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Pourquoi on marche (et pourquoi «ar nou non»)

13 février 2021, 07:51

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Aujourd’hui, nous serons encore une fois des milliers à marcher, le poing en l’air, comme c’était le cas le 29 août à Port-Louis et le 12 septembre 2020 à Mahébourg. Certes, l’épisode Wakashio n’est peut-être plus frais dans la mémoire collective, mais la boîte de Pandore qu’est l’affaire Kistnen a depuis éclaté et démultiplié les raisons de la colère citoyenne: institutions dévoyées, corruption banalisée, cover-up institutionnalisée, népotisme flagrant, manque de transparence, exercices quotidiens de propagande infecte sur la MBC et les pseudo-médias financés par le pouvoir, sentiment quasi-généralisé que la criminalité gagne du terrain, drogue synthétique en hausse dans les quartiers populaires, etc.

Si le nombre de personnes qui comptent quitter le confort anonyme des réseaux sociaux pour se mouiller, cet après-midi, le maillot sur l’asphalte n’a pas forcément chuté, en revanche, il y a, cette fois-ci, des intérêts divergents, si ce n’est conflictuels, entre les nombreux organisateurs de la marche. Ce qui pourrait au final impacter négativement la foule. Sentant ce risque, Bruneau Laurette – qui est sorti de l’ombre depuis la première marche – se voit obligé de souligner (voir page 7), que Linion Sityawen «marche pour le peuple, et non pas pour Ramgoolam, Bérenger, Duval», ou Bhadain, ou encore les «Avengers» de Rama Valayden.

Depuis le succès monstre de la marche du 29 août, qui avait rassemblé + 75 000 Mauriciens, quadricolores en main, scandant «Bour li déor», plus d’un opportuniste tente une récupération de cette impressionnante masse d’individus. Pour avoir voix au chapitre du concert de demain, plusieurs groupes, autres que ceux des politiciens et des syndicalistes dépassés, et franchement démodés, ont pris le pari de revitaliser notre démocratie «en remettant le citoyen en son cœur».

Ce phénomène d’indignation témoigne d’une volonté de changement longtemps attendu; changement que les partis traditionnels et les mouvements alternatifs, malgré leur travail de pioche et leurs conférences de presse (des fois lassantes), n’ont su apporter, autrement que sur la Toile, par ailleurs vite réglementée par l’ICTA.

Avec l’échec grandissant de leadership de Pravind Jugnauth, le Mauricien – qui cultive un esprit critique et qui suit les événements de par le monde (des printemps arabes à l’élection des leaders populistes comme Trump, Bolsonaro, Johnson ou Orban) – a assimilé le fait qu’il est plus que temps, en 2021, d’en finir avec le concept d’homme providentiel ou de chef de tribus qui tend à protéger sa montagne et à arracher les herbes qu’il considère mauvaises à sa culture.

Surfant sur le regain du mauricianisme, tel que célébré lors des marches citoyennes, d’aucuns tentent alors de rassembler le vaste troupeau de citoyens frustrés, ou affranchis des partis politiques, dans une tentative de recréer l’adhésion à la politique comme un art noble, en faisant table rase des politiciens qui ont occupé la scène durant ces cinquante ou quarante dernières années, qui ont casé leurs proches et qui se sont rempli les poches, et qui ne veulent pas partir.

Si vous écoutez les jeunes pousses, dont Linion Sityawen, des Laurette-Yip Tong-Seenauth-Sunassee, qui pensent que le gros des politiciens sont corrompus, ils vous disent presque tous que la politique politicienne s’est éloignée des Mauriciens. Si vous continuez à discuter avec eux, ils vous diront aussi qu’il y a une urgence démocratique face au rejet des partis traditionnels. Et que moraliser la vie politique devient impératif. C’est pour cela que beaucoup de ceux qui les écoutent ont été désagréablement surpris de les voir à la même table que les «vénérables» chefs de partis, en train de parapher un accord. S’ils n’ont pas été achetés, le fait qu’ils font cause commune avec l’opposition traditionnelle pourrait casser le momentum. Par exemple, ils ne pourront pas, cette fois-ci, scander des propos anti-dynasties politiques, sans embarrasser les Ramgoolam, Bérenger, Boolell, Duval. Ils vont ainsi limiter leur puissant «Ar nou non».

Le MSM, qui n’a pas intérêt à ce que la foule soit supérieure à celle du 29 août historique, mise du reste sur les divergences entre les organisateurs, malgré leur «déclaration conjointe» de façade.

En attendant, à surveiller si, dans la mêlée d’aujourd’hui, les politiciens des partis traditionnels, par rapport au népotisme, au cumul des mandats ou des indemnités, au manque de transparence, au gaspillage des fonds publics, vont eux aussi, comme des citoyens désintéressés, crier: «Ar nou non!» Parce qu’au-delà d’un groupe ou de l’autre, l’important pour le gros d’entre nous, citoyens, c’est qu’on arrête – d’un régime à un autre – de nous prendre pour de l’argent comptant.

En bientôt 53 ans d’Indépendance, le #Bourlidéor ne s’adresse pas seulement à un homme, à un parti ou Trust, ou à une dynastie, mais bel et bien à plusieurs patronymes. Dont certains marcheront allégrement cet après-midi parmi nous…