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Vaccins géostratégiques
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Vaccins géostratégiques
Il y a d’abord eu, à Plaisance, la diplomatie du masque. Que Maurice découvre, en mai 2020, grâce à la Fondation Jack Ma, milliardaire chinois (qui avait depuis disparu de la circulation).
Grâce au fondateur du site e-commerce Alibaba, un avion-cargo d’Ethiopian Airlines nous a apporté un don d’équipements de protection (masques et combinaisons anti-Covid-19) ainsi que des kit-tests. La coordination est assurée par le Centre de l’Union africaine pour le contrôle et la prévention des maladies, basé à Addis-Abeba. Les Chinois se montrent relativement discrets par rapport à leur générosité panafricaine, car, chuchotait-on alors dans les coulisses diplomatiques, ils ne veulent pas, au plus fort de la pandémie, trop en faire par rapport au nouveau coronavirus, pointé alors du doigt (non seulement par Donald Trump) comme étant exclusivement «Made in Wuhan-China»…
Globalisation oblige, le virus voyage aux quatre coins du globe, à la vitesse des jets. Du coup, toutes les puissances du monde et les laboratoires hi-tech se lancent dans la course aux vaccins anti-Covid, comme jadis c’était la course à la conquête de l’espace ou celle à l’énergie nucléaire. Ainsi tourne le monde depuis la nuit des temps : chacun veut prendre l’autre de vitesse, être le premier, devancer, conquérir, comme aux Jeux olympiques. Au diable ceux qui pensent bêtement que l’essentiel c’est seulement de participer.
C’est donc dans cet ordre des choses que l’express reçoit, le 26 novembre 2020, un courriel de Son Excellence Konstantin Klimovskiy, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the Russian Federation to the Republic of Mauritius. Dans un langage franc et direct, propre aux Russes, il nous lance ceci : «Dear Mr Sivaramen, we are deeply surprised by the fact that l’express draws so much public attention to two Western Covid-19 vaccines and does not give any significant information concerning Sputnik V, produced by the Gamaleya Center for Epidemiology and Microbiology in Moscow which is no less effective and even surpasses Western samples in a number of indicators…»
Il devient clair alors que les vaccins sont perçus par ceux qui les développent comme de nouveaux outils de rayonnement diplomatique. Les Russes sont parmi les premiers sur le départ. Dès août 2020, Vladimir Poutine a vanté le Spoutnik V – surnommé ainsi en hommage au premier satellite soviétique envoyé dans l’espace, alors «V» symbolise la victoire – comme étant, ni plus ni moins, comme le «meilleur vaccin au monde».
Mais au fil des mois, force est de constater que le vaccin des Russes, malgré son prix compétitif de 10 dollars la dose (il en faut deux pour être protégé, comme pour ses concurrents occidentaux),– et aussi le fait que le vaccin n’a besoin d’aucune condition spéciale de transport, comme des températures à - 50 °C ou - 70 °C –, n’a pas été le plus populaire du monde. La prestigieuse revue scientifique The Lancet a sans doute freiné l’ascension de Spoutnik V en jetant le doute «sur la transparence et la bonne foi de la Russie» sur le vaccin. Mais d’autres pays n’ont pas fait la fine bouche, comme la Biélorussie, qui aura été le premier pays à tester le vaccin russe, suivie par l’Argentine, le Venezuela, la Bolivie, l’Algérie, la Guinée, la Serbie, la Palestine…
Alors que la Russie gère ses relations publiques, les autres puissances – US, Europe, Chine et Inde principalement – se donnent à fond. Dans la région Afrique, la course est principalement entre l’Inde et la Chine, avec New Delhi – avec le concours des Britanniques d’Oxford University/AstraZeneca (consortium britannico-suédois) – qui prend une belle avance sur Pékin, dont le vaccin, CoronaVac, suscite quelques réticences.
Si l’Inde de Modi n’a pas pu/su contrecarrer les investissements massifs de la Chine dans la construction de ports, de routes ou encore de centrales électriques (Sri Lanka, Bangladesh et surtout Pakistan), elle joue désormais à fond, grâce aux vaccins, sa politique du «neighbourhood first», qui se déploie depuis le 20 janvier, grâce à l’India Serum Institute, le plus gros fabricant de vaccins au monde. D’ailleurs pas moins de 100 000 doses ont été déjà envoyées aux Maldives, 150 000 au Bhoutan, 1 million au Népal, 2 millions au Bangladesh, 1,5 million en Birmanie… 100 000 doses pour Maurice, 50 000 pour les Seychelles. Chez nous, c’est l’allégresse : le Premier ministre, suivi de plusieurs autres ministres, sont allés réceptionner le précieux colis indien, faisant à la ronde des «namasté» à la nouvelle ambassadrice Nandini Singla. Tout le monde salue la savante et gracieuse diplomatie du vaccin indien. Seul le Pakistan, l’ennemi historique, ne figure pas sur la liste, car, selon le ministère des Affaires étrangères de la Grande péninsule, «l’Inde n’a pas reçu de demande» du voisin d’à côté…
Mais qu’à cela ne tienne, le Pakistan espère recevoir 500 000 doses de la Chine d’ici le 31 janvier, tout comme nombre de pays africains, qui ne pourront pas en bénéficier avant… avril 2021. «Il y a encore un long chemin à parcourir», concède du reste Cyril Ramaphosa, le président de l’Union africaine, qui fulmine contre le fait que des pays riches ont déjà sécurisé des milliards de doses de vaccins. Et pour que l’Afrique soit parmi ceux qui vont bénéficier de ces vaccins, le soutien de la Chine et celui de la Russie s’avèrent incontournables. Ce qui converge avec les intérêts de Pékin et de Moscou, pour qui les vaccins représentent à la fois une occasion de renforcer leur influence, mais aussi un moyen de liquider leur stock en concluant des affaires…
Et les États-Unis ? Si la première puissance mondiale, débarrassée de l’isolationniste Trump, compte le plus grand nombre parmi les 80 millions de contaminations mondiales, la multiplication des variants (sud-africain, britannique, ou autres), couplée à l’ouverture prônée par Joe Biden, pourraient jouer en sa faveur. Les résultats probants des derniers essais cliniques de Moderna, conduits de concert avec les Instituts nationaux de santé américains, seront sous peu soumis à l’étude de la communauté scientifique… dont celle de The Lancet. Avant d’envahir l’espace à son tour.
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Alors oublions les toasts que l’on porte dans les réceptions officielles, c’est pour la galerie ? Soyons réalistes : les États n’ont pas d’amis. Les États n’ont que des intérêts. C’est un principe de base en relations internationales – et c’est pour cela, entre autres, que l’on a institué, depuis 1945, une Cour internationale de Justice à La Haye, afin de «régler, conformément au droit international, les différends entre États», comme celui frontalier entre l’Inde et la Chine. Ce principe perdure à travers un monde en perpétuelle mutation, d’où les jeux d’alliances qui se nouent et se dénouent au gré des intérêts des nations à court, moyen et long termes. C’est ainsi. Cela le restera – et le Covid-19 vient le démontrer.
Par exemple, sur le dossier des Chagos et d’Agalega, au-delà de l’incontestable dimension humaine et des actions diplomatiques et juridiques portant sur la souveraineté ou d’autres aspects, il ne faut pas occulter de l’analyse l’importante question géostratégique.
On peut voir l’archipel des Chagos et Agalega de multiples perspectives. Mais occulter leur localisation géopolitique et leur rôle géostratégique, c’est se priver de la compréhension des multiples enjeux, dont plusieurs font tourner le monde. Et passer à côté d’énormes intérêts… L’océan Indien, cette mer, qui n’est pas close, et où l’Europe rencontre à la fois l’Afrique et l’Asie, est bordée de 36 États (dont l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Australie). Le géant chinois, présent via le couloir de la mer de Chine, et «Mother India» ont aussi depuis longtemps des vues sur notre région. Le coronavirus leur permet surtout de le démontrer au-delà des armes.
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