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Fuites en avant
Si l’opposition veut renverser le régime, la conservation du pouvoir demeure, de tous temps, la préoccupation numéro Un du gouvernement. D’où les stratagèmes qui évoluent.
La motion tardive du Premier ministre (PM) pour que les trois élus de l’opposition, Paul Bérenger, Rajesh Bhagwan et Arvin Boolell, puissent retourner prochainement au Parlement revêt plusieurs dimensions. Elle traduit d’abord un désarroi de l’exécutif qui, après avoir présenté une motion pour les expulser jusqu’à la fin de cette législature, en guise de soutien au speaker, se voit contraint de ravaler son venin.
Est-ce un remords personnel du PM et Leader of the House (qui a réalisé que la sanction était disproportionnée par rapport aux trois vétérans du Parlement, par ailleurs élus en tête de liste dans leur circonscription respective) ou est-ce le fait que cette affaire allait être prise sur le fond en Cour suprême cette semaine qui a motivé ce «backpedaling» ? Pravind Jugnauth ne l’a pas explicité. Mais on imagine que la pression sur ses épaules augmente, surtout depuis que Facebook, Google, Mozilla, V-Dem, Harvard University, Internet Society et Reporters Sans Frontières, entre autres, l’ont à l’œil. Tout comme le Fonds monétaire international et l’Union européenne sur le plan financier !
Si le trio Bérenger-Bhagwan-Boolell maintient son «case» (même s’ils n’ont plus de «grievance»), il serait intéressant de voir si la justice comptait/compte s’immiscer dans l’arbitrage des travaux parlementaires. Les légistes que nous avons interrogés sont divisés sur la question. Certains évoquent la séparation des pouvoirs et croient savoir que la Cour suprême n’aurait pas entretenu la plainte, tandis que d’autres pensent que vu la gravité de la sanction infligée aux trois élus, la Cour suprême, garant de la Constitution, n’aurait pas eu d’autre choix que de prendre l’affaire sur le fond.
Attendu que la décision de la justice aurait désormais un intérêt davantage académique, l’on ne peut que souligner que la volte-face gouvernementale nous rappelle le récent épisode des WAP, quand il a fallu recourir à la justice pour que le gouvernement accepte finalement d’accorder le fameux laissez-passer aux élus de l’opposition.
Qu’il s’agisse de la nomination du speaker par la majorité parlementaire, la motion de suspension contre l’opposition, l’octroi ou non des WAP, l’ouverture et la fermeture de l’Assemblée nationale, la date des élections, nous sommes dans une situation où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’une seule personne. Qui peut alors jouer avec les institutions comme bon lui semble.
Non seulement le Premier ministre est le Leader of the House, il se trouve aussi à la tête de l’exécutif qui écrase de tout son poids le législatif. Raison pour laquelle le speaker, qui n’est pas un élu, n’a d’autre choix que d’exécuter fidèlement les ordres premier ministériels. Tout comme le commissaire de police, qui se retrouve sous contrat – sa «security of tenure» ayant expiré, le speaker restera en poste, accroché au bon vouloir du PM.
Reste le judiciaire. Quand le chef juge partira à la retraite cette année, il ne faudra surtout pas songer à lui offrir un contrat, le temps qu’il boucle ses dossiers. Car, ce faisant, l’exécutif va violer le principe de la séparation des pouvoirs tout en consolidant celui d’un PM déjà trop puissant, et qui croit pouvoir écraser tous les contre-pouvoirs, quitte à réécrire les règles d’Internet…
Vu les fuites en avant par rapport aux WAP, à la non-arrestation de Valayden, et aux suspensions des parlementaires de l’opposition, le gouvernement montre des signes de fléchissement face aux challenges grandissants. Gageons qu’il va aussi céder devant les géants du Web et la communauté internationale des citoyens-internautes…
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