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Esclavage et nation

1 février 2021, 11:17

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Dans quelques jours nous allons célébrer deux événements majeurs: l’abolition de l’esclavage et l’accession de Maurice à l’indépendance.

Les séquelles de l’esclavage sont encore très présentes dans notre société et nous regardent en face. Des familles entières, enfants compris, continuent à vivre dans des conditions inhumaines inacceptables, dans des environnements insalubres, ignorées, rejetées. Elles sont dans leur grande majorité d’ascendance africaine et sont les exclus de ce développement socio-économique, souvent cité comme modèle ou comme référence. Certaines de ces familles se cachent pour vivre et c’est uniquement l’inclémence de la nature qui arrive à révéler au grand jour leur situation d’ermite et de précarité, comme le font les cyclones ou les inondations. On fait alors et alors seulement montre de solidarité et de générosité. Elles sombrent immédiatement après dans l’oubli, ces familles, dès leur retour dans leur milieu crasseux, ‘puant et repoussant’, jusqu’aux prochaines caprices de la nature. Un pays qui n’arrive pas à faire sortir ses citoyens d’un groupe ethnique particulier, de ces conditions de vie inhumaines est loin d’être une nation, encore moins une nation indépendante à célébrer!

Le modèle de développement que nous avons choisi et que nous poursuivons toujours demande à être revu. Tant de ‘déchets humains’ – victimes de la grande pauvreté, la misère et l’exclusion – sont inacceptables. Une politique d’inclusion, pour aboutir à la cohésion sociale, est essentielle et pour cela nous ne devons pas hésiter à avoir recours à la discrimination positive, à prévoir un vaste programme d’aménagement du territoire et de relogement qui bannirait à tout jamais tant de poches de misère et de la honte aux côtés de ces nouvelles poches de richesse et de l’indécence, les IRS. Les préjugés ont la vie dure et nos réactions stéréotypées sont ancrées dans notre subconscient. Il nous faut absolument nous en débarrasser si nous voulons la création d’une vraie nation.

La diversité mauricienne est souvent érigée en modèle, à l’étranger surtout. On parle de coexistence pacifique, de mosaïque de races et de couleurs. Or, ne devons-nous pas plutôt poser la question: Maurice, quelle nation? La principale force de notre modèle de diversité réside, rappelons-le pour bien le souligner, dans le vouloir vivre ensemble malgré ou avec nos différences. Le vouloir vivre ensemble exige le respect, le respect de l’autre dans sa différence, l’accommodement mais surtout l’égalité aux yeux de l’Etat, l’égalité des droits, l’égalité de traitement.

Que devons-nous faire et que n’avons-nous pas fait pour que nous de- venions enfin une nation à part entière et non continuer à être une nation en devenir ? Où avons-nous fauté? Le 12 mars 1968 naissait l’Etat Mauricien. Et quid de la nation mauricienne ?

Il ne suffit pas d’avoir un drapeau et un hymne national, il ne suffit pas non plus d’avoir en commun une langue, le Kréol-mauricien, forgée à l’origine grâce aux besoins pratiques de communication entre maîtres et esclaves, qu’on considère aujourd’hui comme notre langue maternelle, du moins la grosse majorité des Mauriciens le font. Il faut qu’on soit fier de cette langue, qu’on lui donne la place qu’elle mérite au sein de notre Assemblée nationale et à l’école, promouvoir la littérature mauricienne écrite ou traduite dans notre langue, l’utiliser sans complexe, ici ou ailleurs, comme on le fait pour l’anglais, le français ou toute autre langue dite ancestrale.

La société mauricienne continue à être minée de l’intérieur par le communautarisme, exacerbé pendant les cam- pagnes électorales. Le Mauricien est, en vertu de la loi électorale qui est censée consolider notre démocratie, un être qui n’existe pas. Pour les besoins électoraux et pour être candidats aux élections, la loi ne reconnaît que les quatre communautés – hindous, musulmans, chinois et population générale – qui constituent la population mauricienne mais pas le mauricien. De quelle nation mauricienne parlons-nous, donc ?

Les Institutions du pays sont toutes, sans exception, perverties et servent les intérêts du pouvoir en place. La fonction publique est devenue la chasse gardée des seuls privilégiés de notre société, avec la bénédiction de la Public Service Commission. Les autres en sont exclus. La méritocratie a longtemps cédé la place au noubanisme et nous n’osons même pas condamner cette injustice flagrante envers nos concitoyens les plus infortunés.

L’Ecole aussi exclut et les opportunités offertes aux enfants ne sont guère égales. Un boursier-lauréat venant d’une famille pauvre ‘stéréotypée’ est l’hirondelle qui ne fait pas le printemps et n’est pas une preuve que la méritocratie existe chez nous ou que les institutions fondamentales du pays fonctionnent en toute indépendance ou de façon impartiale. Des mesures doivent être prises, et cela dans les plus brefs délais, pour que les besoins essentiels des enfants qui vivent dans la misère soient satisfaits et qu’ils puissent tirer profit de l’enseignement prodigué dans nos écoles, comme le font leurs camarades venant des familles plus aisées. Sinon, on n’arrivera jamais à briser le cercle vicieux de la pauvreté. Les préjugés, avons-nous dit, ont la vie dure et si nous n’introduisons pas dans le cursus scolaire, dès le primaire, l’histoire authentique et non celle tronquée de notre pays, soulignant la riche contribution de toutes les sections de notre population, dans le développement et le devenir de notre pays, à commencer par nos ancêtres les esclaves, nous n’arriverons jamais à surmonter ces préjugés et construire une nation forte, fière et riche de sa diversité.

Ce n’est pas pardon pour traitement inhumain qu’il faut réclamer aux anciens et nouveaux maîtres. C’est justice !