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Super League: les réalités économiques
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Super League: les réalités économiques
La semaine dernière voyait l’annonce d’une Super League de 12 des équipes les plus prestigieuses d’Europe. Le projet était à plat 72 heures plus tard, ayant subi les bourrasques des fans, des joueurs, des dirigeants politiques, des entraîneurs, de l’UEFA, des ligues nationales comme la Football Association, des petites équipes pas invitées à la table des 12 et de la FIFA.
Cette idée qui ne date pas d’hier et qui se termine mal (pour le moment) peut s’analyser sous plusieurs angles. De l’émotionnel des fans qui se déclarent propriétaires du football et qui ne souhaitent pas être réduits à des ‘consommateurs’, aux propriétaires capitalistes de clubs souhaitant valoriser leur investissement, en passant par les joueurs ou les chaînes de télévision, le point commun reste l’argent. L’équation est de nature éminemment économique. Les supporters qui paient le stade ou la télé ou les T-shirts et qui réclament l’achat des meilleurs joueurs, sont bien les consommateurs de la circonstance, même s’ils insistent qu’ils ne sont que des fans…
Quand un supporter en Angleterre se déclare être le vrai propriétaire de son équipe, ça a de l’allure, mais ça sonne un peu creux puisqu’il n’a généralement pris aucun risque comme actionnaire, même s’il voudrait quand même siéger au conseil d’administration et se réserve en plus le droit de grincer fort quand le club n’achète pas, régulièrement s’entend, de nouveaux joueurs, au prix fort, bien évidemment ! De plus, ceux qui vont au stade sont systématiquement braqués contre l’augmentation des prix des billets d’accès et les loges ‘Corporate’ et posent effectivement la question de l’équilibre entre ceux qui «créeront l’atmosphère» et ceux qui viendront «consommer» cette atmosphère, tout en maximisant le revenu du club au mètre carré…
Les propriétaires essaient de résoudre cette question en ajoutant des gradins, ce qui demande effectivement des clients pour les remplir, donc du succès footballistique sur le terrain, donc des investissements et des salaires pour les joueurs… en sus des emprunts pour construire les gradins. Tout se tient en boucle évidemment ! Il s’agit de bien investir l’argent ! Le foot, c’est clairement un ‘business’, même quand les fans sont propriétaires.
Certains clubs sont, d’ailleurs, possédés par leurs fans. Les exemples les plus connus sont le Bayern Munich (250 000 actionnaires), le Real Madrid (90 000 socios) et Barcelone (140 000 actionnaires). Ces actionnaires votent une équipe dirigeante qui agit à l’intérieur d’un mandat plus ou moins précis. Tous les détails des opérations de ces clubs ne sont pas connus, mais deux choses sont certaines. D’abord, quand le consommateur est le propriétaire, il y a théoriquement moins de ‘conflits’ d’intérêts, mais parfois plus de débordements… Ces trois grandes équipes prouvent, du moins en façade, que ça peut marcher tant que ça grossit. Pour les Allemands, ajoutons la discipline. Ensuite, quand on a autant d’actionnaires, on peut, théoriquement une fois encore, mobiliser de gros pouvoirs d’achat en cas de nécessité. Mille euros de moyenne, par personne à Barcelone, ça fait de quoi acheter Mbappé ou Haaland ! Cash ! Pour Manchester United qui, récemment, grâce à un sondage de Kantar sur Internet, estimait sa base de fans mondiaux à 467 millions en 2019 (auxquels on ajoute 635 millions de followers), il est théoriquement possible de rêver que les fans rachètent la famille Glazer à la faveur d’une contribution moyenne de seulement 6,4 livres sterling par fan…
Mais au-delà du problème de propriétaire, tout reste une question d’argent ! Les joueurs veulent être bien payés, par exemple, et ne veulent pas de réductions de salaires même si les recettes baissent. En Espagne, le gouvernement a dû légiférer ! C’est vrai qu’un joueur de top niveau n’aura qu’une carrière de 10 ans en moyenne et qu’il faudra bien économiser alors pour couvrir les 50 ans d’après, mais un salaire de 200 000 livres sterling par semaine (mettons Thiago de Liverpool), c’est quand même 600 millions de roupies annuellement ! Messi a encaissé jusqu’ici un milliard de dollars à Barcelone, sponsorships inclus, et doit les valoir puisque Barcelone a gagné 34 trophées avec lui, en 16 ans alors qu’il fallait, précédemment, 105 ans pour gagner 64 trophées. Or, gagner des trophées ça génère des revenus, bien sûr ! Et ne nous leurrons pas ! Les revenus encaissés des gradins, pour un club comme Manchester United, ne représentent, en 2020, que 18 % des recettes, les recettes de retransmission 27 % (38 % en 2019) et les revenus commerciaux, qui restent, dans l’absolu, plus stables même pendant la pandémie, 55 % (44 % en 2019).
Ce qui a précipité l’annonce de la Super League, c’est la frayeur des gestionnaires face à la baisse des recettes causée par la Covid-19. Un exemple : les comptes de Manchester United au 30 juin 2020, qui ne reflètent donc que le début de la pandémie, montrent déjà une baisse de 42 % des recettes de retransmission (-£101 millions) et de 19 % (-£21 millions) pour les recettes du stade, qui n’a été fermé qu’en mars. Résultat ? Il y avait un impact au cash-flow de 263 millions de livres sterling en moins ! (15 milliards de roupies !). L’année financière 2020/21 sera largement pire pour tous. La Super League est une tentative de resserrer les mailles du filet qui laisse aujourd’hui partir une bonne partie des recettes de retransmissions télévisées vers la bureaucratie qu’est l’UEFA. Et vers les autres clubs…
En effet, des 3,25 milliards d’euros récoltés en droits de retransmission en 2019/20, seuls 295 millions ont été utilisés pour organiser les matches, 228 millions ont été pour des paiements dits de ‘solidarité’ et 177 millions de plus pour ‘développer’ le football européen, les clubs participants récoltant la différence, soit 88,5 %. Réduire le nombre de clubs des 32 actuels aux 20 proposés par la Super League (15 membres fondateurs plus 5 à se qualifier chaque année), c’est tout bénef bien entendu ! D’autant plus si on anticipe l’augmentation des 88,5 % ! Et que le pactole lui-même peut encore grossir… (Voir *).
Ce qu’il faut noter, c’est que les clubs les plus populaires du monde demandent depuis des années que ces 88,5 % soient augmentés en leur faveur puisque ce sont eux qui assurent le spectacle, soulignent-ils. À la vérité, les deux véritables moteurs de cette initiative sont le Real et Barcelone (rappelez-vous qu’ils sont «fans-owned») parce que ces deux clubs ont été les plus dépensiers ET qu’ils se sont donc le plus fortement endettés en conséquence, puisqu’ils n’ont pas de sugar daddy comme Abramovich, Sheik Mansour ou d’autres actionnaires aux poches profondes… La preuve ? Tous les clubs fondateurs de la Super League, qui ont pourtant souscrit £8 M au départ, se sont retirés, sauf Barcelone et le Real ! De plus, avalez le fait que le Real a une dette brute de 901 M d’euros (dont €203 M à 12 mois ou moins) alors que l’équivalent de Barcelone est de 1 173 M d’euros (dont 730 M d’euros à court terme !). Chelsea et Tottenham sont aussi de cette ligue-là : plus d’un milliard de livres sterling, mais seulement dues à Abramovich dans le cas de Chelsea et investies dans un stade neuf pour les Spurs.
On comprend alors tout ! Il faut effectivement fortement transpirer en payant annuellement (Forbes) $92 M à Messi, $28 M à Griezmann, $23 M à Bale, $21 M à Hazard – aucun joueur de la première équipe du Real ne touchant moins que £163 000 par semaine, soit 475 millions de roupies par an ! Acheter Coutinho pour £145 M (2018) ou Dembélé pour £96 M (2017) alors qu’ils valent maintenant respectivement £35 M et £40 M dans un marché bien moins porteur, ça sent mauvais… Au Real, les £85 M de Bale, qui pourraient s’ajouter aux £150 M éventuels de Hazard, ne paraissent pas plus raisonnables.
D’autant que le Real, qui budgétisait 900 M d’euros de revenus au 30 juin 2021, s’en sortira peut-être avec €300 M de moins et a dû emprunter encore €205 M en conséquence. Si ce n’est pas techniquement la faillite qui guette la paire vedette espagnole, ça lui ressemble drôlement. Les villes de Barcelone et de Madrid devront intervenir ? Peut-être même l’État? Les petits actionnaires n’en mènent pas large…
Autres angles. Selon ABC News, les diffuseurs comme BT, qui avaient des contrats pour la Champions League, ont rouspété contre la Super League bien entendu en anticipant déjà les petits nouveaux que sont Amazon, Facebook, Disney (ESPN) rejoindre Sky pour se payer les droits de diffusion d’un ‘meilleur’ produit. Le chiffre de 4 milliards* annuellement a même été évoqué par le Financial Times ! L’UEFA parle, elle, de punition, malgré les risques… Cette histoire est loin d’être terminée !
Quand les supporteurs ont leur mot à dire, ils sont occasionnellement très créatifs, même si pas toujours réalistes. Une bannière artisanale, cette semaine, se lisait : «Football: created by the poor, stolen by the rich». Cela décrit une bonne partie de l’histoire du monde finalement et ce sont, en fin de compte, les consommateurs qui auront permis cela !
Deux arguments des fans tiennent la route : une ligue sans relégation, ça fait vraiment anti-méritocratique. De plus, si les petits clubs ne sont pas aidés par les plus forts, on remplace la pyramide qui démocratise par une oligopolie, avec tous les dangers qui vont avec. Tout le reste n’est qu’une question de fric et d’équations économiques classiques…
L'édito paru cette semaine dans Business Magazine
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