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Rapport annuel et virus de l’interdiction

23 décembre 2020, 07:17

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Le rapport annuel de la Banque centrale au 30 juin 2020 affiche des couleurs très tendance en cette année difficile. Le résultat est certainement une réussite sur le plan esthétique et tranche d’avec les modèles précédents plutôt mornes, peu aérés, très peu illustrés. La formule précédente semblait s’enorgueillir de rébarbatif et de grisaille. La nouvelle formule est plus gaillarde, rejoignant en cela les tendances modernes qui, devant la déferlante d’informations devant être statutairement communiquées au public, facilitent la digestion du ‘trop’ d’informations avec une présentation plus stimulante.

Sur ce plan, le rapport couvrant l’année financière 2019/20 est une vraie réussite, car elle incitera à la lecture. Or, à quoi d’autre pourrait bien servir, en effet, un rapport annuel si ses lecteurs potentiels sont démobilisés par la seule forme ?

Quant au contenu, s’il n’est évidemment pas révolutionnairement différent, on apprendra quand même que les nouveaux membres du Monetary Policy Committee sont payés deux fois moins que les anciens (ainsi, le nouveau Gouverneur touche Rs 200 000 pour deux réunions du MPC, alors que son prédécesseur touchait le double pour deux sessions aussi). On comprendra que si tous les Mauriciens travaillant à l’étranger rapatrient environ Rs 2,7 milliards en 2019/20, les travailleurs indiens de chez nous (Métro ? Agaléga ?) rapatrient à eux seuls Rs 2,9 milliards, suivis de près par les Bangladais avec Rs 2,4 milliards et de loin par les Français avec Rs 307 millions. 

On confirmera aussi que le «second miracle économique» n’a définitivement pas eu lieu (le PIB progressant de seulement 3,2 % en 2019 , contre 3,6 % en 2018 et plus de 5 % en 2006/2007/2008 et que si les emprunts du secteur corporatif progressent, year-on-year (y-o-y), d’une position négative à +3% pour chaque mois à partir de décembre 2019; que c’est exactement l’inverse pour le crédit individuel, aussitôt la pandémie déclarée en février 2020, la progression y-o-y s’effritant alors de +11 % à seulement +5 % en juin 2020. Ces deux courbes indiquent probablement, pour le corporatif, les emprunts rendus nécessaires pour pallier les difficultés de cash-flow et, pour les individus, une baisse ou un renvoi de dépenses de consommation. Volontaire ou forcée, peu importe.

Sur le plan de la comptabilité de la nation, point de surprise. Si le déficit de la balance commerciale baisse d’environ Rs 6 milliards en 2019/20 (elle s’affiche pourtant toujours à plus de Rs 100 milliards de déficit - soit 22,2 % du PIB !), la balance des comptes courants, quant à elle, se détériore sérieusement en l’absence d’une bonne partie des recettes du tourisme, passant de -Rs 21,5 milliards en 2018/19 à presque le double, soit -Rs 39,6 milliards en 2019/20 !

Le tableau 2.1, (page 51), qui tente de résumer les items clés de la balance des paiements, a le mérite d’illustrer à quel point nous sommes aujourd’hui dépendant de l’offshore pour les comptes financiers, les quatre items les constituant (Direct investment (+), Portfolio investment (-), Financial derivatives (+), Other investments (+)) dépendant tous pour au moins 88 % des flux financiers émanant des opérations de l’offshore ! La balance des paiements est devenue déficitaire en 2019/20, mais aucun chiffre n’est proposé. Le dernier MCB Focus indique, de son côté, moins 5,6 % pour 2020 et moins 1,8 % pour 2021, ces estimations datant d’octobre.

Si ‘nos’ réserves internationales de devises progressent malgré cela de Rs 253,4 milliards à fin juin 2019 à Rs 289,5 milliards à fin juin 2020 (+ 14,2 %), c’est évidemment le résultat des gains de change qu’engrange le bilan de la BoM dans le sillage de la dévaluation de la roupie. Autant est d’ailleurs confirmé quand les réserves de devises sont exprimées en dollars, le progrès en une année étant alors réduit à… 0,5 %, alors même que nous avons, par prudence, aussi emprunté Rs 11,7 milliards en devises ‘fortes’ en pleine crise de Covid-19. Conséquence globale ? Avec la baisse de nos importations, et comme expliqué il y a deux semaines (voir Silver Linings, Small Mercies), le nombre de mois d’importations que nous couvrons à partir de nos réserves internationales passe de 11,5 mois à… 13,2 mois entre juin 2019 et juin 2020. Bien !

Si l’on peut chipoter sur le manque d’élégance à utiliser les photos du musée de la BoM sans aucune référence à la MCB qui aura pourtant aidé à composer et enrichir ses collections, ou sur l’effort délibéré du Gouverneur qui, dans ses remarques, s’évertue à ne pas utiliser ni les mots «liste grise» de la FATF, ni celle «noire» de l’UE, tout en n’escamotant pas notre inclusion sur ces listes, le premier bilan de Harvesh Seegolam est dynamique et innovant, même si au 30 juin 2020, ni les Rs 80 milliards de la MIC, ni les Rs 60 milliards de financement du Budget ne sont encore affichées dans son bilan.

Les vrais défis vont cependant s’enclencher à partir de là. Par exemple avec le budget national qui dérape en promettant «whatever it takes», qui prolonge le WAS jusqu’en juin 2021, qui veut bâillonner le NPF (qui n’investira donc plus ses fonds localement), qui souhaite faire de la CSG un apport au Budget jusqu’en 2023, quitte à ce qu’elle soit déficitaire deux ans après qu’elle a commencé à payer Rs 4 500 aux pensionnaires de 65 ans +. 

Un budget dont les projets «productifs», dans la pharmaceutique, le biomédical, la Data economy, l’industrie océanique, le National Agri-Food Development Programme et les Rs 62 milliards de «projets» à l’EDB ne se sont pas encore, même partiellement, matérialisés, à notre connaissance ; un budget qui est déjà en mode ESE…

De plus, nous sommes maintenant entrés dans une logique d’interdictions dont les conséquences ne sont pas encore totalement claires, mais qui ne seront sûrement pas toutes positives : interdiction aux banques de payer des dividendes, interdiction d’entrer dans le pays sans une quarantaine de 14 jours (exceptions diplomatiques permises, prolongation additionnelle jusqu’au 15 février *), interdiction aux bénéficiaires de la MIC (et à leurs holdings ?) de payer des dividendes, interdiction d’arroser son jardin avec l’eau de la CWA (alors que le ‘lobby’ des laveurs de voitures a pu se faire entendre !), interdiction de toucher aux loyers sous le Landlord’s and Tenants Act (le moratoire, déjà étendu jusqu’en décembre 2020 vient d’être prolongé d’une année encore), interdiction de licencier pour toutes les compagnies qui ont bénéficié du WAS (l’échéance de décembre 2020 étant prolongé de six mois encore), interdiction de publier ou de diffuser des nouvelles embarrassantes, au risque de procès en diffamation, de boycotts publicitaires, de boycott d’invitation à des conférences de presse publiques ou à des permis ministériels refusés, voire à une suspension temporaire de licence radio…

Sur les barricades de Mai-1968, un des slogans accrocheurs qui illustrait le pourquoi de l’éruption sociale d’alors se lisait comme suit : «Il est interdit d’interdire !». À force d’interdire (et de déraper), ne court-on pas, ici, le risque d’une éruption économiquement fatale, due au manque de confiance ainsi engendré ?

Monsieur le ministre des Finances choisissait pourtant, en juillet, la citation suivante pour introduire son discours du Budget : «La confiance est une institution invisible qui régit le développement économique». Il avait alors entièrement raison. Qu’est-ce qui aura changé depuis qui pourrait lui donner, aujourd’hui, tort ?

Mon sentiment grandissant est celui d’une nation qui insiste, comme l’écrivait je ne sais plus qui, à verser du thé chaud... dans une théière faite de chocolat !


*Le gouvernement n’ayant pas le don de la prescience, n’aurait pas pu prédire que tant de pays desquels nous dépendons pour les touristes, investisseurs et autres auraient pu, à ce point, gâcher leurs plans anti-Covid-19. Dans ce sens, avoir gardé les frontières fermées, alors que ça dérape dur à l’étranger, produit un dividende local inattendu plutôt que programmé. Un dividende très appréciable néanmoins, nonobstant nos 10 morts, les achats en urgence plus que douteux et la fermeture des frontières en deux temps. Heureusement que les vaccins sont enfin arrivés… même si c’est pas encore chez nous ! 

 

L'édito paru cette semaine dans Business Magazine