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Pourquoi j’ai honte ! Et pourquoi j’ai peur !

16 mai 2021, 07:48

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Pourquoi j’ai honte ! Et pourquoi j’ai peur !

Nous, citoyens, avons toujours été très fiers d’être Mauriciens. Les sondages qui ont été faits sur la question pendant les décennies suivant l’Indépendance du pays l’ont toujours confirmé, encore et encore. Par exemple, dans le dernier sondage omnibus de 2013(1) complété par l’express chaque 10 ans, avec les mêmes questions ; 72 % de la population se disaient «très fiers» de leur pays, chiffre qu’il fallait d’ailleurs rajouter aux 21 % qui se disaient être «plutôt fiers». Autre sentiment positiviste à ce moment-là : les Mauriciens se disaient de plus, par la forte majorité de 72 %, désireux de rester vivre à Maurice. Par contre, on notait alors que le ver était déjà dans le fruit puisque ces mêmes mauriciens ‘fiers’ ne souhaitaient plus majoritairement (46 % seulement) que leurs enfants continuent à vivre à Maurice… Le sondage de 2023 sera sans doute passionnant à nouveau, mais cela m’étonnerait vraiment beaucoup que l’opinion publique n’ait pas glissé. Négativement s’entend ! Et ce ne sera pas le seul fait du coronavirus…

Personnellement je ne saurais attendre deux ans de plus pour déclarer mes couleurs. Je suis de moins en moins fier et je déclare en plus ma honte…

…qu’après avoir été un modèle de pays démocratique pour l’Afrique, le ‘blue-eyed boy’ de l’indice de Mo Ibrahim, le pays le plus démocratique d’Afrique selon l’Economist Intelligence Unit ou l’équipe de BTI et ayant toujours récolté de bonnes notes de la Freedom House; que nous en soyons arrivés à un point où les yeux du monde commencent à voir ce que nous avons vu déjà ici, chez nous, depuis quelques années. En effet la dérive vers une ‘autocratisation’ plus marquée et une tentation totalitaire de plus en plus évidente, elle s’accélère. La ‘mise sous bol’ des institutions indépendantes qui sont supposées constituer les freins et les contrepoids au pouvoir bien trop centralisé entre les mains du Premier ministre ne date ni des dernières élections, ni de celles de 2014. La tendance, à l’exception notoire de l’amendement constitutionnel faisant obligation de tenir les élections chaque 5 ans ou à mieux autonomiser Rodrigues, a irrémédiablement mené le pays vers plus de centralisation des pouvoirs, à un pouvoir législatif à plat ventre devant l’exécutif, au noyautage et éventuellement au contrôle des institutions supposées être ‘indépendantes’. Mais cette glissade qui s’est, par contre, préservée une façade, s’est définitivement accélérée depuis 2014. La tentative, à travers le Prosecution Commission Bill de contrôler le Directeur des poursuites publiques en est l’illustration la plus détestable, mais on nommait aussi, sans du tout se gêner, des proches du pouvoir à l’Electoral Supervisory Commission, et on faisait même voter des lois pas parce qu’elles étaient d’intérêt général, mais parce qu’elles permettaient de régler un problème particulier (ex : loi dite ‘ Hofman’). Les résultats des élections de 2019 ont été, de loin, les plus contestées depuis l’Indépendance. On a évoqué l’usage outrancier de la MBC et les millions de roupies qui ont ‘circulées’. Il y eut, en sus, des allégations de fraude et de corruption, cataloguées dans plus de dix pétitions électorales instruites en Cour suprême, où elles végètent pourtant toujours 18 mois après les élections, ce qui est loin d’être rassurant, et que même le Kenya (5 semaines) ou le Malawi (12 mois) règlent leurs pétitions électorales plus rapidement…

…pour notre Parlement dévoyé par un speaker beaucoup plus partisan qu’impartial, qui représente même une détérioration matérielle par rapport à son prédécesseur, qui était pourtant accusée des mêmes maux. Pour un Parlement qui s’arrange pour ne pas trop s’exposer aux questions embarrassantes du leader de l’opposition les mardis, qui a expulsé des parlementaires de l’opposition plus d’une douzaine de fois en 2020 et qui, sur motion du Premier ministre expulse trois parlementaires jusqu’aux prochaines élections, siouplaît, sauf s’ils présentent leurs excuses les plus plates. Tout cela fait vraiment moche.

Quand on y ajoute les licences de radio accordées aux seuls partisans du pouvoir, la frilosité de l’ICAC ou de la police d’enquêter sur ceux qui sont ‘bien connectés’, les difficultés (sans précédent) de l’auditeur général d’accéder à des dossiers embarrassants pour le gouvernement, notamment les achats ‘sous urgence’ d’équipements médicaux pendant la pandémie, le boycott systématique des journaux ou des radios qui gênent avec leurs questions, l’IRSA qui ne semble pas trop interpellé par le ‘unexplained wealth’ de certains, l’État-surveillance suggéré par le projet Safe City, l’ICAC qui sert de bouclier aux enquêtes embarrassantes, l’emploi intempestif de la clause 46 de l’ICTA, l’usage, un temps trop libéral, de ‘provisional charges’ pour tenter de bâillonner; on peut comprendre que l’indice Mo Ibrahim montre une régression pour notre pays deux années de suite et que les Suédois de V-Dem (financés , entre autres, par… l’UE) notent, sur 10 ans, notre régression sévère de plus de 30 % sur leur indice, ce qui nous fait chuter de la catégorie ‘démocratie libérale’ à celle de ‘démocratie électorale’ seulement. En passant, cette régression de 23 points dans l’absolu est identique à la régression affichée par l’Inde qui, puisqu’elle démarrait déjà, il y a 10 ans, comme ‘démocratie électorale’ et rejoint maintenant la catégorie moins enviable des ‘autocraties électorales’ (2). Cette double dégradation est inquiétante sur la base d’une étude de Boese et al (2021) qui, analysant le phénomène de l’autocratisation des démocraties depuis 1900, arrive à la conclusion que 80 % de ces cas mènent invariablement a l’effondrement de la démocratie…

Nous sommes prévenus !

J’ai aussi honte de voir les propositions effrayantes de l’ICTA qui veut confier à des bureaucrates qui seront sous le coude d’un gouvernement qui s’autocratise, le pouvoir d’intercepter, pour le moment, les messages des citoyens sur les réseaux sociaux, de les décrypter, de les archiver et de décider – sans en référer à une cour de justice – ce qui est ‘legal’, ‘harmful’ ou pas ! La réaction du grand public contre cette folle proposition me rassure. Celle des étrangers, de l’Electronic Frontier Foundation à Google, consolide ma honte…

J’ai honte de l’indiscipline de certains de mes concitoyens qui mettent le pays à risque du Covid. J’ai honte de l’acharnement et de la mauvaise foi de la GRA face à Jean-Michel Giraud. J’ai honte qu’au même moment, comme par hasard, la MRA enquête sur son dossier de taxe. J’ai honte de l’épisode Wakashio ou les radars sont aussi en panne que les Coast Guards qui s’en occupent. J’ai honte des Rs 400 millions dépensées avec Liverpool FC pour faire de la publicité dans un stade vide, destinée à des touristes potentiels que NOUS interdisons d’entrer dans notre pays sans passer par 14 jours de quarantaine d’abord… J’ai honte de la saleté de mon pays, des déchetteries qui débordent, de l’eau 24/7 redéfini à «kan kapav»… J’ai honte de l’éducation nationale qui a ‘perdu’ quelques mois d’éducation pour ses protégés parce que le ‘home schooling’ n’y était pas. J’ai honte des ravages de la drogue, du niveau de certains parlementaires, de nos attitudes de ‘poules mouillées’ face aux intempéries, de la MBC, de l’affaire Kistnen, du dossier d’Angus Road, de Mme Boygah au bureau des standards, des ‘ enquêtes’ du PM qui ‘innocentent’ publiquement ses ministres, de promesses électorales insoutenables pour le Budget, de notre productivité nationale, du déséquilibre grandissant de nos principaux indicateurs économiques…

Voilà pourquoi, outre d’avoir honte, j’ai de plus en plus peur…

https://www.lexpress.mu/article/sondage-dopinion-sur-levolution-de-la-societe-mauricienne

https://www.v-dem.net/files/25/DR%202021.pdf