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L’opacité a un prix
Dans son message félicitant Joe Biden qui vient de gagner les présidentielles américaines, notre Premier ministre se félicite lui aussi, en passant, de ses valeurs communes avec les États-Unis. Quelles sont-elles ? : «…la démocratie, le respect des droits humains, de la bonne gouvernance et de l’État de droit.» Si les mots ont un sens, ce message parle évidemment plus à Biden qu’à Trump. Mais la question doit être posée : Pravind Jugnauth aurait-il écrit la même chose et sélectionné les mêmes mots si Trump avait été élu pour un deuxième mandat ou si, par extraordinaire, ce dernier arrivait à manoeuvrer pour se faire déclarer vainqueur ex post facto ? Dans ce cas, les mêmes mots peuvent-ils vraiment avoir un sens différent selon les interlocuteurs et les circonstances ? Ou est-ce que la lettre de félicitation à Trump aurait plutôt parlé de «nos valeurs communes de la démocratie qui doit surtout nous faire gagner aux élections, du respect des droits de certains humains plus que d’autres, de nos gouvernances personnelles, de l’État de droit tant qu’elles s’alignent» ?
Si la démocratie a un sens, c’est entre autres parce que le pouvoir politique «représentatif» prend des décisions au nom du peuple et qu’il doit donc des comptes au peuple souverain. Dans une autocratie, l’autocrate choisit ce qui doit être partagé avec la population et cache tout le reste pour les raisons qui lui conviennent. Dans une démocratie, le contrat de confiance entre un gouvernement et son peuple demande que le leadership politique assume la responsabilité de ses actes et qu’il le fasse en toute transparence. L’opacité, les manoeuvres pour renvoyer à «plus tard», les clauses de confidentialité, les messes basses pour initiés seulement donnent peut-être un sentiment d’immunité ou de pouvoir particulier, selon la circonstance, mais le résultat est le même : face à l’incertitude, on engendre le doute ; face au refus de transparence, on ensemence la spéculation, parfois dévastatrice pour la confiance. Or, comment mobiliser un peuple, autrement qu’au moyen de cette confiance ? On peut, à la limite, le tenir en laisse, mais sans confiance on ne peut plus l’inspirer, le galvaniser, le faire décoller avec son pays…
Il y a de multiples façons de miner son capital confiance. Ne pas répondre aux PQs par exemple. À début septembre, notre Parlement en alignait 195 ! En refusant une PNQ embarrassante et en la réécrivant pour l’éviscérer de son contenu principal de blanchiment d’argent. Pour sûr ! Boycotter et punir systématiquement tous ceux qui, de bonne foi, n’ont pas la même opinion que celle des princes. Évidemment ! Signer des accords à tour de bras qui sont, invariablement, lardés de clauses de confidentialité. L’accord signé avec l’Inde sur Agalega, par exemple, ne gênait pas Mme Sushma Swaraj, ministre des Affaires étrangères de son pays, mais nous gênait, nous ? Vraiment ? Les contrats d’approvisionnement de riz ou de pétrole sont secrets aussi. Pourquoi ?
Autres exemples : les manoeuvres judiciaires qui retardent de manière indécente l’étude, par la cour, des pétitions électorales PLUS D’UNE ANNÉE APRÈS LE VOTE. Ne pas publier le rapport intérimaire sur le Wakashio, malgré toute l’émotion suscitée. Utiliser l’ICAC comme bouclier, même après neuf ans d’enquête. Ne pas publier les comptes des corps paraétatiques dans les délais légaux prescrits, ni ne publier les mesures prises pour «rectifier le tir» là où nécessaire. Ne pas partager avec la population les mesures correctives et les sanctions prises annuellement dans le sillage de la publication du rapport de l’Audit. Ne pas expliquer, en détail, comment la CSG va pouvoir équilibrer ses comptes ou le Metro Express balancer les siens. Ne jamais même tenter d’expliquer comment les Rs 16 milliards dépensées avec Huawei pour installer Safe City pouvaient se justifier. Ne pas actualiser, en détail, un compte de (profits et) pertes pour la liquidation de la BAI – avec un bilan provisoire de dettes restantes et de valorisation d’actifs, d’autant que la NIC serait en attente d’une injection de Rs 5,7 milliards. Ne pas même oser présenter un compte de (profits et) pertes pour le complexe sportif de Côte-d’Or, avant de tenter de le sortir de l’ornière en y greffant un DataTechnology Park au coût additionnel… encore inconnu.
Il est vrai qu’à l’occasion quand il y a un effort de transparence, ça peut être diablement embarrassant. Comme quand il est révélé que 399 des 544 caméras installées à la prison de Melrose ne marchaient plus. Ou que trois des huit radars surveillant la mer autour de nos côtes étaient en panne aussi lors du grand soir du Wakashio. Comme l’était le plus gros remorqueur de la Ports Authority à ce moment-là. Au Parlement, le ministre Lesjongard ne révélait-il pas, un tantinet embarrassé, que presque cinq ans après la promesse de l’eau, pour tous, 24/7, nous en étions encore, exactement comme avant, à ne générer AUCUN revenu pour 60 % de l’eau récoltée, traitée, distribuée ? Le ministre Maudhoo ne fut pas moins embarrassé par le taux d’arsenic dans les poissons du lagon de Mahébourg au point où il décida en faveur du mutisme depuis. Le ministre Jagutpal n’en a pas mené large, à raison, quand il a révélé les détails des contrats «passés d’urgence» lors du confinement et il n’était pas plus confortable ce mardi quand il révélait que les 50 respirateurs commandés, on ne sait toujours pas pourquoi, à Pack & Blister, en Espagne, ne sont toujours pas opérationnels, huit mois après la commande, que les pièces de rechange ne sont pas disponibles, que les techniciens qui peuvent les mettre en route ne viennent toujours pas (ne souhaitant pas passer 14 jours en quarantaine ?), que les manuels d’instruction sont probablement écrits en turc…
Mais, au moins dans ces cas-là, on respecte le «temple» de la démocratie, on assume ses responsabilités et l’on explique au peuple, en transparence, ce qui se passe ! Ce jeudi, quand il a fallu annoncer le 1er cas de Covid-19 indigène depuis le 26 avril, ce fut clair, ce fut direct, ce fut bien ! C’est d’ailleurs le minimum syndical pour établir cette confiance vitale sans laquelle aucun gouvernement ne peut, dans son for intérieur, se sentir légitime, et, dans les faits, imposer ses décisions sans risquer un retour violent de la manivelle !
Dans le cas d’Angus Road, le Premier ministre demande encore un peu de temps pour donner toutes les explications qui conviennent. On attendra donc encore un peu. Encore qu’en neuf ans, l’ICAC aurait pu l’avoir déjà interrogé et avoir décidé de l’affaire et qu’il aurait pu avoir, en transparence, déjà rassemblé ses documents depuis les mois maintenant que son ex-collègue ministre Roshi Bhadain le tance sur le sujet. Car plus ça traîne, plus il mine ses arrières. Si ses conseillers ne lui disent plus cela, c’est qu’ils sont devenus des flagorneurs de premier grade et qu’ils ont donc dépassé leur date de péremption d’utilité publique.
Par ailleurs, si toute personne a le droit d’être présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit démontrée coupable, cette règle ne semble pas s’appliquer à tous pareillement. Collendavelloo, par exemple, fut révoqué sur la base d’un rapport jamais publié, qui aurait inclus son nom. Personne n’aura cependant vu de preuves comparables à celles qui collent à Angus Road depuis des semaines… sauf, peutêtre, celui qui habite à Angus Road.
La sortie de la liste grise, de la liste noire, des listes glauques, c’est pour bientôt, alors ?
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