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Plutôt prevenir que guérir

29 août 2020, 07:33

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Vivre de manière civilisée implique le respect de l’État de droit. C’est un impératif. Mais qu’est-ce que l’on est supposé faire quand les lois qui se votent sont de temps en temps franchement scélérates, comme le Prosecution Commission Bill ou la clause 46 de l’ICT Act 2018, et/ou si l’arsenal de lois qui existent ne s’applique pas à tous de la même manière ou si des lois promises – comme la Freedom of Information Act – sont défalquées une fois que l’on est bien assis dans les privilèges du pouvoir parce que cela devient plutôt inconfortable de diriger dans la transparence ? * 

J’entendais cette semaine un débat à la radio ou certains constataient les difficultés ou les insuffisances de la démocratie. On peut évidemment évoquer la nécessité d’une loi de responsabilité fiscale – mais voyez avec quelle facilité et avec quelle désinvolture le debt ceiling ratio de 60 % du PIB a été décalé, puis modifié, bien avant d’être finalement enterré, à l’occasion de l’urgence du Covid-19, sans même une suggestion de retour vers la discipline dans le futur ! On peut évoquer la nécessité de référendums à l’initiative des citoyens pour décider de questions nationales d’importance, mais les politiciens, vous pouvez en être sûrs, préféreront toujours garder LEUR liberté à eux, de décider ce qu’ils veulent, quand ils le souhaiteront ! Pensez à la pirouette sur le métro et ce que cela va nous coûter finalement au Budget national, chaque année. Pensez au fol gaspillage du projet Safe City, au vu du nombre de cas d’activités criminelles identifiées (101) et au nombre de criminels sanctionnés (11) en un an. Un gouvernement qui remplace la NPF par la CSG et qui le fait, sans aucun ancrage chiffré qui explique comment c’est fiable, est-ce que c’est acceptable ? 

Une certitude est que la démocratie est imparfaite et qu’elle doit constamment être soignée et rabibochée pour devenir plus forte et plus fonctionnelle, mais avant de la remettre en question faisons-lui au moins le crédit de sa pierre angulaire vitale qui est l’opinion publique libre qui, si elle s’exprime avec assez de force, est bien capable de rappeler à nos «décideurs» qu’ils doivent travailler, eux, pour nous plutôt que nous pour eux et que contrairement au mythe qu’ils s’évertuent à créer depuis des décades ; ils ne sont pas omnipotents et qu’ils peuvent fauter, comme nous tous ! 

Sauf que leurs fautes prêtent beaucoup plus à des conséquences fâcheuses. Pas pour eux-mêmes, sauf cas extrêmes, mais pour les autres. Pour nous. 

La manifestation de ce matin, samedi 29 août, est inévitablement politique, dans le sens «affaires publiques», mais elle sera avant tout citoyenne. Elle exprimera, bien au-delà du seul Mr Laurette, une foultitude d’anxiétés, de demandes, d’insatisfactions d’une population fortement secouée par une cascade d’événements qui inspirent l’inquiétude, mais plus grave encore, un manque de confiance grandissant en ses dirigeants. Qui vont être rappelés à leurs devoirs premiers. 

Parmi les traits principaux de cette inquiétude et de ce manque de confiance, on trouve évidemment les conséquences économiques désastreuses du coronavirus sur les finances tant corporatives qu’individuelles ; l’épisode de la fermeture différenciée de l’aéroport qui a, comme par hasard, favorisé la famille du PM, mais bloque toujours, presque six mois après celle-ci, plus de 5 000 Mauriciens à l’étranger ; notre faillite à prévenir puis à gérer le naufrage du Wakashio ; notre inclusion plutôt honteuse sur la «liste noire» de l’Union européenne , St-Louis Gate, les pétitions électorales qui ne sont toujours pas écoutées en cour, malgré les computer rooms bizarroïdes et les bulletins de vote en vadrouille ; les squatteurs devenus des sans-abri de force ; les revendications légitimes pour un toit ; un Parlement qui fout désespérément le camp ; les épisodes à répétition de népotisme et de favoritisme (Boygah, Hurdoyal, l’achats de masques «en urgence», etc.) ; les arrestations intempestives d’internautes ou de certains manifestants plutôt que d’autres ; les examens bêtement renvoyés... ça fait déjà vraiment beaucoup ! 

Greffez tout cela sur la toile de fond d’un pouvoir souvent distant dans ses berlines noires, arrogant et suffisant, qui s’accapare du maximum, qui veut contrôler toutes les institutions du pays, y compris celles qui devraient, crucialement, être et rester indépendantes, qui utilise la télévision nationale comme sa vitrine de propagande partisane, qui veut aussi mettre au pas ou boycotter les autres médias, et vous avez les prémisses d’une décoction potentiellement explosive. 

Elle va exploser pacifiquement, ce samedi, cette décoction, malgré les tentatives de récupération ou d’ethnicisation. Les citoyens vont s’exprimer avec d’autant plus de force qu’ils ne trouvent pas toujours suffisamment d’espoir dans une opposition traditionnelle, qui ne lui propose plus l’élan du neuf. Les citoyens vont s’exprimer avec d’autant plus de vigueur qu’un gouvernement déjà minoritaire au vote populaire en décembre dernier n’a sûrement pas renforcé ses 37 % depuis… 

Qu’il y ait 10 000 ou 100 000 citoyens dans les rues de Port-Louis aujourd’hui, là ne sera pas la question essentielle. La portée manifeste de cette marche c’est que des citoyens trop longtemps endormis par les grandes promesses de la représentation parlementaire ont enfin décidé de se faire voir et de se faire entendre entre deux élections, en direct. C’est salutaire ! Car une démocratie où les citoyens sont blasés, où ils se lavent les mains, où ils rasent les murs et s’écrasent de peur ou par intérêt est une démocratie malade, factice, éviscérée. Or une démocratie à court de démocrates est une invitation aux dérives totalitaires ! C’est clair ? 

Merci donc à tous ceux qui se feront un devoir d’être à la démonstration pacifique du jour. Bien au-delà des «front liners» qui ont permis récemment, avec une population disciplinée en appui, de contrer le coronavirus ; bien au-delà des volontaires qui se sont décarcassés pour décrasser notre lagon à Mahébourg ; bien au-delà des innombrables gestes de solidarité, d’empathie et de partage qui, heureusement, jalonnent la vie de ce pays que nous aimons et adoucissent nos ordinaires souvent médiocres ; ils aideront à réinstaller la clef de voute d’une démocratie vraiment vivante : le citoyen engagé à l’intérieur d’une opinion publique forte et volontaire. 

***** 

Il n’y a pas qu’à Maurice que l’on se sent anxieux et sous pression et que le citoyen se sent le devoir de se faire entendre. Aux États-Unis, il réagit à une nouvelle bavure policière. À Hong Kong, les citoyens se mobilisent et se battent, prenant des risques, pour sauvegarder leurs libertés. Il y a quelque temps, en Algérie, la population criait son désarroi d’être menée par une clique entourant un mort-vivant. En Biélorussie, c’est face à un dictateur primaire, soutenu par Poutine, que les électeurs spoliés tentent de faire face. Personne n’oubliera Dubcek, Walesa, Mandela et les mouvements populaires qui les ont rendus possibles. Il faut aussi se souvenir des citoyens qui firent fuir El Béchir au Soudan ou Ben Ali en Tunisie. 

Notre pays n’en est pas encore à ces extrêmes, fort heureusement, mais aura, espère-t-on tous, la sagesse de prévenir plutôt que d’avoir à guérir.

*La Freedom Of Information Act, qui existe dans plus de 75 pays, dont le Pakistan et l’Inde, est une promesse du MSM en 2014 et du Parti travailliste avant lui. Une fois ces partis au pouvoir, les deux promesses furent oubliées.