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Touristes mauriciens
Hier, quelques fois refoulés par des vigiles aux portails des hôtels, les Mauriciens sont devenus, aujourd’hui, avec le Covid-19, désirables – faute de touristes internationaux. En cette période de fête, plusieurs hôteliers se battent entre eux pour attirer la clientèle locale, déployant des offres promotionnelles inédites. Certains vont même jusqu’à organiser des concerts d’artistes locaux pour sauver les meubles et les emplois.
La situation est gravissime. Les derniers chiffres publiés par Statistics Mauritius révèlent une chute de 75 % du nombre de touristes internationaux entre 2019 et 2020.Entre janvier et novembre 2019, il y a eu 1 231 390 arrivées touristiques alors qu’en 2020, pour la même période, le pays n’a accueilli que 307 938 touristes, soit une baisse de 923 452 arrivées. Pour un pays comme Maurice qui puise environ un quart de ses revenus du tourisme, cela est catastrophique ou presque. D’autant que «le pire est à venir», comme insiste le CEO du groupe hôtelier Sun, François Eynaud, qui est de ceux qui redoutent «de nombreuses faillites et d’entreprises sous administration dans les prochains mois si l’on n’arrive pas à gérer 75 % des coûts jusqu’à la réouverture des frontières»…
Et dire que ce gouvernement a déjà injecté… Rs 180 milliards (annoncées par Renganaden Padayachy) depuis le début de la crise sanitaire. Selon ce dernier, qui est un habitué de la Banque centrale et de ses réserves, le décompte est le suivant : Rs 104 milliards en soutien pour les secteurs manufacturier, agro-alimentaire et touristique ; Rs 40 milliards pour la construction ; et Rs 30 milliards pour la santé et l’éducation. Sans préciser, toutefois, comment la baisse continue des réserves fausse, en même temps, la donne économique (doublement de l’inflation ?), et complique la situation de la roupie (qui a perdu plus de 10 % de sa valeur face aux principales devises), surtout si l'on persiste à vivre comme avant.
Comme notre économie est intégrée dans le système mondial, nous ne pouvons pas nous permettre de rester insulaires dans nos calculs et stratégies – notre présence sur les listes grise et noire des instances internationales prouve que nos faits et gestes sont de plus en plus surveillés par la communauté internationale. Et sur le plan macro-économique en termes de stratégie de relance et de réorientation, nous restons sur notre faim. On ne sent rien qui pourrait donner un coup de fouet pour faire émerger une économie post-lockdown innovante et en rupture avec les ruines, sur lesquelles on ne devrait pas tout miser. Les milliards de roupies accordées par la Banque centrale vont nous coûter cher – non seulement en inflation ou en dépréciation de la roupie. Relisons le manuel du FMI qui est explicite par rapport aux transferts et «grants» des institutions publiques au gouvernement central : «Grants are transfers receivable by government units from other resident or nonresident government units or international organizations, and that do not meet the definition of a tax, subsidy or social contribution. When statistics are compiled for the general government sector, grants from other domestic government units would be eliminated in consolidation so that only grants from foreign governments and international organizations would remain in the general government accounts. Grants may be classified as capital or current and can be receivable in cash or in kind.»
ll faut voir au-delà de cette crise et investir dans le changement aussi. Tout l’argent ne peut pas aller dans le sérum ou les calmants.
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Seule destination où l’on peut se rendre en avion sans subir une quarantaine hors de prix, Rodrigues devient, pour sa part, incontournable pour tous ceux qui ont envie de respirer le grand air, sans porter de masque. Les vols vers cette authentique destination Covid-free iront donc en s’augmentant à l’approche de cette fin d’année pas tout à fait comme les autres – au grand bonheur des entrepreneurs et hôteliers rodriguais. Si la crise sanitaire fait craindre le pire aux hôteliers mauriciens, les entrepreneurs de Rodrigues, qui dépendent majoritairement de la clientèle mauricienne, sont contents : la récolte de roupies cette année sera bien meilleure que les années précédentes.
Il est donc important de saisir la portée du discours de Serge Clair afin de cerner la spécificité de la culture de nos frères et sœurs rodriguais. Le modèle de développement économique de Rodrigues devrait faire réfléchir l’Economic Development Board (EDB). Alors que Renganaden Padayachy se gargarisait des formules de relance économique, lors de sa récente visite à Rodrigues, Serge Clair, qui suit les actualités mauriciennes de près, lui, a bien fait comprendre qu’il est hors de question que Rodrigues emboîte le pas à Maurice en termes de développement économique. «Rodrigues ne va prendre ni leçons ni directives. Au contraire, nous pouvons vous partager nos expériences…», a asséné le chef commissaire de Rodrigues lors de l’inauguration d’une antenne de l’EDB à Malabar.
En ce décembre 2020, malgré la découverte de plus d’un vaccin, les voyageurs restent plongés dans l’incertitude. À lire la dernière édition du Baromètre de l’Office mondial du tourisme, le (re)confinement a provoqué une chute de 98 % du nombre de touristes internationaux en mai 2020 par rapport à mai 2019. Le Baromètre montre également une baisse de 56 %, d’une année sur l’autre, des arrivées de touristes durant la période allant de janvier à mai; ce qui représente une chute de 300 millions de touristes et 320 milliards d’USD de pertes en termes de recettes du tourisme international.
La vérité : personne ne sait à ce stade quand et où les gens pourront voyager à nouveau, et s’ils vont se sentir à l’aise de le faire tout de suite après le traumatisme du Covid-19. Revenir à la période pre-Covid-19 ne sera pas évident. Il sera difficile d’attirer les touristes et de protéger les locaux. Va-t-on donner la priorité à la santé publique ou protéger l’emploi et favoriser la reprise ? Quelles sont les bonnes pratiques à préconiser, en termes d’investissement publicitaire ? Les experts mondiaux du tourisme demeurent pessimistes et n’entrevoient pas encore la lumière au bout du tunnel. Ils mettent surtout en avant les contraintes telles que les restrictions sur les voyages et les fermetures de frontières, la recrudescence du virus ainsi que le risque de nouveaux confinements ou de couvre-feux comme en Europe, continent qui demeure notre principal marché émetteur. Vient s’ajouter à la liste d’incertitudes la dégradation de la donne économique comme facteur qui pourrait plomber la confiance des voyageurs.
Dans cette situation historiquement difficile, le petit propriétaire d’un gîte rodriguais, qui arrive à capter l’eau de la pluie, dort paisiblement alors que les gros groupes, pesant des milliards et employant des milliers, qui font des road shows avec l’EDB, ressentent surtout la peur du vide, au bord du gouffre. Encore heureux qu’il y ait quelques touristes mauriciens… Qui auront besoin d’autres produits et recettes, si jamais les internationaux boudent les longs vols.
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