins droits de citoyens – acteurs de premier plan dans toute démocratie qui se respecte – et envoyer un signal fort à ceux qui ont oublié qu’ils travaillent pour nous. Aujourd’hui, plus que jamais, j’ai l’impression de ne plus crier dans un désert, que je serai au milieu d’une foule de toutes les couleurs, réunies sous le quadricolore, dans le même état d’esprit. Asé fané, do! 

Je serai à la marche pacifique, avant tout comme citoyen, mais aussi comme journaliste, pour vivre et témoigner de ce vaste élan patriotique couplé au ras-le-bol quasi généralisé qui agite notre pays bien-aimé depuis que notre pittoresque côte sud-est a été souillée (non pas par le MV Wakashio) à cause de l’immobilisme, l’incompétence, et l’irresponsabilité de ce gouvernement. Un gouvernement coupable, aux yeux de l’opinion publique locale et internationale, de négligence criminelle, qu’une Court of Investigation ne pourra pas forcément étayer, tant on patauge dans l’opacité totale ici… 

La marche d’aujourd’hui a certes été initiée par le citoyen Bruneau Laurette, à qui il faut sans doute rendre hommage pour son courage, mais elle dépasse de loin sa personne, son combat, son audace. Beaucoup d’entre nous ont déjà trouvé au moins un motif d’indignation pour se joindre à la marche. Le génial Stephane Hessel nous rappelle que quand quelque chose nous indigne, comme lui a été indigné par le nazisme, on (re)devient militant, fort et engagé. Bref, on redevient citoyen. 

À Maurice, nous n’avons pas une véritable tradition de marches ou revendications citoyennes. C’est un peu normal car on ne s’est pas vraiment battu pour notre indépendance – qu’on a eue de la Grande-Bretagne sur un plateau d’argent, avec un archipel en moins il est vrai. On ne s’est pas vraiment investi contre la décolonisation; d’ailleurs près de la moitié du pays avait voté pour une association soutenue avec les Britanniques; heureusement qu’ils n’ont pas arraché la majorité. Sinon nos fringants sexagénaires racontent toujours, avec des éclairs dans les yeux, Mai 1975, ou quelques manifestations au temps jadis du MMM naissant, pour réclamer la fin de l’apartheid, la chute du mur de Berlin, ou protester contre la militarisation de l’océan Indien. Pas de briani, rum ou whisky duty-free nécessaires pour faire bouger les masses. 

*** 

Alors pourquoi en 2020 on marche ? 

Chacun ayant ses convictions, il serait prétentieux de dresser une hiérarchie des motifs d’indignation. Comme citoyen, les miens sont davantage d’ordre systémique que personnel. Il est temps d’en finir avec les dynasties politiques qui nous dirigent en élaborant une 2e République basée sur l’égalité des chances de tout un chacun, indisctinctement, une réforme électorale qui neutraliserait les effets pervers de l’ethnicité sur la politique. Pravind Jugnauth, qui n’est pas le seul «fils de», illustre aujourd’hui tous les travers de ce système patrimonial, qui exige que tout le monde se plie ou s’agenouille devant le seigneur. Celui-ci est aussi entouré d’une équipe d’accapareurs, qui abusent clairement de notre argent de contribuables, et qui protègent les intérêts de leur seigneur, et les leurs accessoirement. 

Outre le jeu politique dépassé et le système électoral inique, il est aussi temps de revoir le système économique actuel qui produit des écarts de richesses grandissants et qui détruit notre patrimoine naturel à un point de non-retour. L’intérêt général doit recommencer à primer sur l’intérêt particulier.

*** 

Cela finira par devenir une évidence. Nous sommes une majorité – bien plus nombreux et forts que les 37 % du MSM, ou les 42 élus du gouvernement – à réaliser que nous faisons face à de sérieux risques (les dynasties vont refuser d’abandonner le pouvoir politique et les partis traditionnels, menaces tous azimuts d’ordre économique, écologique, social, culturel, violence organisée, etc.). C’est normal puisque le système va résister tout changement. Depuis pratiquement un demi-siècle, nous vivons otages d’une politique plus ou moins dévergondée, incapables de résoudre tous ces crimes commis constamment contre l’intérêt national. 

Mais il ne faut pas que l’on se décourage. La marche d’aujourd’hui cristallise à elle seule plusieurs maux qui ne disent pas leurs noms. Une métamorphose humaine prend naissance dans la rue aujourd’hui. Parce qu’il y a de plus en plus de citoyens, comme vous et moi, qui ne veulent plus de cette élite gourmande, de cette attitude égoïste et corruptrice, de ces tentatives de brider notre liberté d’expression. 

Deux mots-clés pour terminer : courage et patience. Car ces choses qui paraissent insurmontables ont été, ailleurs, surmontées. Il ne faut pas laisser tomber ! On finira par triompher.