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Ça sent le brûlé ?
Nous semblons être englués avec ce dossier de l’offshore depuis longtemps déjà. La dérive a été constante, pendant des années, au point que le ministre Sesungkur, dans une interview publiée dans l’Express du 26 août 2017, alors qu’il avait pris le relais de Roshi Badhain, démissionnaire en janvier 2017, déclarait qu’il avait hérité «d’un ministère à problème».
Dans cette interview, édifiante à plus d’un titre, le ministre Sesungkur rappelle un contexte sans doute annonciateur des problèmes à venir. Son diagnostic était que son ministère était «vide» de cadres techniques. Il accusait ainsi son prédécesseur de n’avoir eu «que quelques conseillers qui accaparaient tous les dossiers», ce qui a fait qu’à leur départ, «il ne restait rien !». Plus rien ?
En toile de fond de cette époque, il y avait encore l’ombre de Sobrinho (qui menait indirectement à la démission de madame la présidente Gurib Fakim en mars 2018), les séquelles du dossier BAI, le dossier Heritage City, la commission d’enquête de Britam, le dossier NMH, la gestion du DTA avec l’Inde, alors sévèrement émasculée, un nouveau CEO et un Board reconstitué à la FSC…
Mais outre la confession du manque de cadres au ministère, le ministre Sesungkur avait aussi exprimé son opinion qu’il fallait recruter des étrangers pour la FSC «car nous n’avons pas les compétences locales nécessaires pour renforcer les capacités de nos institutions financières».
«Il faut bien plus que des lois et des règlements et des coches dans des casiers ; il faut démontrer notre capacité tangible de superviser, de contrôler, de sévir…»
Gageons que ces déclarations publiques ont été, à l’époque lues, digérées et incluses dans divers rapports de l’ESAAMLG, du GAFI, du SEBI, de l’UE au point de constituer une cruelle image de notre offshore ! Cruelle et probablement largement réelle ! Ce problème de manque de cadres crédibles n’est pas nouveau et n’a pas disparu. Quand M. D. Thakoor fut nommé en mai 2020 à la tête de la FSC, prenant le relais de M. H. Seegolam qui devenait, deux mois et demi plus tôt, Gouverneur à la Banque centrale, il fut souligné que sa réputation de réalisateur de projets – pour des systèmes de paiements RTGS, par exemple – ne suffirait sans doute pas pour convaincre dans ce secteur complexe de la supervision financière où il avait, personnellement, peu ou pas d’expérience.
Malgré de gros efforts et du «significant progress», nous dit le ministre Seeruttun, le nouveau ministre des Services financiers depuis les élections de fin 2019, le GAFI nous aura, ces jours-ci, maintenu sur sa liste grise. Par conséquent, nous sommes toujours sur la liste noire de l’UE ! Se retrouver dans le même sac que les lumières du monde financier que sont l’Albanie (son score à la Freedom House, indicateur utile d’une certaine ‘culture’ d’un pays, est de 47/100 – le nôtre est à 89/100 !), le Burkina Faso (56/100), le Cambodge (le pays du dictateur Hun Sen, 25/100), les îles Caïmans (! BOT), le Myanmar (30/100, AVANT le récent putsch de l’armée), le Nicaragua (31/100, Ortega, Sandinista), le Pakistan (38/100), le Panama (84/100, Mossack Fonseca), la Syrie (0/100, Assad), le Yémen (11/100) et le Zimbabwe (29/100) me paraît à peine croyable ! Sommes-nous, à ce point, mauvais et dangereux ?
Ce qui est sûr, c’est que nous avons encore du boulot à faire. Il y a, à ce jour, encore toujours cinq déficiences stratégiques qui nous sont signalées, comme en février 2020. Elles semblent toutes relever de défauts non pas structurels, mais fonctionnels. Ainsi, il faudrait IMPLÉMENTER de meilleurs plans de supervision à la FSC, AUGMENTER la diversité des Suspicious Transaction Reports, S’ASSURER que les informations demandées sur les propriétaires ultimes de compagnies soient disponibles RAPIDEMENT, DÉMONTRER que les institutions d’investigation peuvent MENER de bonnes enquêtes sur le blanchiment d’argent, IMPLÉMENTER un meilleur contrôle sur les organisations ‘Not for Profit’, DÉMONTRER concrètement les sanctions financières prises par la supervision financière. Les verbes sont importants. Sur ce plan, et malgré quelques initiatives de plus grande visibilité, le problème reste substantiellement entier : il faut bien plus que des lois et des règlements et des coches dans des casiers. Il faut démontrer notre capacité tangible de superviser, de contrôler, de sévir. On projette une visite de visu pour bientôt. Avec ou sans quarantaine, nul ne le sait, mais les carottes de l’espoir sentent un peu le brûlé maintenant, un an après que l’on a signalé le gouffre grandissant dans ce pays entre le ‘dire’ et le ‘faire’, entre le ‘paraître’ et ‘l’être’…*. Ce qui menait d’ailleurs Seeruttun au Parlement, en février 2020, à annoncer : «…embarking on a recruitment process to ensure that all our institutions are fully manned to undertake their AML/CFT obligations». Tiens ! Encore ? Nous avions alors gentiment recommandé la méritocratie… Et si les recrutements ont été concrétisés, comment se fait-il que nous n’ayons pas pu convaincre le GAFI de nous sortir de cette liste grise, comme Trinidad & Tobago en février 2020 ou la Mongolie en octobre 2020 ?
«On s’auto-congratulait de ne pas être sur la liste ‘noire’ de l’UE à la publication des juridictions «grises» et «noires» du… 5 décembre 2017. Ça ne semble pas s’être amélioré depuis !»
Pour rappel, on s’auto-congratulait de ne pas être sur la liste ‘noire’ de l’UE à la publication des juridictions «grises» et «noires» du… 5 décembre 2017. Ça ne semble pas s’être amélioré depuis !
Pourtant, le plus étonnant, cette semaine, aura été la démarche exceptionnelle du Premier ministre, Pravind Jugnauth, demandant, à travers le ministre des Affaires étrangères Jaishankar, en visite à Maurice, l’aide de l’Inde pour sortir Maurice de la liste grise du GAFI ! Le SEBI ayant déjà levé le nez sur notre juridiction et ayant même des ambitions qui sont sensiblement du même ordre pour l’Inde elle-même, cette demande peut embarrasser et même être contre-productive.
Et puis, que faisons-nous de nos prétentions d’État souverain et de notre dignité ? «Running to mother» est généralement acceptable à un âge tendre. Serions-nous devenus des “garson mami” à plus de 50 ans ?
KCRANZE
* https://www.lexpress.mu/idee/371034/entre-dire-et-faire
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